
« La vie est un cadeau » : le sens de l’existence humaine par un professeur japonais sourd et aveugle
Personnages Santé Cinéma- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
Fukushima Satoshi est professeur à l’Université de Tokyo, le plus prestigieux établissement d’enseignement supérieur du Japon. Son parcours pour parvenir à ce poste a toutefois été particulièrement difficile, puisqu’il a perdu à la fois l’ouïe et la vue dans sa jeunesse. Un film sur son drame, intitulé Sakura iro no kaze ga saku (« Satoshi »), a eu un considérable impact sur le public japonais depuis sa sortie dans les salles de cinéma en novembre 2022.
Dans cette scène du film, le jeune Satoshi (Tanaka Taketo) et sa mère Reiko (Koyuki) célèbrent son admission à l’université, malgré la perte de son ouïe et de sa vue. (© Therone/Karavan Pictures)
Comment communiquer avec une personne sourde et aveugle
Nous avons tout d’abord demandé au professeur s’il lui arrivait de prendre de lui-même l’initiative pour engager une conversation. Contrairement à de nombreuses personnes atteintes de surdité et de cécité congénitale, Fukushima Satoshi a perdu ses sens progressivement. Il a perdu l’œil droit à l’âge de 3 ans, l’œil gauche à 9 ans, l’oreille droite à 14 ans et l’oreille gauche à 18 ans. Il a conservé sa « mémoire » de la langue qu’il entendait avant de perdre l’ouïe, et s’exprime encore aujourd’hui sans aucune difficulté.
« Il ne suffit pas de parler pour qu’une communication ait lieu », répond-il. « À moins de pouvoir entendre ce que dit notre interlocuteur, c’est un dialogue à sens unique. Donc, sauf quand c’est vraiment nécessaire, je ne parle normalement que lorsque je suis connecté à mon interprète, autrement dit, lorsque je suis en mesure de comprendre ce que l’autre personne dit. Mais il peut y avoir quelques exceptions. Je vais aux toilettes seul, il m’arrive donc parfois de marmonner un commentaire sur la météo s’il fait froid par exemple, mais c’est à peu près tout. »
Le professeur Fukushima marche le long du corridor du centre de recherche pour les sciences et la technologie de l’Université de Tokyo. Il peut aller aux toilettes sans être assisté.
En vous asseyant en compagnie du professeur Fukushima, vous réalisez que sa référence au fait d’être « connecté » à son interprète est tout à fait littérale. Ayant perdu la vue et l’ouïe, il compte sur le sens du toucher de ses doigts pour communiquer. À côté de lui se trouve une interprète qui convertit ce que ses interlocuteurs lui disent en braille tactile. Ils se tiennent la main, communiquant par le toucher.
Pour lui transmettre les propos de son interlocuteur, l’interprète tapote des messages en utilisant le braille japonais sur les doigts du professeur, de manière similaire à l’utilisation d’une machine qui écrirait ce langage. Comme le montre le film, cette méthode de communication a été inventée par sa mère, Reiko. Des améliorations ont été apportées au fil des ans, et le braille tactile s’est depuis répandu comme l’une des méthodes utilisées par les personnes sourdaveugles pour communiquer instantanément.
L’interprète en braille tactile du professeur, Haruno Momoko, tapote le bout de ses doigts pour lui permettre de comprendre ce qui lui est dit.
Avec l’aide de son interprète en braille tactile, la conversation avec le professeur Fukushima se déroule en douceur. Les questions de l’intervieweur sont transmises en temps réel par Haruno, puis le professeur répond à l’oral presque immédiatement. Le processus prend même moins de temps que pour une interprétation entre deux langues différentes. La conversation se déroule de manière si naturelle qu’il est souvent difficile de croire que l’homme en face de nous vit dans un monde sans lumière ni son…
Rester en contact grâce à Internet
En tant que professeur d’université, Fukushima Satoshi accorde une grande importance à la lecture. Lorsque nous l’interrogeons sur son expérience du braille en tant que personne sourdaveugle, il nous explique ce langage : « La forme d’écriture la plus courante pour les aveugles au Japon utilise une série de six points pour représenter les sons des syllabes japonaises. Quand vous lisez ou quand vous écrivez, vous pouvez aussi convertir entre les points de braille et les idéogrammes kanji, et choisir le caractère spécifique à utiliser. »
Le professeur avait appris de nombreux kanji à l’école primaire avant de perdre la vue, mais il y en a très peu dont il connaît encore la forme. Cependant, cela n’est guère un obstacle. « Même sans visualiser la forme des caractères, je comprends leur signification. Sur mon ordinateur, j’ai le grand dictionnaire Kôjien, que j’affectionne particulièrement. »
Mais comment parvient-il à lire sur son ordinateur ? En utilisant un appareil qui convertit les données textuelles en braille japonais. Ce dernier lui permet également d’accéder aux actualités en se connectant sur Internet. Et en utilisant la fonction de sortie de texte, il peut écrire des e-mails en braille qui sont ensuite convertis en japonais.
