Les adaptations animées en tête des classements
En novembre 2024, l’Agence japonaise pour les affaires culturelles (aidé par d’autres organismes) a publié une liste des mangas et animes les plus appréciés des visiteurs étrangers au Japon. En tête du classement : Demon Slayer : Kimetsu no Yaiba, suivi de L’Attaque des Titans. Tous les 10 premiers titres du classement sont des œuvres de manga adaptées en anime et diffusées à l’étranger.

En dehors de l’Archipel, les magazines de manga japonais hebdomadaires ou mensuels sont quasiment inexistants. Les gens découvrent donc d’abord les adaptations animées des œuvres par la télévision, le câble ou le streaming en ligne. Ce n’est qu’après avoir vu l’anime qu’ils se tournent vers le manga traduit. Cela tient au fait que ces émissions sont plus facilement accessibles sur de nombreux supports.

En 2021, TV Tokyo a commencé à diffuser certains animés populaires tels que Naruto dans les régions arabophones. Image promotionnelle tirée de Naruto Shippuden. (© Kishimoto Masashi / Scott / Shûeisha, TV Tokyo, Pierrot)
Des récits riches qui résonnent auprès de tous les publics
Traditionnellement, les dessins animés étrangers ciblent principalement les enfants et les familles. À l’inverse, l’anime japonais touche un public plus large, explorant souvent des thèmes comme l’essence de l’humanité, la vie, la mort, ou encore la guerre. Ces sujets sont très rarement abordés dans les animations non japonaises. Naruto raconte par exemple l’histoire d’un jeune ninja en difficulté qui s’allie à ses amis pour ramener la paix dans leur monde. Le récit suit le voyage initiatique de ce héros solitaire qui évolue en un ninja déterminé poursuivant ses rêves, et présente une large palette de personnalités chez les alliés comme les ennemis. Cette profondeur narrative provient largement du scénario du manga original.
En décembre 2024, L’Attaque des Titans était en tête du classement des « Animes les plus populaires » sur My Anime List, le plus grand site mondial dédié à l’anime et au manga. Là encore, c’est l’adaptation animée qui a d’abord suscité l’intérêt à l’étranger, attirant ensuite l’attention sur le manga original.

L’Attaque des Titans a défilé sur le tapis rouge lors de la cérémonie d’ouverture du 27ème Festival international du film de Tokyo, le 23 octobre 2014. (AFP / Jiji)
Le manga propulsé par l’anime
Dans L’Attaque des Titans, l’humanité est menacée d’extinction par des titans géants et lutte pour survivre à l’intérieur de murs immenses censés les protéger. Au-delà de ce postulat saisissant, des thèmes comme la ségrégation ou la haine raciale ont également trouvé un écho chez les publics occidentaux.
Aux États-Unis, les ventes du premier tome du manga, publié en 2012, ont explosé après le début de la diffusion de l’anime en streaming en avril 2013. Il a depuis été traduit dans plus de 180 pays et régions, avec 120 millions d’exemplaires écoulés dans le monde fin 2023, y compris au Japon.

Titres de mangas japonais en rayon dans une librairie américaine (Pixta)
Au Japon, les adaptations animées suivent généralement le succès d’un manga. À l’étranger, c’est souvent l’inverse : les fans sont d’abord séduits par l’anime japonais, perçu comme plus original et plus profond que les animations locales. Ce n’est qu’ensuite qu’ils découvrent le manga. Ce qui plaît n’est donc pas nécessairement le « manga japonais » en tant que tel, mais bien l’anime inspiré de l’œuvre papier.
La popularité de Slam Dunk en Chine a elle aussi commencé grâce à l’anime. Des touristes chinois se rendent même en pèlerinage au célèbre passage à niveau près du lycée de Kamakura, immortalisé dans la scène d’ouverture de l’anime. De même, Oshi no Ko, très populaire en Corée du Sud et aux États-Unis, doit son succès à son adaptation animée. Sa chanson d’ouverture, Idol, a atteint la première place du classement américain Billboard en juin 2023, amplifiant encore sa renommée.
Tout débute avec Astro Boy
Le premier anime télévisé japonais diffusé aux États-Unis était Astro Boy (Tetsuwan Atomu au Japon, sur la chaîne américaine NBC à partir de septembre 1963). Créé par Mushi Production, le studio d’animation fondé par l’auteur du manga, Tezuka Osamu, Astro Boy était la toute première série télévisée d’anime longue produite au Japon.

