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« L’enfant de Nagasaki » : un message de paix entre un survivant de la bombe atomique et un ancien pilote de chasse

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Matsumoto Takuya [Profil]

L’histoire de Taniguchi Sumiteru, un survivant du bombardement atomique de Nagasaki, est connue du monde entier, grâce au livre qu’en a tiré Peter Townsend, lui-même ancien héros de la Royal Air Force et l’homme au centre d’un tout autre fait divers qui avait fait les grands titres de la presse people en son temps. Pourquoi quelqu’un comme Townsend en est-il venu à séjourner à Nagasaki et à écrire cet ouvrage ? Sa fille, Isabelle Townsend, comédienne, qui vit en France, suit les traces de son père et transmet son message, au-delà des frontières et des générations. Nous l’avons rencontrée, ainsi que Kawase Mika, la réalisatrice du film documentaire L’enfant de Nagasaki.

Le 30 août 2017, Taniguchi Sumiteru est décédé à l’âge de 88 ans. « Le garçon au dos rouge », l’une des photos iconiques des blessures infligées par la bombe atomique à Nagasaki, c’était lui. Il avait à peine 17 ans à l’époque. Et la photo de ses atroces blessures datait de six mois après le bombardement, quand il avait été gravement brûlé par les rayons thermiques de la bombe atomique.

Sumiteru, qui travaillait à la distribution du courrier dans un bureau de poste, a été exposé à la bombe à 1,8 Km de l’hypocentre. Par miracle, il a survécu, et après avoir enduré un an et neuf mois de traitements couché sur le ventre, et un total de trois ans et sept mois d’hospitalisation, il a pu sortir. Il est devenu plus tard président de l’Association des Victimes de la Bombe Atomique de Nagasaki, ainsi que membre de l’Association Japonaise des victimes des bombes A et H (que l’on appelle Nihon Hidankyô). Toute sa vie, il a continué sans relâche à lancer des appels pour l’abolition des armes nucléaires et la paix dans le monde.

La vie de M. Taniguchi est lue dans le monde entier sous le titre The Postman of Nagasaki (« Le facteur de Nagasaki ») un roman non-fictif publié par Peter Townsend au Royaume-Uni en 1984, puis traduit en japonais en 1985 (traduit en français en 1984 sous le titre L’enfant de Nagasaki). Des extraits de ce livre sont inclus au Japon dans de nombreux manuels pour les lycéens, mais le livre est lui-même depuis longtemps épuisé.

L’enfant de Nagasaki, par Peter Townsend ©️The Postman from Nagasaki Film Partners ©︎ Sakamoto Ayumi
L’enfant de Nagasaki, par Peter Townsend ©︎The Postman from Nagasaki Film Partners ©︎Sakamoto Ayumi

Avant sa mort, M. Taniguchi a vivement souhaité que le livre soit réimprimé au Japon. C’est lui qui a parlé de ce livre à Kawase Mika, qui lui avait été présentée par l’intermédiaire d’une connaissance commune, en 2014.

À l’époque, Kawase Mika travaillait encore à son précédent documentaire, Ametsuchi no Hibi (« Jours de pluie et de terre »), qui traitait de la vie de Matsuda Yoneji, un potier du village de Yomitan à Okinawa, qui fut achevé en 2015. Son précédent film, Murasaki, en 2012, traitait également d’un artisan traditionnel, Yoshioka Sachio, teinturier et historien du textile. Ses deux films précédents avaient donc pour point commun de traiter d’artisans traditionnels. Mais faire un film sur un survivant de la bombe atomique… Bien que très attirée par la personnalité de Taniguchi Sumiteru, elle éprouvait des difficultés à l’idée d’en faire le sujet d’un film.

Kawase Mika
Kawase Mika

KAWASE MIKA  Je pensais que le thème de la guerre était trop lourd pour moi. Je ne pensais pas être faite pour ce genre de sujet. Je devais admettre que je n’avais ni les connaissances ni les compétences nécessaires. Puis j’ai rencontré M. Taniguchi, et je me souviens du bouleversement que cette rencontre a provoquée en moi. Que puis-je faire, je me suis demandée…

Si dans sa tête elle hésitait encore, son corps avait déjà commencé à bouger. L’année suivante, elle suit Taniguchi à New York et filme une conférence qu’il donne là-bas en marge d’un réexamen du Traité de Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP).

KAWASE  Il m’a fallu un an pour me décider. J’ai réfléchi à ce que je pouvais faire avec les techniques et méthodes cinématographiques dont je disposais, et à ce que je voulais vraiment faire. Puis j’ai pensé : Détendons-nous, n’ayons pas peur. Pas de gestes inutiles, pas besoin de déformer les faits, les faits tels qu’ils se sont passés, prenons les choses comme elles sont, honnêtement.

