« Sayonara America » : retour aux racines pour la légende de la musique Hosono Haruomi
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Hosono Haruomi fait ses débuts sur la scène musicale japonaise en 1969 avec le groupe de rock April Fool. Il fonde ensuite le groupe Happy End, qui a un impact énorme sur la scène musicale japonaise, à tel point que son influence, transcendant les époques et les frontières, se fait encore ressentir aujourd’hui. Au cours des années suivantes, que ce soit en tant qu’artiste solo ou membre du Yellow Magic Orchestra (YMO, aux côtés de Sakamoto Ryûichi et de Takahashi Yukihiro) ou d’autres groupes, son talent continue de briller. Pendant des décennies, Hosono s’est maintenu à l’avant-garde de la musique japonaise, aussi bien en tant qu’artiste que compositeur ayant collaboré avec des idoles de la musique pop, comme Matsuda Seiko.
Un retour à la musique américaine
En 2019, le film documentaire No Smoking a été réalisé pour marquer les 50 ans de carrière de Hosono. À travers des images prises tout au long de sa carrière, Hosono partage son regard sur sa vie et son travail, de son enfance à ses nombreuses activités musicales.
Le film n’est pas uniquement une rétrospective car il se termine avec sa tournée américaine, qui a eu lieu de fin mai à début juin 2019. Aujourd’hui, on découvre la suite de ce documentaire, Sayonara America, cette fois-ci construit autour de cette tournée américaine. Le film comprend 17 titres joués par Hosono et son groupe, lors de trois concerts à New York et Los Angeles.
Comme No Smoking, ce nouvel opus est réalisé par Sado Taketoshi, un collaborateur de longue date de l’artiste.
« No Smoking a été conçu pour coïncider avec les 50 ans de carrière musicale de Hosono, nous avons donc voulu revenir sur sa carrière dans son ensemble. Ce qui veut dire qu’on n’a pas pu inclure beaucoup d’enregistrements live. Mais les concerts américains avaient été de si bonne qualité que l’idée d’en faire quelque chose était toujours là. Il y avait des discussions au sein de son équipe sur la possibilité d’en faire un film, de faire de cette tournée une sorte d’archive visuelle. »
Pour la plupart des gens, le nom de Hosono évoque probablement encore des images de son temps avec YMO. Mais c’est une toute autre facette que le musicien a montré au public américain. Né en 1947, Hosono a grandi avec des titres de boogie-woogie et d’autres vieilles chansons à succès américaines que sa mère jouait quand il était enfant, comme il l’explique dans No Smoking. Il a hérité de l’amour de sa mère pour la musique et, des années plus tard, ces disques d’une génération précédente sont devenus pour lui une partie essentielle de ses racines musicales.
Pendant sa tournée américaine de 2019, près de la moitié des morceaux étaient des reprises de chansons de l’âge d’or de la musique populaire américaine. Le reste était composé de ses propres chansons des années 1970 et 1980, arrangées dans le style des vieux classiques de boogie-woogie, souvenirs de son enfance vécue dans les années 1950. Ces concerts ont suivi l’orientation générale de ses performances live de ces dix dernières années, Hosono chantant et jouant lui-même ses titres.
« Quand il a commencé à jouer du boogie-woogie, j’ai entendu une réaction très positive venant du public. Les gens semblaient penser que ce genre de musique lui allait bien à ce stade de sa carrière. Je dois admettre que j’avais des doutes si ça passerait bien ou non. Mais pendant les concerts, c’était clair que tout le monde appréciait vraiment sa musique. Normalement, les gens vont à un concert en s’attendant à ce que l’artiste joue ses titres les plus connus. Si l’artiste décide de remplir son set de chansons que personne ne connaît, il y a le risque que l’accueil soit un peu froid. Et voilà que Hosono construisait délibérément tout son set autour de ce genre de titres. Mais le groupe a si bien joué que le public a tout de suite été séduit. Hosono est capable de jouer une liste de morceaux inconnus et de faire en sorte que le public rentre à la maison satisfait : j’imagine que c’est le signe d’un vrai artiste de scène. »
Vieilles chansons américaines, nouveaux fans américains
Cela a été le cas même lors de sa tournée aux États-Unis, pays d’origine de la musique qui a fortement influencé son style. Le film contient des interviews du public répondant aux questions avec enthousiasme à la fin des concerts. « C’est peut-être le sentiment le plus intense de “l’Amérique” que j’ai eu dans ma vie », s’exclame un jeune fan.
