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« L’enfant de Nagasaki » : un message de paix entre un survivant de la bombe atomique et un ancien pilote de chasse

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Matsumoto Takuya [Profil]

L’histoire de Taniguchi Sumiteru, un survivant du bombardement atomique de Nagasaki, est connue du monde entier, grâce au livre qu’en a tiré Peter Townsend, lui-même ancien héros de la Royal Air Force et l’homme au centre d’un tout autre fait divers qui avait fait les grands titres de la presse people en son temps. Pourquoi quelqu’un comme Townsend en est-il venu à séjourner à Nagasaki et à écrire cet ouvrage ? Sa fille, Isabelle Townsend, comédienne, qui vit en France, suit les traces de son père et transmet son message, au-delà des frontières et des générations. Nous l’avons rencontrée, ainsi que Kawase Mika, la réalisatrice du film documentaire L’enfant de Nagasaki.

Une amitié forgée sur des sentiments communs

Pour Kawase Mika aussi, la rencontre avec Isabelle Townsend a été décisive pour trouver l’orientation de son projet.

KAWASE  Je n’étais pas sûre que le concept du documentaire fonctionne dans la mesure où l’auteur dont je comptais parler n’était plus de ce monde. Mais d’un autre côté, je n’avais pas l’intention de faire un film biographique. Je voulais faire un film pour les gens qui sont en vie aujourd’hui. Je voulais faire ce film en étant consciente que, même s’il traite d’un événement historique, du passé, il s’agit en fait d’un problème qui se pose à nous, dans le monde qui nous entoure aujourd’hui. Isabelle et moi partagions cette prise de conscience. Cela m’a convaincu que je pourrais travailler avec elle.

Kawase a donc construit son projet de film sur l’image de la fille de Peter Townsend visitant Nagasaki, la ville que son père avait lui-même découverte et où il avait écrit un livre des années auparavant. Cependant, juste au moment où elle prévoyait de tourner à Nagasaki, M. Taniguchi est décédé.

ISABELLE  Je ne peux pas m’en souvenir sans éprouver une terrible tristesse, encore aujourd’hui. Il y avait une belle amitié entre M. Taniguchi et mon père ; ils sont restés en contact au fil des ans, et ce jusqu’à la mort de mon père. Ayant vécu la guerre de deux côtés totalement différents, ils devaient avoir beaucoup de choses à se dire. Leur fort désir de paix les a réunis. J’aurais aimé aller au Japon plus tôt. Je voulais vraiment rencontrer M. Taniguchi. Ce qui me soulage un peu, c’est qu’il est parti en sachant que Mika et moi allions faire ce film ensemble.

KAWASE  Isabelle est une personne extrêmement solide. Elle ne baisse jamais les bras, même lorsque divers problèmes se sont présentés. Elle m’a toujours encouragée.

Isabelle participe à l'événement traditionnel de Nagasaki, le Shôrô Nagashi (renvoi des âmes sur l’eau), en poussant le bateau spirituel de la famille Taniguchi. ©️The Postman from Nagasaki Film Partners
Isabelle participe à l’événement traditionnel de Nagasaki, le Shôrô Nagashi (renvoi des âmes sur l’eau), en poussant le bateau spirituel de la famille Taniguchi. ©︎The Postman from Nagasaki Film Partners

Isabelle Townsend a ainsi découvert dans le bureau de son père dix cassettes audio qu’il avait enregistrées pendant son séjour à Nagasaki. Kawase les a écoutés attentivement et a construit une histoire sur ces entretiens. Parmi les cassettes se trouve l’enregistrement d’un programme radio français auquel Peter Townsend avait participé. Kawase a été frappé par une phrase simple qu’il prononçait en français : « J’ai tué des gens pendant la guerre. En tant qu’écrivain, j’ai le devoir de témoigner de la guerre ».

KAWASE  Quand j’ai entendu ces mots, j’ai pensé que nous non plus, nous ne pouvions plus fuir. J’ai senti que Peter me donnait une très forte impulsion.

ISABELLE  Depuis notre rencontre en 2016, nous avons travaillé et nous avons construit ce film patiemment. Mika et moi avons su nous faire confiance, en surmontant les différences culturelles et les barrières linguistiques. Nous avions un désir commun de transmettre ce message de paix.

Pendant le tournage à Nagasaki ©️The Postman from Nagasaki Film Partners ©︎Sakamoto Ayumi
Pendant le tournage à Nagasaki ©︎The Postman from Nagasaki Film Partners ©︎Sakamoto Ayumi

Comme un témoin de relais à transmettre à la génération suivante

En août 2018, à l’occasion du premier o-bon (fête des morts) depuis le décès de Taniguchi Sumiteru, Isabelle Townsend s’est rendue à Nagasaki avec son mari et ses deux filles pour remonter les traces de son père. On peut lire sur le visage d’Isabelle qu’elle ressent la présence de son père partout où ils vont. La camera le capte discrètement.