Fukushima Satoshi montre comment utiliser l’appareil mobile BrailleSense pour écrire en braille et recevoir des informations. Le pavé noir à l’avant de l’appareil lui permet à la fois de lire et d’écrire en braille.
« Les personnes aveugles peuvent utiliser la fonction de synthèse vocale de leurs smartphones afin de consulter des livres, mais pour ceux comme nous qui sont également sourds, cela n’est d’aucune utilité sans sortie en braille. L’appareil que j’utilise s’appelle BrailleSense. En plus de permettre l’entrée et la sortie de texte en braille, il peut se connecter à Internet. J’ai installé des données pour environ 7 000 livres sur cet appareil. J’en ai également converti environ 1 000 autres en données textuelles, que je peux lire à tout moment via le pavé de sortie. »
Le professeur montre un exemple des fonctionnalités de l’appareil BrailleSense en lisant un journal en ligne à haute voix. À sa gauche se trouve l’interprète de braille au doigt Maeda Atsumi.
Ce type d’appareil n’était absolument pas disponible quand Fukushima Satoshi était plus jeune.
« J’ai perdu mon ouïe en 1981, juste après ma vue. Il n’y avait certainement rien de tel à cette époque. L’avancement de ce type de technologie a été une véritable bénédiction pour les personnes handicapées. Même les personnes à mobilité réduites peuvent ainsi se connecter au monde via internet. Le BrailleSense que j’utilise est extrêmement utile pour moi en termes d’accès à l’information, mais comme le marché pour ce type d’appareils est très restreint, ils sont assez chers. J’ai pu en acheter un avec mes frais de recherche, mais la plupart des personnes qui souhaitent en acheter un doivent dépenser environ 200 000 yens (1 300 euros) de leur propre poche, même avec le complément offert par les allocations de soutien public. Vivre avec un handicap implique beaucoup de frais supplémentaires comme celui-ci. »
La pandémie de Covid pour un sourdaveugle
L’utilisation de cet appareil permet à Fukushima Satoshi d’obtenir chaque jour des informations provenant du monde entier. Nous lui avons demandé quels sont les sujets qui l’intéressent le plus en ce moment.
« Les bombes radioactives. Et la dépréciation du yen, dans une moindre mesure : tant que nous pouvons continuer à gagner notre vie correctement, cela ne me dérange pas trop. Je crains davantage que la Russie soit tentée d’utiliser des armes nucléaires tactiques. Si cela se produisait, cela aurait aussi un impact sur le Japon à bien des niveaux. Donc, la guerre en Ukraine, et la possibilité que la Russie puisse aggraver la situation en utilisant l’arme atomique, avec comme première étape de cette escalade, l’utilisation d’une bombe radioactive. Je suppose que ce sont les choses qui m’inquiètent le plus. »
Plus proche de nous, la pandémie de Covid-19 a été un véritable calvaire ces dernières années. C’était une période d’inquiétude pour tout le monde, surtout au début, quand il n’y avait que peu d’informations.
« Les personnes atteintes de surdicécité ne peuvent pas communiquer sans contact physique, dit-il, alors nous demander d’éviter les contacts étroits et les espaces fermés revenait à nous dire de ne plus pouvoir communiquer... C’était la plus grande inquiétude des personnes sourdes et aveugles. Le nombre de Japonais piégés seuls à la maison a fortement augmenté. C’était une période très difficile. Et porter un masque, c’est comme être étouffé avec un gros sac sur la tête. Quand vous ne pouvez ni voir ni entendre, avoir un masque qui obscurcit aussi votre sens de l’odorat est encore plus dur. On a l’impression de suffoquer. »