« Pour être honnête, je pense que la réaction du public a dépassé les attentes de Hosono, partage Sado. Je me souviens lui avoir dit après un des spectacles à quel point le public semblait vraiment absorbé par la musique, et il s’est tourné vers moi et m’a dit : “Ouais, je suis un peu étonné par ça aussi !” Le public était composé en partie de fans de longue date ayant suivi Hosono à travers les différentes étapes de sa carrière, mais surtout de spectateurs plus jeunes, qui étaient bien plus nombreux. Aujourd’hui, les jeunes n’hésitent pas à rechercher différents types de musique en ligne. Ils découvrent la musique avec des oreilles fraîches, sans idées préconçues. Les concerts étaient fidèles aux racines et aux qualités de ces styles traditionnels de musique américaine, et je pense que c’est aussi cela qui a touché ce nouveau public. »
Que ce soit au Japon ou aux États-Unis, les morceaux les plus connus de Hosono utilisent des synthétiseurs, notamment ceux qu’il a composés avec le YMO dans les années 1970 et 1980. Sado explique que de nombreux fans sont venus aux concerts avec leurs anciens albums dans l’espoir que Hosono les signe.
« Beaucoup de gens à qui j’ai parlé ont d’abord découvert sa musique via YMO ou Happy End, et ont ensuite exploré le reste de sa carrière musicale. C’était la tendance principale. Il y a quelques années, la chanson Kaze o atsumete de Happy End a été utilisée dans le film Lost in Translation de Sofia Coppola. Pendant un certain temps, les auditeurs curieux du monde entier sont allés chercher l’origine de cette musique, mais de nos jours, c’est grâce à YouTube que les gens découvrent Hosono. Un autre facteur est le genre “city pop” des années 1980, qui connaît actuellement un regain d’intérêt à l’extérieur du Japon. Et si vous remontez suffisamment loin dans les racines de cette musique, vous tombez sur Hosono. »
Sado voyage souvent à l’étranger pour rencontrer des personnes travaillant dans l’industrie de la musique, et explique que lorsque la conversation se tourne vers les musiciens japonais, le nom de Hosono revient presque inévitablement :
« Je savais qu’il était bien connu dans l’industrie, mais en dehors de cela, j’ai rarement eu l’occasion de parler de lui avec le grand public, jusqu’à cette dernière tournée. J’ai été impressionné par l’étendue de sa notoriété, par la façon dont il est vraiment devenu partie intégrante de la culture là-bas. J’ai fortement ressenti que les gens connaissaient vraiment bien sa musique. Dans de nombreux cas, j’ai eu l’impression qu’ils écoutaient sa musique à un niveau beaucoup plus profond que nous auditeurs japonais, en appréciant vraiment les qualités uniques de sa musique. »
Pourquoi « Sayonara » ?
En 2019, Hosono a marqué son demi-siècle d’activité musicale avec une série d’événements : une tournée américaine, une exposition spéciale (Hosono Kankô 1969-2019) ainsi que la sortie au cinéma du film No Smoking. Cette ambiance festive s’était à peine éteinte que 2020 et la pandémie sont arrivés, bouleversant le monde de la musique.
« Hosono avait plein de dates à l’étranger déjà prévues pour 2020. Je devais voyager avec l’équipe et filmer à nouveau les concerts, mais bien sûr, tout cela a dû être annulé », se remémore Sado.
Si le projet de ce film live a pu progresser aussi vite, c’est en partie dû au fait qu’il a été mis en place à une période où les concerts devant un public semblaient être devenus une chose du passé. Sado venait juste de terminer les premiers montages du film lorsque Hosono est venu le visiter.
« Je lui ai demandé ce que nous devrions faire pour le titre, et il m’a dit : “en fait j’y ai déjà pensé, ce serait Sayonara America”. Comme j’ai trouvé que le titre était parfait, l’affaire a été réglée sur le champ. »
L’idée vient de Sayonara America, Sayonara Nippon, un morceau du troisième album de Happy End, sorti en 1973 après la séparation du groupe. Le morceau a été écrit avec le musicien américain Van Dyke Parks, surtout connu pour ses collaborations avec Brian Wilson et les Beach Boys, qui s’était rendu au célèbre studio Sunset Sound Recorders à Hollywood, juste au moment où Happy End enregistrait son album.
