« Sortie parc, gare d’Ueno » : le best-seller japonais de Yû Miri en hommage à ceux qui ont tout perdu

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Amano Hisaki [Profil]

En novembre 2020, le roman de Yû Miri intitulé Sortie parc, gare d’Ueno (en français aux Éditions Actes Sud) a remporté le prestigieux prix littéraire américain National Book Award dans la catégorie « littérature traduite ». Il est ensuite devenu un véritable best-seller.

Les « Jeux olympiques de la reconstruction » : pas pour tout le monde

Par effet de miroir, la période où Kazu est un sans-abri dans le parc d’Ueno correspond à la période de candidature de Tokyo à l’organisation des Jeux olympiques de 2020. Dans le roman, Kazu remarque deux « nouveaux grands panneaux » à l’entrée du parc. « Futur site du patrimoine mondial : le bâtiment principal du Musée national de l’Art occidental a été recommandé comme site du patrimoine mondial de l’Unesco » peut-on lire. « Plus que jamais, le Japon a besoin du pouvoir des rêves. Pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2020 au Japon ! »

C’est alors que le parc est rendu plus « propre » que jamais. Rien à avoir avec ce qu’il était avant. Les SDF sont contraints de rester dans les zones désignées, loin des regards. Kazu se demande alors si « la note de Tokyo sera moins bonne lorsque les commissaires étrangers en charge de l’inscription sur la liste des sites du patrimoine mondial et les comités de sélection olympique auront vu les tentes des sans-abris ».

La version japonaise du livre a été publiée six mois après l’attribution officielle des Jeux olympiques et paralympiques 2020 à Tokyo. Yû Miri écrit dans son épilogue : « Beaucoup voient cet événement à travers une lentille d’espoir. C’est exactement pourquoi, lorsque j’observe à travers cette même lentille, je décèle quelque chose qui n’est pas net, quelque chose qui va au-delà de l’émotion et de la passion. »

On peut dire que Yû Miri avait vu juste. Le début de la construction des sites des futurs Jeux olympiques de Tokyo a entraîné une flambée les prix des matériaux de construction, et la main-d'œuvre jusqu’alors affairée à reconstruire les zones sinistrées a dû également se mettre à l’œuvre. Certains survivants du séisme et du tsunami ont même été contraints de retarder la reconstruction de leur maison. Les « Jeux olympiques de la reconstruction » ont mis un sérieux coup de frein à la reconstruction en elle-même.

Un prochain ouvrage en préparation ?

En 2015, Yû Miri quitte Kamakura pour s’installer à Minami-Sôma, où elle dirige actuellement un café littéraire, tout en poursuivant sa carrière de journaliste et d’écrivain.

Le 30 novembre 2020, le nombre d’habitants à Odaka, Minami-Sôma, où vit Yû Miri, était de 7 053 habitants. Avant l’accident à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, la ville comptait 12 834 personnes. Près la moitié des résidents qui sont revenus après la catastrophe sont âgés de 65 ans, et il est à craindre que le vieillissement de la ville ne s’accélère. Par ailleurs, en raison de la pandémie de Covid-19, un nombre accru de personnes âgées meurent seules chez elles, sans personne à leurs côtés.

Les travaux de décontamination et de démolition des habitations à proximité des réacteurs nucléaires finissent par être principalement confiés à des travailleurs d’Okinawa, au salaire minimum peu élevé, et à des journaliers originaires d’Osaka. Victimes de licenciements abusifs, certains deviennent eux-mêmes des sans-abris. Certains travailleurs qui meurent de maladie ou d’accident n’ont pas de parents proches ou travaillent sous des pseudonymes. Leur véritable nom est inconnu. Les urnes funéraires contenant des cendres que personne ne vient réclamer finissent par être conservées au temple bouddhiste local par le prêtre principal.

Les multiples efforts déployés pour remporter les Jeux olympiques, puis la pandémie de Covid-19, ont déchiré le voile qui recouvrait toutes ces personnes, analyse Yû Miri. Elle dit espérer évoquer cet aspect dans un ouvrage complémentaire à Sortie parc, gare d’Ueno. Il pourrait s’intituler « Gare de Yonomori, ligne Jôban » (Yonomori se trouve dans la ville de Tomioka, lourdement touchée par la catastrophe).

« Au fur et mesure de notre vie, nous sommes forcément confrontés à la notion de perte, quelle qu’elle soit » explique l’auteure. « Et à la fin, tout le monde perd sa propre vie. Mais je ne pense pas que les choses que nous perdons disparaissent dans le néant. L’existence d’une personne, les événements qu’elle a vécus, tout cela résonne bien après son départ. Tendre l’oreille pour écouter ces échos est précisément le devoir d’un romancier ».

(Photo de titre : Yû Miri lors d’un événement organisé par le Club des correspondants étrangers du Japon. Avec l’aimable autorisation de Kawade Shobô Shinsha).

Yû Miri

Née à Yokohama en 1968 de parents coréens. Elle abandonne le lycée et se consacre à l’écriture de pièces de théâtre et à des mises en scène. Elle sort son premier roman en 1994 intitulé Poissons nageant contre les pierres (paru en France en 2015 aux éditions Actes Sud). En 1997, elle remporte la plus importante récompense littéraire japonaise, le prix Akutagawa, pour son livre Kazoku cinema (non paru en français). Son best-seller Sortie parc, gard d’Ueno est sorti en 2014 au Japon et en 2015 en français (aux Éditions Actes Sud). Depuis 2015, elle vit à Minami-Sôma, dans le nord-est du pays, une ville qui a été durement touchée par le séisme meurtrier, le tsunami et l’accident nucléaire de Fukushima.

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Amano HisakiArticles de l'auteur

Né à Akita en 1961, Amano Hisaki est diplômé de l’université Waseda (département d'économie de la faculté des sciences politiques et économiques) et de l’université pour étrangers de Pérouse (département langue et culture italiennes). Il a travaillé une vingtaine d’années comme journaliste sportif au Mainichi Shimbun avant de devenir traducteur et rédacteur freelance.

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