Peu à peu s’est fait jour l’idée de baser le film sur le livre. Non pas un film sur la vie de M. Taniguchi tel qu’elle est décrite par le livre, mais plutôt explorer ce que l’auteur du livre, Peter Townsend, a ressenti lorsqu’il a visité Nagasaki et qu’il a rencontré M. Taniguchi, jusqu’à sa décision d’écrire ce livre. Non pas adapter le livre, mais déterrer le dossier qui a conduit à l’existence de ce livre.

©️The Postman from Nagasaki Film Partners ©︎Sakamoto Ayumi
©︎The Postman from Nagasaki Film Partners ©︎Sakamoto Ayumi

Un héros de guerre devenu écrivain

Car l’auteur du livre, Peter Townsend possède en lui-même une personnalité remarquable et attirante. Officier de la R.A.F. au service personnel du roi Georges VI dans les années 1950, il fit la une des journaux du monde entier quand il devint le boy-friend de la princesse Margaret, avec laquelle il formait l’un des couples d’amoureux les plus célèbres du moment. Auparavant, il avait été un héros de la Seconde Guerre mondiale, l’un des pilotes les plus redoutés de l’aviation ennemie. Mais il était divorcé, ce qui empêchait tout projet de mariage avec la princesse. Il prit donc sa retraite de l’armée et fonda une famille, avec une autre femme, voyageant dans le monde entier et entamant une nouvelle vie comme écrivain.

Townsend avait déjà publié cinq livres, dont un best-seller, quand il se rendit pour la première fois à Nagasaki en 1978. Il y retourna quatre ans plus tard, cette fois pour une durée de six semaines. C’est durant cette période qu’il a appris à connaître en détail Taniguchi Sumiteru. Il a écouté le détail de son histoire, il a découvert la ville en la parcourant à pied, et qu’il a écrit L’enfant de Nagasaki.

Peter Townsend, avec Taniguchi Sumiteru (à gauche). Son livre L'enfant de Nagasaki est basé sur l’histoire de ce dernier ©️The Postman from Nagasaki Film Partners
Peter Townsend, avec Taniguchi Sumiteru (à gauche). Son livre L’enfant de Nagasaki est basé sur l’histoire de ce dernier. ©︎The Postman from Nagasaki Film Partners

KAWASE  Un homme multi-décoré, un héros militaire, qui vient seul à Nagasaki à l’âge de 68 ans pour écrire un livre. Cela suppose une détermination déjà impressionnante, n’est-ce pas ? Cela démontre son caractère sérieux et entier en tant que personne, et n’est pas sans rapport avec sa méticulosité en tant qu’enquêteur et écrivain. De fait, le livre est formidable.

Townsend est décédé en 1995 à l’âge de 80 ans. L’une des ses filles, Isabelle Townsend, avait fait la couverture des magazines en tant que top-modèle dans les années 1980 puis est devenue actrice au cinéma et au théâtre. Kawase s’est rendue en France où Isabelle Townsend réside, dans l’espoir de la rencontrer et d’explorer si cela ne l’aiderait pas pour apprendre plus de choses sur la personnalité de son père.

Isabelle Townsend se souvient.

ISABELLE TOWNSEND  Cela m’a remis en mémoire une époque où j’étais jeune quand je l’ai lu pour la première fois. Le livre m’a laissé une forte impression à propos de l’histoire de Taniguchi Sumiteru qui a survécu à l’horrible bombardement atomique. Je me souviens combien cela m’avait impressionnée.

C’était en 2016 et son père était déjà décédé depuis 21 ans. Isabelle, très attachée à la mémoire de son père, a vu dans sa rencontre avec une cinéaste intéressée par son œuvre une opportunité de renouer avec lui.

La jeune Isabelle Townsend et son père Peter ©️The Postman from Nagasaki Film Partners
La jeune Isabelle Townsend et son père Peter ©︎The Postman from Nagasaki Film Partners

ISABELLE  Mon père ne parlait pas beaucoup de son travail à la maison. J’étais jeune et même si je lisais ses livres, je ne comprenais pas certains détails. Ce que (Kawase) Mika voulait découvrir m’a directement parlé. J’ai pensé que ce serait l’occasion de mieux comprendre le travail de mon père et d’en savoir plus sur la vie de M. Taniguchi, sa famille et la lutte à laquelle il a consacré sa vie.

Suite > Une amitié forgée sur des sentiments communs

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Matsumoto TakuyaArticles de l'auteur

Rédacteur et éditeur à Nippon.com depuis juillet 2011, notamment en charge du cinéma. Installé en France de 1995 à 2010, il a travaillé pour une agence de traduction avant de devenir rédacteur en chef adjoint de la publication gratuite France Zappa destinée à la communauté japonaise en France, puis rédacteur en chef du magazine Bonzour.

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