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« Ride or Die », deux femmes percutantes dans un road movie signé Hiroki Ryûichi et Netflix

Cinéma

2021 est une année prolifique pour les films japonais produits par Netflix, à l’instar de Ride or Die, un road movie porté par deux vedettes qui se livrent corps et âmes dans leurs rôles. Le réalisateur Hiroki Ryûichi nous dévoile comment il a esquissé ce portrait délicat de deux femmes traversant en voiture de somptueux paysages estivaux du Japon.

Hiroki Ryûichi HIROKI Ryuichi

Réalisateur. Né en 1954. Il commence sa carrière en tant qu’assistant réalisateur sur divers films, avant de tourner son premier film en 1982. Il se fait connaître avec Vibrator, sorti en 2003, qui a été primé par des festivals de cinéma de plus de 40 pays. Réalisateur prolifique, Ride or Die est son deuxième projet produit par Netflix, après la série Hibana sortie en 2016.

Quarante ans à observer les femmes

L’industrie du streaming a le vent en poupe depuis la pandémie de Covid-19 et le géant Netflix ne fait pas exception : produisant depuis quelques années ses propres longs-métrages, il empiète sur un territoire qui appartenait historiquement aux grands studios de Hollywood grâce à de gros budgets, des acteurs talentueux et des équipes de tournage de première classe. Aux Oscars cette année, Netflix était présent dans toutes les catégories de récompenses avec 16 films et 38 nominations.

Netflix s’efforce d’étoffer son offre de films originaux japonais, et Ride or Die, distribué sur la plateforme de streaming dans le monde entier depuis le 15 avril, est son fer de lance. Hiroki Ryûichi, le réalisateur du film, est un vétéran du cinéma : depuis ses débuts en 1982 avec un film porno soft, il a travaillé sans interruption pendant près de 40 ans, s’appliquant à dépeindre la condition humaine sous des perspectives diverses. Il compte plus de 70 œuvres à son actif, allant de films pour jeunes à des histoires d’amour en passant par des drames historiques ou encore des films érotiques, mais il est particulièrement connu pour ses représentations des femmes.

Rei (Mizuhara Kiko, à gauche) et Nanae (Satô Honami, à droite) dans Ride or Die.
Rei (Mizuhara Kiko, à gauche) et Nanae (Satô Honami, à droite) dans Ride or Die.

« À la base, depuis l’époque où je réalisais des films érotiques, j’étais fortement influencé par les femmes mangaka comme Okazaki Kyôko, explique Hiroki. Le porno soft était un genre centré sur l’homme, mais certains, dont moi, se sont efforcés de changer cela pour placer la femme au centre. Ce que nous voulions, c’était de montrer les vrais sentiments féminins, plutôt que de simplement les décrire comme le fantasme sexuel des hommes. Depuis, je me concentre uniquement sur les femmes. »

Des émotions qui évoluent au fil du road movie

Ride or Die est aussi un film basé sur un manga écrit par une femme : Gunjô, de Nakamura Ching. Publié de 2007 à 2012 dans un magazine mensuel, le manga a aussi été relié en trois volumes et compte environ 1 500 pages. L’intrigue porte sur une femme qui, souffrant de violences conjugales, convainc une ancienne camarade de classe lesbienne de tuer son mari. Les deux prennent ensuite la fuite en voiture, sans destination particulière. Cette histoire d’amour passionnée, soutenue par des fans très enthousiastes, a attiré l’attention du réalisateur alors même que le manga était encore en cours d’écriture.

Le personnage de Nanae souffre des violences physiques de son mari.
Le personnage de Nanae souffre des violences physiques de son mari.

« Les gens me disent que je fais des films dans toutes sortes de genres différents, mais ce n’est pas comme cela que je vois les choses, j’ai plutôt l’impression de relever un défi différent à chaque nouveau projet. Ce qui m’a attiré dans le manga, c’est la façon dont les femmes discutaient ouvertement de leurs sentiments. Parfois je ne comprenais pas vraiment, et je voulais me confronter à cela. J’ai voulu faire un road movie qui décrit l’évolution des sentiments de deux femmes, comme un journal intime ou un documentaire. »

Le fait qu’il s’agisse d’un film Netflix n’a pas changé beaucoup de choses au tournage par rapport à ses précédents projets, mais une particularité est que tous les plans du film, du début à la fin, ont été tournés en continuité, dans l’ordre chronologique du scénario. C’est assez inhabituel de procéder ainsi compte tenu des contraintes liées aux emplois du temps des acteurs, le nombre de jours de tournage ou le budget. Mais le réalisateur avait ses raisons :

« Ce qui était important pour moi, c’est qu’on me laisse la liberté de filmer dans ce que je considère être les conditions idéales. Puisqu’il s’agit d’un road movie, je me suis dit qu’il serait bien de voir l’évolution progressive des sentiments des personnages, au fur et à mesure du changement des décors. En procédant de cette manière, je pouvais voir comment la relation entre les deux changeait tout au long du tournage. »

Les deux personnages s'arrêtant chez le père de Nanae.
Les deux personnages s’arrêtant chez le père de Nanae

Mizuhara Kiko incarne Rei, une lesbienne née dans une famille aisée, et Satô Honami est Nanae, une femme qui a voulu s’éloigner de sa famille pauvre pour épouser un homme aisé, mais qui se révèle être violent. Comme il y avait des scènes de sexe très explicites dans la série originale, accepter de les jouer faisait partie des conditions pour être retenues au casting et il est intéressant de noter qu’aucune des deux femmes n’étaient seulement actrices. En effet, Mizuhara Kiko a commencé sa carrière en tant que mannequin, tandis que Satô Honami est la batteuse du groupe « Gesu no Kiwami Otome », sous son nom de scène Hona Ikoka.

