L’essor du vin japonais : à la découverte des pionniers et des vignerons
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Le terroir des vins japonais
Dans son nouveau livre « Au plus profond des vignobles du Japon » (Nihon winery no shin’en), l’essayiste Toriumi Minako remarque :
Le vin est un monde à la profondeur et au charme infinis. Dans ce recueil, je vous présente douze récits de personnes qui se sont plongées dans cet univers.
Comment définir le vin japonais ? Selon l’Agence nationale des impôts, c’est un vin produit exclusivement avec des raisins récoltés sur l’Archipel. Le vin japonais se trouve actuellement dans une période de boom en quelque sorte. L’édition du 20 novembre 2022 du bulletin de l’Association des sommeliers du Japon, dont le chef est Tasaki Shin’ya, le sommelier le plus réputé du pays, est un numéro spécial intitulé « C’est le moment de parler du vin japonais ».
Parler du vin, c’est surtout parler du « terroir ». Ce terme représente une idée profonde qui pourrait être interprétée de façons variées. Mais dans le cadre de ce recueil, Toriumi le définit comme ceci :
C’est un mot qui évoque un ensemble de paramètres physiques tels que le sol, le soleil, la température, la précipitation, le drainage, la circulation de l’air et l’altitude des vignobles, mais aussi l’approche et la philosophie du vigneron qui doit tenir compte de ces facteurs dans son travail.
Même avec un cépage identique, le terroir — qui peut faire référence à l’environnement de toute une région ou d’une parcelle particulière — peut donner un goût différent au vin obtenu.
La France et les autres pays viticoles d’Europe, dont la production est généralement appelée « du vieux monde », ont souvent moins de pluie et davantage d’ensoleillement. Ces régions ont aussi des écarts de température plus importants dans une même journée. Dans le passé, le Japon n’était pas considéré propice à la culture viticole dû à son taux élevé de précipitation et ses faibles écarts de température.
Toutefois, on trouve aujourd’hui des exploitations viticoles partout au Japon. On y trouve même du pinot noir, un cépage de Bourgogne qui est particulièrement difficile à cultiver. Les vins japonais sont particulièrement délicats, avec une certaine saveur et une élégance qui met en valeur le climat de la région de production, que ce soit le climat septentrional de Hokkaidô ou le climat méridional de la mer intérieure de Seto.
« Le père du vin japonais » et « le grand rénovateur »
Chacun des 12 chapitres du livre est dédié à un vignoble, et on y présente 16 vignerons en tout, dont quatre couples. En ce moment, la plupart des vignerons en activité ont entre 40 et 60 ans. Beaucoup d’entre eux ont un certain bagage universitaire, y compris dans les sciences, et ils ont étudié en France, aux États-Unis ou en Australie. Ce sont des gens cultivés, intelligents et charmants.
Deux hommes en particulier ont joué un rôle important dans cet essor du vin japonais, et l’auteure décrit le lien qu’ils ont créé avec les vignerons présentés dans l’ouvrage.
Le premier s’appelle Asai Shôgô. Expert en fermentation, on l’appelait « le père du vin japonais contemporain ». Il est l’auteur de « La philosophie de la vinification » (Wine-zukuri no shisô) sous le nom de plume Asai Usuke. Il a été directeur de Mercian Wines et chef de chai à Katsunuma Winery avant son décès en 2002, à l’âge de 71 ans.
Un bon exemple de l’influence d’Asai sur ces vignerons est Kishidaira Norikoi, cinquième génération a la tête de Takeda Winery, fondé en 1920 à Yamagata. Kishidaira est une pionnière en tant que femme dans le monde viticole, et elle a étudié en France pendant quatre ans. Son père connaissait Asai, et son œuvre l’a beaucoup influencée. Oyama Kôki, du Domaine Oyamada, dans la préfecture de Yamanashi, a quant à lui pris des cours de sommelier avec Asai quand il effectuait ses études universitaires.
L’autre personnalité influente est le vigneron américain Bruce Gutlove. Sa femme et lui gèrent 10R, le centre de broyage sur mesure dans le Hokkaidô. L’auteure le présente comme le « grand rénovateur » du vin japonais.
