L’art peut-il résoudre les questions sociales ?
Un hôpital japonais où l’art peut soulager la douleur
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L’art comme moyen de communication
Le Zentsû-ji est un ancien temple situé dans l’actuelle préfecture de Kagawa (île de Shikoku, au sud-ouest du Japon), lieu qui a vu naître le grand maître bouddhiste Kûkai. À proximité de l’édifice se trouve le Centre médical de Shikoku pour enfants et adultes, résultat de la fusion en 2013 de deux hôpitaux : celui de Zentsû-ji et celui pour enfants de Kagawa.
Des dessins d’arbres aux couleurs vives tapissent les murs extérieurs de l’hôpital, et dans l’entrée de la section pour enfants se dresse une œuvre d’art de taille imposante, de couleur blanche qui pourrait s’apparenter à une sorte d’arbre également. Sa particularité : il est possible d’entrer à l’intérieur du tronc et de passer à travers, offrant de façon ludique un sas de décompression à des enfants sujets au stress dans la salle d’attente. Prendre l’ascenseur ? Un jeu d’enfant : suivez le train à vapeur ! L’ascenseur est indiqué par des pictogrammes classiques qui se superposent aux wagons d’un train circulant sur une vraie ligne de chemin de fer, avec une flèche indiquant où prendre l’ascenseur.
Dans les hôpitaux, les œuvres d’art sont généralement choisies pour créer un environnement apaisant. Au Centre médical de Shikoku, cependant, on comprend tout de suite que les œuvres d’art exposées ne sont pas simplement destinées à être regardées. Au contraire, elles sont plutôt utilisées comme un moyen de susciter la communication.
Un processus créatif conscient des personnes qui souffrent
Pour la directrice artistique de l’hôpital, Mori Aine, l’incorporation d'œuvres d’art dans l’environnement médical repose sur un processus créatif basé sur le dialogue. Elle demande aux patients comme à son personnel de partager leurs inquiétudes et leurs problèmes, auxquels elle donne le nom de « douleur ». Elle cherche ensuite le meilleur moyen de guérir cette douleur par le biais d’un dialogue objectif et la collaboration d’artistes, pour la transformer en « espoir », grâce à des œuvres d’art que chacun peut interpréter comme il le souhaite.
« Il est important de collaborer avec un grand nombre de personnes » explique Mori Aine. « Observez la douleur sous de multiples angles, et apparaîtra à vous le meilleur chemin à prendre. »
Ce sont des peintures murales pour le prédécesseur de l’établissement, l’hôpital pour enfants de Kagawa, qui sont en partie à l’origine de la nomination de Mori Aine au poste de directrice artistique du Centre médical.
La femme avait en fait deux casquettes : celle de photographe et celle de dénicheuse d’œuvres d’art pour les établissements médicaux. Elle a été contactée par le directeur de l’hôpital, qui trouvait les murs du service psychiatrique de l’unité pour adolescents de son hôpital plutôt tristes. Il lui a demandé de réaliser des peintures murales pour donner une touche de gaieté au bâtiment. Il ne pouvait y avoir de meilleure mission pour Mori Aine. Les patients, les membres de leurs familles et le personnel de l’hôpital lui ont suggéré de peindre des camphriers. L’arbre est le symbole de la ville.
Mori Aine a passé quatre mois à développer ce concept, recueillant les opinions des parties concernées. Résultat : six mois plus tard environ, les murs de l’hôpital avaient fait peau neuve, et mieux encore des bénévoles locaux avaient eux aussi mis la main à la pâte, suscitant même chez eux un sentiment d’attachement et de fierté à l’œuvre. Exprimant leurs frustrations, les enfants avaient fait des trous dans les murs, mais ils ont arrêté. L’atmosphère positive de convivialité a commencé à gagner les infirmières du service qui se sont peu à peu senties plus détendues. Qui aurait pu se douter d’un tel impact ? Forte de son succès, Mori Aine s’est vu confier le poste de directrice artistique du nouvel hôpital dès la phase de planification.
Les recommandations artistiques de Mori Aine sont en fait fortement influencées par sa propre expérience. Ayant perdu son mari à la suite d’une attaque cardiaque, elle a elle-même dû lutter contre ce qu’elle appelle une « douleur infernale ». Elle n’a pas pour autant arrêté son activité de photographe, bien au contraire. Elle l’a poursuivie en prenant des photos de ses deux enfants avec l’ancien appareil de son mari. Avec le temps, elle s’est aperçue que cela l’apaisait. « La photographie m’a donné un endroit où j’appartenais, en dépit de mes conflits et de ma souffrance » confie-t-elle. « L’art m’acceptait telle que j’étais pour enfin me donner de l’espoir pour continuer à vivre. »
L’art comme moyen de soulager la douleur
En se promenant dans le centre, les visiteurs se retrouvent nez à nez avec des œuvres d’art qui expriment un sentiment de générosité. Connaître l’histoire de chaque œuvre permet de comprendre mieux encore les sentiments qui animaient les personnes qui étaient impliquées dans leur création.