« Je pense qu’au Japon, il y a peu d’acteurs, hommes et femmes compris, déclare Hiroki. On se rend compte que ce sont toujours les mêmes comédiens dans les films. J’aimerais voir beaucoup plus de gens différents. Ces deux-là ont un énorme potentiel en tant qu’actrices. Mizuhara peut jouer tellement d’expressions différentes. Parfois elle ressemble à une petite fille, mais d’autres fois, elle paraît comme une adulte à l’âge indéterminable, et je pense que cette large gamme d’expressions convient au cinéma. Quant à Satô, je dirais qu’elle arrive à entrer dans la peau de son personnage, elle sait adopter une véritable approche d’actrice dans son jeu. »

Une scène vers la fin de leur road trip
Une scène vers la fin de leur road trip

Montrer le Japon actuel de manière naturelle, sans exagération

Se livrant mutuellement leurs cœurs, les deux personnages partagent leurs vrais sentiments rient, pleurent, se disputent. Elles se mettent à nu corps et âme, et la caméra est là pour capturer l’essence de ces moments. Ces scènes sont entrecoupées par différentes esquisses : celle de leur jeunesse, leur première rencontre au lycée dix ans auparavant, leur vie avec leurs partenaires, le moment déterminant de leurs retrouvailles, puis le voyage sans retour qui s’ensuit. Elles fuient le passé, quittant la métropole au milieu de la nuit, traversant les banlieues le jour puis les villes de province à l’aube pour parcourir de vastes plaines, jusqu’à une ville en bord de mer. Les images des deux femmes parcourant le pays dans leur fuite sont magnifiques.

« Nous avons décidé à l’avance du positionnement et du mouvement de la caméra lorsque nous avons fait le repérage des extérieurs, note le réalisateur. Mais les détails, comme à quel moment passer à un gros plan ou quand filmer de face ou de profil, ont été décidés en fonction du jeu, en même temps qu’on répétait sur place. Cette fois, on a fait beaucoup de gros plans et de plans larges, et presque rien entre les deux. On a voulu filmer les deux femmes de loin dans les paysages, puis de près pour montrer leurs sentiments. L’idée était de faire ressortir un réalisme proche d’un documentaire à travers leurs expressions. »

C’est dans ce travail cinématographique saisissant que l’on retrouve ce que le réalisateur voulait exprimer avec ce film : l’histoire de deux femmes vivant dans le Japon et ses paysages d’aujourd’hui, sans avoir besoin de traiter de thèmes compliqués. La distribution mondiale de Netflix a sans doute influencé cette approche, et a aussi posé de nouveaux défis pour le réalisateur. Il explique que son objectif était de proposer un aperçu de l’époque et des paysages d’aujourd’hui et d’y représenter de manière intense et éclatante une nouvelle image de la femme incarnée par les deux personnages. Cet aperçu serait vu dans le monde entier par des personnes de la même génération, qui ressentiraient, doucement mais certainement, la même volonté que celles des deux femmes à l’écran : celle de se libérer. Ce film appelle à ce genre d’émancipation.

Comme le dit Hiroki : « Je pense que les films sont un reflet de leur époque. En tournant ce film, j’ai voulu montrer le Japon actuel de manière naturelle, sans exagération. Je me suis aussi dit que les femmes et leur style de vie sont le reflet du Japon d’aujourd’hui. J’ai donc voulu au mieux représenter cela dans le film. Les décors passent de petits espaces claustrophobiques à de vastes extérieurs, et il y aussi une forte différence d’intensité dans les émotions exprimées ouvertement par les deux femmes. Le dynamisme de ces oscillations entre deux opposés fonctionne très bien. J’aimerais que le spectateur soit un observateur de l’évolution progressive de ces deux femmes, de ce qu’elles découvrent à leur destination et de ce qui les attend au-delà. »

(Texte et interview de Matsumoto Takuya, de Nippon.com. Photos d’interview : Hanai Tomoko)

Le film

  • Casting : Mizuhara Kiko, Satô Honami, Niiro Shinya, Tanaka Shunsuke
  • Réalisateur : Hiroki Ryûichi
  • Production : Umekawa Haruo
  • Basé sur le manga Gunjô, de Nakamura Ching
  • Disponible sur Netflix : https://www.netflix.com/彼女

Bande annonce

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