Gutlove est né en 1961 dans l’état de New York. Il a fait ses études à l’Université de Californie, à Davis, qui a le meilleur programme d’œnologie des États-Unis. Il est arrivé au Japon en 1989 et a travaillé pendant des années à Coco Farm and Winery, dans la préfecture de Tochigi, où il a formé des étudiants venus de tout le pays. La particularité de Coco est d’embaucher des gens ayant des handicaps mentaux. Son vin pétillant a été choisi pour le toast du sommet du G8 à Okinawa en 2008. Gutlove est parti s’installer dans le Hokkaidô en 2009, quand il travaillait encore chez Coco.
Depuis ce temps, l’Américain est devenu un maitre formateur pour beaucoup des viticulteurs de Hokkaidô, y compris Soga Takahiko, du Domaine Takahiko, Sasaki Ken et Kazuko de Norakura, Kondô Ryôsuke de Kondô Vineyards, et Nakazawa Takahiko et Yukiko de Nakazawa Vineyard.
Le vin naturel et le problème des sulfites
L’idée du « vin naturel » est récemment devenue une tendance globale. Les vignerons présentés dans l’ouvrage en sont partisans, tout particulièrement Ôoka Hirotake de La Grande Colline Japon, dans la préfecture d’Okayama. Il a passé 20 ans en France où il a créé son propre vignoble avant son retour sur l’Archipel en 2016. Au Japon, il s’est mis à utiliser le Shôkôshi, un nouveau cépage dérivé d’une variété sauvage de raisin de montagne (yamabudô) japonais.
Dans son livre « La viticulture selon Ôoka Hirotake » (Ôoka Hirotake no wain-zukuri), il parle du vin naturel comme étant « à la base, un terme générique pour décrire du vin élaboré à partir de raisins en culture biologique ou des méthodes plus naturelles, et fermenté sans l’ajout de sucre, d’acide, de levain, de sulfites ou autres ». (Voir également notre article : « Le terroir japonais » : quand le saké rencontre le vin naturel français)
Les sulfites sont des anti-oxydants qui sont introduits dans la plupart des vins, et le débat autour de leur utilisation est loin d’être récent. Ôoka est convaincu que leur ajout durcit le goût du vin. Toriumi remarque toutefois que « la fermentation en elle-même crée naturellement des sulfites, et on ne peut donc pas parler de vins sans sulfites ». Elle renchérit que « le vin est trop complexe pour le réduire à un débat sur les sulfites ».
Le vin japonais vise toujours plus haut
L’Argentine, grande puissance viticole en Amérique du Sud, a gagné la Coupe du monde de football au Qatar en 2022. Il s’avère que sa superstar, Lionel Messi, travaille avec un vignoble argentin pour produire un vin spécial. Les grands pays viticoles sont aussi forts en foot : la France est l’empire incontesté du vin. Et l’Allemagne et l’Espagne sont parmi les dix plus grands producteurs de vin au monde.
L’histoire viticole du Japon reste courte — seulement 140 ans. L’Archipel est environ 25e mondial en production de vin, non loin de sa 20e place en football (décembre 2022). Si l’on commence à remarquer le vin japonais à l’étranger, il reste un nouveau venu, sans la culture millénaire du vin des pays européens. Mais les 12 vignobles et les 16 vignerons présentés dans ce livre représentent une nouvelle ère du vin au Japon. Selon l’auteure, « ce sont de vrais pionniers qui propulsent le Japon vers de nouveaux sommets en tant que région viticole émergeante à l’Extrême-Orient du monde ».
Voir également nos articles
- Les fabuleux raisins du nord : à la rencontre des vignerons de Hokkaidô
- Le vin et le cidre de Fukushima : une production de qualité pour redorer l’image de la région
(Photo de titre : la cave à vin « Azucca e Azucco » fondée en 2006 dans la préfecture d’Aichi. Prise le 20 novembre 2022 par Izumi Nobumichi)