Exemplaires de mangas (dont notamment Astro Boy et Space Boy Soran) destinés aux enfants japonais à la fin des années 1960. (Jiji)
Même à l’époque, l’ordre était déjà « anime d’abord, manga ensuite ! » à l’étranger. Astro Boy se déroule dans un futur où humains et robots coexistent, et suit Atom, un robot garçon capable de penser, de ressentir et d’agir comme un humain. Diffusé pour la première fois sur Fuji TV en janvier 1963, il obtient rapidement des audiences records, lançant une vague d’animes télévisés au Japon. L’œuvre est exportée aux États-Unis grâce à Fujita Kiyoshi, président de la société de publicité Video Promotion. Dans une interview accordée à Wedge Online le 20 octobre 2009, intitulée « L’homme qui a lancé Astro Boy en Amérique », Fujita revient en détail sur cette aventure.
Fujita pensait qu’« un anime sans identité nationale marquée pouvait être accepté à l’étranger ». Bien que les décideurs aient tout d’abord été sceptiques, les trois grandes chaînes américaines (ABC, CBS et NBC) ont montré un fort intérêt pour l’œuvre de Tezuka. Lors de projections locales, les réactions ont tout de suite été très positives.

Cérémonie de 2003 marquant le retour d’Astro Boy aux États-Unis, 40 ans après sa première diffusion, ce qui coïncide avec la première édition officielle du manga dans le pays. (Jiji)
Ce succès s’explique en partie par la généralisation de la télévision aux États-Unis et au manque de contenus adaptés. En mars 1963, Tezuka Osamu se rend lui-même à New York pour conclure un contrat avec la NBC. L’anime est ensuite diffusé dans des pays comme l’Angleterre, la France, l’Allemagne de l’Ouest, l’Australie, Taïwan, la Thaïlande ou encore les Philippines, et ce bien avant toute traduction du manga Tetsuwan Atomu original.
Ce fut le point de départ de l’exportation à grande échelle de l’anime japonais. En 1966, la coproduction nippo-américaine Marine Boy (Ganbare ! Marine Kid au Japon) voit le jour. En 1967, Mach GoGoGo est diffusé aux États-Unis sous le nom de Speed Racer, devenant plus populaire aux États-Unis qu’au Japon. En 1975, UFO Robot Grendizer, troisième volet de la série Mazinger, est diffusé en France sous le nom Goldorak dès 1978, où l’anime rencontre un succès colossal. Il sera aussi diffusé au Moyen-Orient sous le titre Mughamirat al-Fada : Grendizer.

Jouets d’animes de robots présentés lors d’une vente aux enchères à Paris en 2013, incluant des objets liés à UFO Robot Grendizer, alias Goldorak. (Reuters / Charles Platiau) .
Traductions massives à partir des années 1980
La traduction à grande échelle des volumes de manga commence dans les années 1980, d’abord en Asie, puis en Europe dans les années 1990. Les éditeurs japonais hésitent cependant à s’exporter, la demande nationale restant forte et les coûts logistiques à l’étranger étant particulièrement élevés. L’édition non autorisée d’Astro Boy en 1987 se vendra mal. Ce n’est qu’en 2003 qu’une édition officielle sort aux États-Unis chez Dark Horse Comics.

L’édition américaine d’Astro Boy en 14 volumes par Dark Horse (Photo avec l’aimable autorisation de Nakano Haruyuki)
Le tournant vient avec la version anglaise de Sailor Moon par Tokyopop en 1998. Originaire de la côte ouest des États-Unis, la maison d’édition choisit pour la première fois de ne pas inverser les pages pour une lecture gauche-droite, conservant le format japonais d’origine. Vendue à prix abordable, au moment où les fans réclamaient avec insistance une rediffusion de l’anime, la série rencontre rapidement le succès. Tokyopop contribue aussi à la diffusion du manga japonais (en particulier des shôjo) en France et en Allemagne.
Malgré les débuts d’Astro Boy en anime dans les années 60 aux États-Unis, il faudra plus de 30 ans pour que le manga japonais traduit ne rencontre un véritable écho. Ce décalage s’explique par l’absence de culture du magazine de prépublication à l’étranger, la difficulté du sens de lecture japonais, et la simplicité d’accès de l’anime comme support. Au fond, le retard de popularité du manga à l’international s’explique par le fait qu’il suit souvent l’anime dans l’ordre de découverte.
Un modèle en évolution ?
Ce modèle pourrait-il changer ? Des éditeurs comme Shûeisha proposent désormais des versions anglaises de leurs mangas via des applications, parfois en simultané avec la publication japonaise. D’autres initiatives explorent l’usage de l’intelligence artificielle pour des traductions en temps réel en ligne.
Si l’anime reste aujourd’hui encore la porte d’entrée principale vers la culture japonaise à l’étranger, la sortie simultanée des mangas pourrait à terme permettre au public international de découvrir les œuvres originales avant leurs adaptations animées. Cela pourrait ouvrir la voie à un nouveau cycle : publication, découverte, puis adaptation animée… mais qui serait cette fois pensé dès l’origine pour le marché mondial.
(Photo de titre : la Japan Expo à Paris. L’édition de juillet 2024 a mis à l’honneur manga, cosplay, anime et jeux vidéo, attirant une foule toujours plus nombreuse. © Stéphane Mouchmouche / Hans Luca)