Un grand nombre de femmes japonaises sont particulièrement susceptibles de contracter de l’arthrose au niveau de la hanche en raison d’une maladie congénitale fréquente. À mesure que la pathologie progresse et que la douleur devient de plus en plus difficile à supporter, elle peut avoir un impact important sur la mobilité, et donc, sur la qualité de vie. Souffrant de la hanche depuis des dizaines d’années, ma femme a finalement décidé de se faire opérer. Dans cet article, je vais vous expliquer les étapes par lesquelles elle est passée, avec une place de choix dans le secteur de la médecine orthopédique.
La hanche : un rôle majeur dans le fonctionnement des articulations
Si l’être humain est capable de marcher sur ses deux jambes, c’est grâce à l’articulation de la hanche, qui relie le haut et le bas de son corps, tout en soutenant la partie qui va du bassin jusqu’à la tête. La structure simple de l’articulation, une boule insérée dans une cavité, est une merveille de la nature, permettant à la tête du fémur, qui est l’os le plus long du corps humain, de rouler à l’intérieur de l’acétabulum, qui lui a une forme incurvée, pour permettre une liberté de mouvement maximale.

La tête du fémur, ou os de la cuisse, s’insère et pivote librement à l’intérieur de l’acétabulum, de forme incurvée.
Cependant, avec l’âge, le cartilage qui absorbe les chocs entre la boule et la cavité a tendance à s’user et à se détériorer. Et c’est là que la personne commence à souffrir d’arthrose de la hanche, comme c’est le cas pour de nombreuses femmes japonaises d’un certain âge, en raison d’une maladie congénitale commune appelée dysplasie de la hanche. L’acétabulum rétrécit de façon anormale et perd en profondeur. À mesure que l’arthrose progresse et que la douleur devient de plus en plus vive, elle peut avoir de graves conséquences sur la mobilité et la qualité de vie.
Ma femme a commencé à ressentir une gêne dans la hanche lorsqu’elle était au collège. Elle adaptait sa façon de marcher pour compenser, entraînant un déséquilibre du développement musculaire. Conséquence, une de ses jambes a fini par être plus longue que l’autre. Avec le temps, elle ne pouvait plus que marcher sur de courtes distances. À chaque fois qu’elle ressentait une douleur, elle essayait un nouveau traitement mais rien ne changeait véritablement sur le long terme. Et elle a passé 50 ans de sa vie, comme ça.
Une décision difficile à prendre
Parfois, je lui massais les jambes et le haut du dos, espérant que son état s’améliorerait. Mais à mesure que le cartilage continuait de se détériorer, la douleur devenait de plus en plus insupportable. Elle a fini par opter pour une opération, une intervention où l’articulation endommagée est retirée et remplacée par une prothèse.

Un système de prothèse de hanche fabriqué par l’américain Stryker. Il pèse environ 100 g de plus que l’os et le cartilage qu’il remplace.
Ma femme était déjà régulièrement prise en charge par l’hôpital Nissan Tamagawa, en tant que patiente (arrondissement de Setagaya, à Tokyo), un centre réputé pour ses opérations de pose de prothèses de hanche au Japon. Au Hip Joint Center sont réalisées chaque année quelque milliers d’opérations et ma femme a eu la chance d’être prise en charge par le directeur du centre lui-même, le professeur Matsubara Masaaki, l’un des meilleurs chirurgiens dans le secteur.
Rien qu’au Japon, 4 millions de personnes souffriraient d’arthrose au niveau de la hanche, et ces souffrances pourraient souvent être évitées. C’est là que je me suis dit que c’était peut-être l’occasion d’offrir à ces patients un compte-rendu photographique de première main des dernières avancées en médecine orthopédique. Avec le consentement de ma femme, j’ai évoqué l’idée avec le professeur Matsubara, et l’hôpital a obtenu une autorisation spéciale de photographier et de documenter son traitement, de la planification préopératoire jusqu’à la phase de rééducation.

Une évaluation de la densité osseuse est l’une des nombreuses étapes préalables à une opération avant une intervention au niveau de la hanche.
La phase pré-opératoire
Tout d’abord, dans le cas d’une opération quelle qu’elle soit, une semaine avant le passage au bloc, l’équipe du patient se réunit dans une pièce appelée « studio de dessin ». C’est là qu’elle discute notamment de la meilleure approche à adopter pour le patient et élabore un plan chirurgical personnalisé, spécialisé, adapté au patient, à l’aide de dizaine de radios et autres examens d’imagerie.

L’équipe médicale se réunit afin d’élaborer un plan chirurgical personnalisé adapté aux besoins du patient, basé sur les résultats des tests et des examens d’imagerie du patient.
Le processus est tout d’abord manuel. Un transparent du fabricant de l’appareil est imprimé, avec des modèles de différentes tailles de l’implant, appelé cupule acétabulaire. Le professeur Matsubara pose une feuille de papier calque sur le transparent et utilise l’un des modèles comme référence pour dessiner son propre schéma, indiquant l’emplacement précis où devra être posé l’implant et l’angle d’insertion par rapport à la hanche et au fémur. « J’utilise un système de couleurs : le bleu pour les os et le rouge pour l’implant parce que j’aime le rendu que cela donne, et que cela permet de les différencier », explique le professeur Matsubara. « D’autres confrères ne font aucune différence et utilisent le crayon noir pour tout. C’est une question de préférence personnelle. »

