« Et vous, comment vivrez-vous ? » : le roman qui a inspiré Miyazaki Hayao pour son dernier film
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Et vous, comment vivrez-vous ? (titre original Kimitachi wa dou ikiru ka) est un classique, un best-seller atemporel.
Publié pour la première fois en 1937, le roman a été écrit par l’éditeur Yoshino Genzaburô (1899-1981), qui est également le fondateur de la grande maison d’édition Iwanami Shinsho. Son succès de librairie ne s’est jamais démenti. (Le livre est paru en français aux Éditions Picquier, traduit par Patrick Honnoré.)
L’adaptation en manga sortie en 2017 s’est vendue à plus de 2 millions d’exemplaires. Six ans plus tard, le célèbre réalisateur Miyazaki Hayao qui, enfant, a tant été ému par le livre, en propose une adaptation pour l’écran.
Plus de 80 ans ont passé depuis la parution de l’ouvrage écrit au début de la Seconde Guerre mondiale et pourtant ce roman continue de séduire les lecteurs. Pourquoi ce succès ?
Nos précieux sentiments
Coper, le protagoniste du livre, a 15 ans (pour connaître l’origine de ce surnom, lisez le roman). Il est en deuxième année de collège, ce qui en 1937, alors que beaucoup de d’enfants n’allaient pas au-delà de l’école primaire et commençaient très tôt à travailler, signifie que le héros fait partie de l’élite.
Coper est un garnement mais il n’est pas mauvais à l’école. Malin, il réfléchit vite, sait profiter de tout ce que la vie lui apprend jour après jour, il est parfois inquiet, il rit ou pleure de ses mésaventures. Ce livre est le récit des aventures quotidiennes d’un jeune homme et des « cahiers » que noircit pour lui son oncle.
Cette histoire embrasse de nombreuses questions : citons la différence de classe sociale qui transparaît de ses conversations avec ses camarades, écarts entre riches et pauvres, on y parle d’amitié et de disputes entre amis de confiance. L’anecdote sur Napoléon permet de réfléchir à ce qu’est un « grand homme ».
Si à travers ce roman l’on voit le monde par les yeux d’un jeune de 15 ans, le personnage de l’oncle permet également d’aborder des questions abstraites qui font réfléchir tant Coper que les lecteurs.
Coper, je te le répète, tu dois faire grand cas de tes émotions intimes et des sentiments qui t’habitent. Ils te sont précieux. Ne les oublie pas et réfléchis bien à ce qu’ils veulent dire.
Si tu ne penses qu’à te vanter de ce que tu es et de ce que tu fais en méprisant les pauvres, tu seras méprisé et moqué à ton tour par ceux qui ont un grand cœur.
Ce qui nous remue les tripes, nous émeut et nous arrache d’amères larmes, c’est la conscience de nos erreurs. Ce qui est fait est fait, c’est irrémédiable.
Quand ce livre paraît en 1937, la guerre sino-japonaise vient de commencer. La loi de mobilisation nationale est adoptée l’année suivante en 1938, la Seconde Guerre mondiale débute en Europe en 1939 et le Japon sombre peu à peu dans le militarisme…
Naturellement, beaucoup ont fait un mauvais accueil à ce livre qui prône de mettre les sentiments au premier plan, ce qui n’était pas en phase avec la tendance naissante à « l’embrigadement des jeunes ». Je me demande qui furent ceux qui, à l’époque, ont osé lire et faire lire ce livre à leurs enfants. Qu’avaient-ils en tête ?
Transmettre aux enfants cette « bonne parole »
En 2023, le temps a passé et nous avons le recul nécessaire pour y repenser. Je voudrais qu’adultes et jeunes le lisent ensemble.
Je me souviens qu’en primaire, mon instituteur utilisait ce roman dans son cours de morale. Pour être honnête, j’allais vers mes 10 ans et je ne me sentais pas en phase ni avec Coper ni avec la façon de penser de son oncle. On ne lisait que quelques extraits choisis dont on discutait en classe et je n’ai pas saisi la profondeur du livre, son message. Je crois que nous nous sommes cantonnés à des banalités et des commentaires assez superficiels. J’en garde plutôt un mauvais souvenir...
Mais maintenant que j’ai relu le livre, je ne peux que penser « Mais c’est bien sûr ! ». Tout m’apparaît si clairement maintenant, ce que ressent Coper, ce que son oncle essaie de lui transmettre.
Ce qu’à dix ans je n’avais pas compris et que je n’arrivais pas à voir paraît désormais évident à l’adulte que je suis. Le message de l’oncle me semble aujourd’hui si limpide et naturel.
La honte que l’on ressent quand on cherche à fuir les responsabilités, victime de cette peur de se mettre en danger. La précipitation qui s’empare de nous en voyant qu’on est en train de prendre les autres de haut. La joie de voir qu’il suffit d’un mot d’un ami pour voir s’évanouir une angoisse qui nous tenaillait depuis des jours. Enfin, réaliser combien le temps passé entre amis est fugace et précieux, alors que jusqu’alors on le vivait sans même y prendre garde.
Si on lit le livre après avoir fait l’expérience de ces situations, alors on commence à avoir envie à notre tour de transmettre à ses enfants cette « bonne parole » que l’oncle nous prêchait. C’est sûrement ainsi que ce livre passe de génération en génération.
Il est évident que le message du livre est difficile à cerner pour les jeunes. Mais il est si important que je voudrais qu’ils le comprennent. Alors un jour peut-être nous saurons répondre sans hésiter à la question posée à la fin du livre « Et vous comment vivrez-vous ? »