No Smoking et cette suite présentent des images de Hosono revenant à Sunset Sound pour la première fois en près d’un demi-siècle, renouant sa vieille amitié avec Van Dyke Parks. Au cours de ses deux films, on suit l’artiste et ses cinquante ans de carrière, qui défilent tel un kaléidoscope. Puis maintenant, il nous dit : « sayonara ». Dit-il au revoir à cette partie de sa vie ?
« À l’origine, je pense que l’intention était de marquer la fin d’une phase de sa carrière, de cette phase de boogie-woogie et d’autres styles de musique traditionnelle américaine. Hosono s’est impliqué dans toutes sortes de genres différents depuis l’époque de Happy End. Il est toujours à la recherche de nouveauté. Il a tendance à se dévouer entièrement à quelque chose pendant environ trois ans, puis tout à coup, il va s’engager dans une autre direction. En fait, cette phase a été relativement longue, peut-être parce qu’il s’agissait en partie de sa volonté de revenir à ses propres racines musicales. Je pense que l’expérience de jouer cette musique pour la première fois dans sa terre d’origine, devant un public américain, a renforcé la sensation qu’il avait marqué le point culminant d’une certaine phase, si vous voulez. »
En même temps, le fait de regarder ces concerts américains aujourd’hui, alors que le monde a complètement été transformé par la pandémie, a dû lui donner l’impression de dire au revoir à une vision déclinante d’un temps révolu.
Dans une scène au début du nouveau film, Hosono, qui a laissé pousser ses cheveux depuis le début de la pandémie, apparaît sur le toit de son studio d’enregistrement avec une guitare à la main pour la première fois depuis deux ans, et se lance dans une sorte de monologue.
« Nous savions que nous voulions inclure des paroles de Hosono dans le film, c’est pourquoi nous lui avons expliqué que nous voulions tourner des images avec lui. Finalement, il s’est filmé lui-même. La pandémie n’a donc pas seulement donné son titre au film : elle a également eu une influence sur la forme même du film. »
Et vous, qu’allez-vous faire ?
Un des moments les plus mémorables du film arrive vers la fin, lors d’une interprétation de la chanson Body Snatchers, que Sado a choisi d’accompagner avec des images de L’Invasion des profanateurs de sépultures, un film classique de science-fiction et d’horreur de 1956 réalisé par Don Siegel.
« C’est une idée qui m’est venue en parlant avec Hosono. Ce lien avec la culture américaine est l’un des sujets de Sayonara America et ce film a été une source d’inspiration directe pour la chanson. C’est l’histoire d’une ville envahie par d’étranges extraterrestres qui s’emparent du corps des gens. Il y a un parallèle à faire avec la situation du coronavirus. »
C’est un rappel des mots que Hosono prononce, presque à voix basse, au début du film : « J’ai peur de voir les libertés restreintes, de voir que le totalitarisme gagne du terrain. Le virus fait peur, mais les êtres humains aussi. » Hosono a sûrement réfléchi avec soin au message qu’il voulait faire passer en sortant Sayonara America dans un monde encore sous l’emprise de la pandémie. En tant que réalisateur, Sado a conçu un film qui transmet ce message avec force au public.
« Les restrictions ont été imposées à de nombreuses formes de divertissement, et la musique n’y échappe pas, conclut Sado. Les façons dont les gens se divertissent ont changé. Je pense que tous les spectateurs qui iront voir le film ressentiront profondément en eux à quel point l’expérience de la musique live, partagée avec d’autres, est spéciale. Le divertissement et les arts sont des éléments essentiels d’une vie saine et bien remplie. Mais chacun a ses propres manières de vivre et de se divertir. Le film documente une série de concerts remarquables et passionnants joués par Hosono devant un public américain. Les représentations terminées, une époque touche à sa fin. Alors, quelle est la suite ? D’une certaine manière, je pense que c’est de cela qu’il s’agit. Hosono se demande : “Que vais-je faire ensuite ?” Et il pose la même question au public: “Et vous, qu’allez-vous faire ?” »
(Interview et texte de Matsumoto Takuya, de Nippon.com. Photo de titre : Hosono Haruomi sur scène aux États-Unis © 2021 « Haruomi Hosono Sayonara America » Film Partners)
Sayonara America
- Musique : Hosono Haruomi
- Réalisation : Sado Taketoshi
- Production : Iida Masahiro
- Site officiel (en japonais): gaga.ne.jp/sayonara-america