
Kawakami Mieko : une romancière qui s’est fait le porte-parole des femmes japonaises
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Une écriture très originale
Kawakami Mieko a aussi donné des explications à propos des longs dialogues qui ponctuent ses œuvres et que certains lui reprochent. « J’aime Dostoïevski. Dans ses romans, il y a des monologues et des échanges qui s’étendent parfois sur plusieurs pages. Certains trouvent sûrement que les passages avec des conversations d’une telle longueur ne tiennent pas debout. Mais je ne suis pas d’accord. Pour moi, c’est une pratique typique d’Osaka. Et peut-être aussi un point commun entre la Russie et ma ville natale. » Dans Seins et Œufs, le fait que les personnages sont originaires d’Osaka a une importance capitale, même si le plus clair de l’action se déroule à Tokyo.
Des voix qui n’arrivent pas à se faire entendre
La romancière a dit également qu’un grand nombre de ses lecteurs étrangers avaient été surpris de découvrir qu’on pouvait vivre dans la pauvreté au Japon. Dans la première partie de Seins et Œufs, Natsuko raconte comment elle a grandi dans la gêne. Un beau jour, son père disparaît subitement et des hommes inquiétants commencent à faire leur apparition autour de la maison. Sa mère va donc s’installer chez la grand-mère de Natsuko avec ses enfants. Mais les deux femmes ne tardent à mourir, laissant les deux jeunes filles livrées à elles-mêmes. Natsuko doit travailler alors qu’elle n’est encore qu’une toute jeune adolescente. Elle s’efforce de gagner ce qu’elle peut en dehors de ses heures de cours, une tâche difficile pour un enfant mineur. « Je me souviens d’avoir été obligée de mentir sur mon âge à l’usine. Et ce à chacune des vacances scolaires, printemps, été et hiver, durant les trois années où j’ai fréquenté le collège. »
La lauréate du prix Akutagawa 2008 a également abordé le problème de la condition des mères de famille au Japon. « Avoir un enfant tout en continuant de travailler est extrêmement difficile. » Kawakami Mieko y est parvenue grâce à son succès en tant que romancière. Mais elle dit qu’elle ne veut pas qu’on la considère comme un exemple. Elle pense en effet qu’elle a eu de la chance et que la situation de la plupart des mères est beaucoup plus dure. « En fait, personne n’est attentif à la voix de ces femmes alors qu’elles devraient pouvoir se faire entendre. »
Une société où le patriarcat tient lieu de religion
Un des objectifs majeurs que Kawakami Mieko s’est fixé depuis qu’elle a atteint la quarantaine [elle a à présent 44 ans], c’est d’écrire un roman sur la religion. « J’aimerais parler de ce que les kami [les innombrables divinités du culte shintô] représentent ici, dans l’Archipel, ainsi que de la société japonaise après l’affaire Aum Shinrikyô », affirme-telle en se référant à l’attentat au gaz sarin perpétré en 1995 dans le métro de Tokyo par des membres de cette secte. Elle a donc imaginé une histoire centrée autour de Midoriko, la plus jeune des trois héroïnes de Seins et Œufs. Et à l’en croire, elle entend sa voix en train de lui parler, à l’arrière de sa tête.
En réponse à une question sur ce point, Kawakami Mieko a ajouté : « On entend souvent dire qu’au Japon, il n’y a ni religion ni croyance. Mais à mon avis, c’est une société où le patriarcat [c’est-à-dire un système où les hommes détiennent l’autorité] tient lieu de religion. » Elle s’est empressée de rappeler que son pays est doté d’un empereur considéré de façon tacite comme la plus haute autorité du shintô. On a donc tout lieu de supposer que son prochain roman ne se limitera pas à un simple exercice sur la religion.
Kawakami Mieko a également déclaré que si elle était ravie que Breasts and Eggs soit salué comme une œuvre féministe, il ne fallait pas oublier pour autant le rôle important qu’y tient la peinture des inégalités sociales. Elle a expliqué qu’elle voulait écrire sur la façon dont les gens naissent, vivent et meurent. D’ailleurs, l’un des thèmes majeurs de son livre c’est l’envie de vivre et de donner la vie, en dépit de l’existence parfois malheureuse, dans l’ombre de la mort, que peuvent mener ses personnages.
(D’après un texte en anglais du 20 novembre 2020. Photo de titre : la romancière Kawakami Mieko avec un exemplaire de la traduction en anglais Breasts and Eggs de son livre Natsu Monogatari, lors d’une réunion du Club des correspondants étrangers du Japon à Tokyo, en novembre 2020. © Mieko Kawakami)