Dans le jardin devant l’hôpital se dressent de petites maisonnettes. À proximité, un panneau sur lequel on peut lire : « Ne marchez pas sur la pelouse, elle abrite de petits êtres. Seules certaines personnes peuvent voir ces petits êtres. » Ce panneau a été installé après que le gazon a commencé à être abîmé à cause du trop grand nombre de personnes qui marchaient sur la pelouse. À l’instar d’autres travaux réalisés dans l’établissement, le panneau et les petites maisons sont un moyen de dissuader un comportement indésirable, et créent un espace pour le plus grand bonheur des jeunes patients.
De petites alcôves en forme de maison ont été percées dans les murs en 19 endroits à l’hôpital. Toutes différentes, certaines ont des portes en bois qui s’ouvrent pour laisser apparaître des objets artisanaux et des cartes avec des messages, fabriqués avec l’aide de quelque 200 bénévoles. Les patients sont libres d’emporter chez eux chacun des objets renfermés dans ces alcôves.
Chaque alcôve a un thème différent. L’une d’entre elles est consacrée à une fillette qui a été patiente dans l’établissement. Une infirmière a mis un jouet près de son oreiller pour lui donner du courage avant son opération mais la fillette a été triste de devoir le rendre plus tard. Elle a donc elle-même commencé à fabriquer des jouets pour les enfants qui attendent de se faire opérer.
Cependant, elle avait à cœur d’aider les autres, mais elle voulait rester anonyme. C’est ainsi que Mori Aine a eu l’idée de ces alcôves, un endroit où la fillette pouvait cacher ses cadeaux. Plus tard, une autre petite fille a commencé à donner des bracelets misanga qu’elle avait fabriqués elle-même. Ce processus l’a amenée à s’ouvrir davantage si bien qu’elle a continué, alors même qu’elle se battait contre la maladie.
Pour Mori Aine, « les interactions invisibles lors d’activités artistiques donnent aux patients la force de vivre un jour de plus ». Son bureau est rempli de ces cadeaux confectionnés par des bénévoles. Les patients et les membres du personnel peuvent venir la voir quand ils le souhaitent, sa porte est toujours ouverte. Elle confie que lorsque ces derniers lui font part de leurs problèmes, cela lui donne de nouvelles idées pour de futurs projets artistiques.
Exprimer les émotions des membres du personnel
Mori Aine a travaillé sur de nombreux projets artistiques, mais c’est cette peinture murale réalisée dans le couloir menant de la morgue au parking qui a eu le plus d’impact sur sa propre façon de voir les choses.
Le directeur des soins infirmiers trouvait que les murs en béton étaient monotones et tristes. Mori Aine a donc évoqué la question avec des créateurs et a eu l’idée d’une peinture hommage composée de motifs de fleurs bleues peintes par 177 employés.
Certains membres du personnel n’ont pu retenir leurs larmes en peignant la fresque. Une fois terminée, certaines infirmières ont à nouveau pleuré en entendant les proches des personnes décédées exprimer leur reconnaissance en traversant le couloir. Cette expérience a fait comprendre à Mori Aine que les patients et leurs familles avaient bien sûr besoin d’être consolés, mais pas seulement. Les membres du personnel, qui compatissent avec ceux qui souffrent, avaient eux aussi besoin d’entendre des mots réconfortants.
« Cet hôpital est un environnement où chacun participe et où tout le monde crée ensemble », explique Mori Aine. « Je pense qu’en exprimant la sincérité du personnel médical, des patients et de leurs familles, on prend soin d’eux d’une manière qui n’est pas visible. »
Apaiser la douleur en dehors de l’hôpital
Mori Aine a recours à l’art pour soulager la douleur à l’intérieur de l’hôpital, bien sûr, mais également à l’extérieur. La première étape est de soutenir les familles lors de leur période de deuil après la perte d’un enfant.
Elle s’entoure notamment de chercheurs spécialisés dans l’examen des décès d’enfants, de personnes qui ont perdu des proches et de membres du personnel pour réaliser des « cartes d’aide au deuil » contenant des messages pour les familles concernées. Elle est également à l’origine d’une application pour smartphone qui montrent à leurs utilisateurs des images d’art et de paysages naturels.
Le Centre médical souhaite apporter son aide pour soulager des souffrances qui peuvent être très différentes. Mori Aine a pour ambition de continuer sur la voie qu’elle s’est fixée, cherchant à comprendre la douleur des autres, nouant un dialogue avec diverses personnes pour ouvrir un chemin d’espoir, où, à travers l’art, chacun pourra trouver le sien.
(Photo de titre : Mori Aine entourée de chercheurs impliqués dans le développement d’une application pour smartphone et la réalisation de cartes d’aide au deuil. Toutes les photos : © Kodera Kei)