L’art peut-il résoudre les questions sociales ?

Transcender l’espace, le temps et le handicap : le projet du musée d’art de Mizunoki

Société Art

Kawakatsu Miki [Profil]

L’art n’est pas exclusivement réservé aux artistes professionnels. Le musée d’art de Mizunoki, dans la préfecture de Kyoto, expose aux côtés de sa propre collection des œuvres pleines de vie, aux couleurs vives réalisées par des enfants handicapés, prouvant ainsi que l’art est à la portée de tous.

En harmonie avec la collection d’œuvres d’art du musée

Yamamoto Makiko a donné un titre à l’exposition, qui s’était tenue jusqu’au 10 mars 2024 : « Les biens perdus de la Terre ». Elle explique qu’en classe, elle a eu la sensation que « dans l’esprit innocent des enfants, tout doit apparaître comme la propriété perdue de la Terre : les arbres, les créatures souterraines, même vous et moi ».

Les passants peuvent jeter un coup d’œil à l’exposition à travers les baies vitrées du musée. (© 96Box)
Les passants peuvent jeter un coup d’œil à l’exposition à travers les baies vitrées du musée. (© 96Box)

Incontestablement, les dessins des enfants attirent l’attention mais les œuvres exposées sur les murs valent elles aussi le détour. Pour cette exposition, Yamamoto Makiko a choisi, parmi les 20 000 œuvres de la collection du musée d’art de Mizunoki, de l’art qui pour elle résonnait avec les œuvres des enfants de la classe Sakura-gakkyû. Les enfants qui ont remarqué les autres œuvres étaient tout excités et ont eux aussi voulu essayer de les imiter.

La collection du musée est composée d'œuvres réalisées par des personnes souffrant de déficiences intellectuelles qui suivent des cours d’art au centre d’aide sociale local, Mizunoki. Ces œuvres sont toutes chargées d’émotions : des motifs incroyablement complexes, une série de cercles peints dans des couleurs vives et tant d’autres.

Des œuvres de la collection du musée aux côtés de travaux d’enfants la classe Sakura-gakkyû, créant ainsi une sorte de « dialogue ». (© 96Box)
Des œuvres de la collection du musée aux côtés de travaux d’enfants la classe Sakura-gakkyû, créant ainsi une sorte de « dialogue ». (© 96Box)

L’art de Mizunoki reconnu au-delà des frontières du Japon

Le centre d’aide sociale de Mizunoki et le musée d’art de Mizunoki sont tous deux gérés par la Shôkaen Social Welfare Corporation. Les premiers cours d’art ont eu lieu dès 1964, avec le peintre japonais Nishigaki Chûichi comme professeur invité. Nishigaki Chûichi était convaincu que les mérites de l’art n’étaient pas liés au handicap. Il a enseigné l’art avec passion jusqu’à sa mort, en 2000.

Dans les années 1980, les œuvres des classes ont été récompensées lors de nombreuses expositions d’art public au Japon. En 1994, 32 œuvres de six artistes ont même été sélectionnées pour intégrer à part entière la collection permanente de l’Art Brut à Lausanne, en Suisse. C’était la première fois que des œuvres d’art du continent asiatique étaient acceptées. Et c’est grâce à la reconnaissance acquise au Japon et à l’étranger que le musée d’art de Mizunoki a pu ouvrir ses portes en 2012, pour accueillir et exposer les œuvres réalisées dans les classes d’art de Mizunoki.

Le musée d'art de Mizunoki est situé dans la ville de Kameoka, dans un bâtiment vieux de 100 ans, autrefois un salon de coiffure et une maison. (© 96Box)
Le musée d’art de Mizunoki est situé dans la ville de Kameoka, dans un bâtiment vieux de 100 ans, autrefois un salon de coiffure et une maison. (© 96Box)

Le musée d’art de Mizunoki est souvent décrit comme une galerie d’art brut, mais pour Okuyama Riko, la collection de Mizunoki ne saurait être interprétée de la même manière que le mouvement européen de l’ « art brut ». Cela est notamment dû au fait que l’histoire et le contexte du Japon sont différents des autres pays et que les approches de l’art et du bien-être sont également différentes. Elle explique que le musée préfère au contraire ne pas ranger l’art dans la catégorie « art brut » ou encore art réalisé par des personnes handicapées, afin de transcender les genres et collaborer avec d’autres personnes, même au-delà des frontières, et partager l’attrait de l’œuvre d’art et les initiatives mêmes du musée.

Lorsque j’ai rencontré Yamamoto Makiko et les élèves des classes spécialisées pour écrire sur la collection et la collaboration du musée, j’ai été impressionnée par la façon dont Okuyama Riko elle-même cherche à transcender les cadres existant par un monde artistique où les « bonnes » réponses n’existent pas. Voir les enfants profondément concentrés à créer leurs œuvres d’art et l’appréciation affectueuse de leurs créations dans les yeux d’Okuyama Riko m’a fait espérer qu’un jour peut-être des pièces de ce type seront simplement reconnues comme de l’ « art », quelle que soit la communauté à laquelle appartiennent leurs créateurs.

Okuyama Riko fonde de grands espoirs dans l'avenir du musée d'art de Mizunoki. (© 96Box)
Okuyama Riko fonde de grands espoirs dans l’avenir du musée d’art de Mizunoki. (© 96Box)

Musée d’art de Mizunoki

(Photo de titre : œuvres d’art de la collection du musée d’art de Mizunoki et œuvres des étudiants de la classe Sakura-gakkyû. © 96Box)

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Kawakatsu MikiArticles de l'auteur

Journaliste. Après un master en journalisme à l’Université de Columbia et une carrière chez Bloomberg News, elle devient journaliste freelance.

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