ISABELLE  Lorsque j’ai visité Nagasaki, en relisant le livre de mon père, j’ai compris de manière concrète ce qu’il avait voulu dire dans ce livre. Il a lui-même participé à une guerre, il a malheureusement dû tuer des gens pour se protéger et protéger son pays. J’ai compris sa douleur. En même temps, je crois que mon père a trouvé du réconfort au Japon. J’ai compris pourquoi il était si fasciné par la culture japonaise. La spiritualité des Japonais, leur respect des autres, leur façon de traiter la nature et bien d’autres choses encore l’ont impressionné.

Isabelle Townsend sent la présence de son père partout où elle va. ©️The Postman from Nagasaki Film Partners ©︎ Sakamoto Ayumi
Isabelle Townsend sent la présence de son père partout où elle va. ©︎The Postman from Nagasaki Film Partners ©︎ Sakamoto Ayumi

Ce séjour à Nagasaki a été pour Isabelle le moyen de ressentir le lien entre son père et elle, tout en acquérant une compréhension plus profonde de ses luttes secrètes et des profondes blessures toujours vives des habitants de Nagasaki.

ISABELLE  Participer à ce film m’a aidé à me développer non seulement en tant qu’individu mais aussi en tant qu’artiste. Mon travail consiste à transmettre depuis la scène différents thèmes au public. Ce fut une expérience intense que de participer à cette production, du fait que le livre avait été écrit par mon propre père. C’était un lien entre le travail de ma vie et celui de mon père. Mon père a aidé les enfants touchés par la guerre. Je suis également engagée auprès des jeunes par le biais d’ateliers de théâtre. Je suis maintenant totalement convaincue de l’importance de tout cela.

Kawase Mika revient également sur les huit années depuis sa rencontre avec Taniguchi Sumiteru et toutes les forces qu’elle a mises dans ce film, comme une occasion de construite les « fondations » de son œuvre de cinéaste.

KAWASE  C’était l’époque où ma détermination en tant que créatrice a été mise à l’épreuve. Peter avait déjà une carrière illustre derrière lui, et avait déjà écrit plusieurs ouvrages, mais il continuait à se lancer de nouveaux défis. M. Taniguchi a également répondu. Avec de tels prédécesseurs, il m’incombait de décider ce qu’il fallait faire à partir de là. J’ai décidé de prendre le relais et de le porter plus loin, ne serait-ce que d’un seul pas.

À l’écoute du témoignage d'un interprète qui avait accompagné son père. ©️The Postman from Nagasaki Film Partners ©️ Sakamoto Ayumi
À l’écoute du témoignage d’un interprète qui avait accompagné son père. ©︎The Postman from Nagasaki Film Partners ©︎Sakamoto Ayumi

Lorsque vous essayez d’apprendre des choses sur les personnes et les événements du passé, dit Kawase, c’est aussi un voyage vers le futur que vous faites.

KAWASE  Finalement, je me suis rendu compte que plus je mets le passé au centre de moi-même, au fond de mes tripes, plus j’ai le pouvoir d’aller de l’avant. Je ne suis pas une personne avec un pouvoir instantané. Mais je sais m’exprimer de manière à ce que le message soit transmis lentement et progressivement, et que les gens s’en souviennent quelque part dans leur cœur. Il n’y a pas de nouvelles découvertes historiques ou de faits nouveaux dans ce film. Le vrai thème du film est la compréhension qui met longtemps à se faire, qui a besoin d’un temps long pour être possible.

La sortie du film L’enfant de Nagasaki était initialement prévue pour 2020, soit 75 ans après le bombardement atomique. En raison de diverses circonstances, dont la crise sanitaire du coronavirus, le film sort finalement cet été 2022. Cependant, Isabelle Townsend et Kawase Mika affirment que leur travail n’est pas encore terminé.

Isabelle prie à la cathédrale d’Urakami (Nagasaki). ©️The Postman from Nagasaki Film Partners ©︎ Sakamoto Ayumi
Isabelle prie à la cathédrale d’Urakami (Nagasaki). ©︎The Postman from Nagasaki Film Partners ©︎ Sakamoto Ayumi

ISABELLE  Je peux maintenant dire que L’enfant de Nagasaki est le plus important des livres que mon père a écrits. Ce livre est important dans la mesure où la Russie a envahi l’Ukraine et la guerre existe toujours. Ce livre est très important car il appelle à l’abolition des armes nucléaires. Nous sommes confrontés à une menace nucléaire en ce moment. La sortie du film coïncide avec un moment important. Il contient un message que mon père et l’un de ses amis les plus chers ont jugé essentiel de transmettre. J’espère que de nombreux jeunes le ressentiront.

KAWASE  Ce n’est qu’un point de départ. Notre objectif était de faire un film qui restera et qui touchera les générations à venir. Nous espérons que ce film remplira cette tâche.

©️The Postman from Nagasaki Film Partners ©︎ Sakamoto Ayumi
©︎The Postman from Nagasaki Film Partners ©︎ Sakamoto Ayumi

©️The Postman from Nagasaki Film Partners
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Matsumoto TakuyaArticles de l'auteur

Rédacteur et éditeur à Nippon.com depuis juillet 2011, notamment en charge du cinéma. Installé en France de 1995 à 2010, il a travaillé pour une agence de traduction avant de devenir rédacteur en chef adjoint de la publication gratuite France Zappa destinée à la communauté japonaise en France, puis rédacteur en chef du magazine Bonzour.

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