Muni d’un rapporteur et d’une règle, le chirurgien dessine un schéma précis de l’implant par rapport à l’anatomie du patient. Cet exercice permet d’imprimer le plan chirurgical dans la mémoire physique du chirurgien.
Le dessin en deux dimensions semble être devenu une étape inutile, le logiciel de planification chirurgicale et de navigation du centre utilisant les données d’imagerie du patient pour générer un modèle tridimensionnel très précis. Pour autant, le professeur Matsubara ne souhaite sauter cette étape pour rien au monde. Au contraire, le processus par tâtonnements consistant à dessiner soi-même, de sa propre main, l’anatomie et l’implant est un exercice pré-opératoire des plus précieux qui fait appel à la mémoire physique du professionnel de santé, permettant de bien imprimer les relations spatiales dans l’esprit du chirurgien.
« Bien sûr, lorsque j’étais en formation, nous n’avions pas de logiciel 3D. Un de mes pairs m’a alors expliqué que le dessin à la main, loin d’être inutile, bien au contraire, aide à visualiser les structures et les connexions invisibles à l’œil nu, comme les tissus souples qui se cachent derrière l’os. Et j’applique cette méthode, sans faille, depuis trente ans maintenant. »
Le jour de chaque opération, dès 7 heures du matin, le professeur Matsubara est à pied d’œuvre et planche sur le plan pré-opératoire du patient.

« C’est comme cela qu’on insère la prothèse de hanche », explique le professeur Matsubara. Pour lui, pas question de compter ses heures. Objectif : s’assurer que chaque patient se sent bien à l’aise et comprend bien la procédure.

Une couche supplémentaire d’équipement de protection, dont un casque chirurgical, permet de se protéger contre les infections, un point important dans le cas de la pose d’un implant. Le professeur Matsubara s’en amuse et prétend qu’il est devenu chirurgien orthopédique juste pour porter une combinaison spatiale.
Des appareils de technologie de pointe
L’équipe chirurgicale opérera la hanche de ma femme par la partie frontale, adoptant une approche antérolatérale introduite au Japon par le professeur Matsubara lui-même. Jusqu’alors, un accès par la partie antérieure était préconisé. Mais dans ce cas, il fallait couper à travers les muscules et les tendons, pouvant rallonger la période de rétablissement et compromettre la stabilité des articulations. Le professeur Matsubara s’est dit que ce n’était peut-être la meilleure approche à adopter.
Lors d’une conférence universitaire, il a entendu parler d’une nouvelle méthode développée par un chirurgien orthopédique allemand. « À ce moment-là, j’ai eu la nette intuition qu’elle était là la réponse. J’ai donc pris le premier avion pour l’Allemagne pour le rencontrer et apprendre comment appliquer cette technique. » Peu invasive, la technique antérolatérale a permis au chirurgien d’opérer sans endommager les muscles ou les tendons. La phase de rétablissement a donc été remarquablement courte. Depuis 2009, le Hip Joint Center utilise l’approche antérolatérale pour toutes ses opérations de pose deprothèses de la hanche.
Le centre a également bénéficié des travaux du professeur Matsubara sur les prothèses articulaires adaptées à l’anatomie japonaise, les systèmes de navigation utilisant la modélisation 3D par tomodensitométrie et les nouveaux instruments, plus faciles à utiliser. Créativité et innovation, soutenues par une riche expérience clinique, sont les deux maîtres-mots de la « méthode Matsubara », maintenant systématiquement enseignée à la prochaine génération de chirurgiens à venir au Hip Joint Center.
L’opération en elle-même
L’une des innovations technologiques que j’ai observées pendant l’opération de ma femme était l’utilisation de la chirurgie assistée par le bras robotisé Mako. Au cours du processus délicat d’ablation de l’os pour laisser la place à la future prothèse de hanche, le chirurgien fait appel à un bras robotisé, programmé pour refuser l’ablation de tout tissu au-delà des instructions figurant dans le plan chirurgical.

Le système de chirurgie assistée par le bras robotisé Mako entre en action. Le professeur Matsubara guide le bras robotisé pendant que l’accessoire effectue une rotation sur lui-même, tout en retirant le tissu osseux. La partie à retirer apparaît en vert sur l’écran de droite. Une ablation proprement menée ne laisse qu’une couleur blanche, un retrait trop important apparaît en rouge. Si la coupe dépasse de plus de 2 mm la limite préfixée, le bras s’arrête automatiquement.
« Avec l’utilisation de ce système, le sentiment de sécurité est plus palpable en salle d’opération », explique le professeur Matsubara. « Le travail de médecine en équipe s’en trouve également facilité, permettant à tout chirurgien qualifié d’effectuer une opération avec succès, au lieu de dépendre des compétences exceptionnelles d’un petit nombre. »

Le professeur Matsubara place le cotyle artificiel dans l’acétabulum à l’aide d’un maillet et d’un introducteur. Il peut ainsi entendre et sentir la cupule se mettre en place lorsque l’angle et la profondeur d’insertion sont corrects ; un indicateur plus fiable que n’importe quelle jauge électronique.

La tête du fémur de ma femme après son ablation. Le cartilage décoloré en raison de la maladie a également endommagé l’os par endroits.
La phase de rétablissement

L’équipe chirurgicale examine une série de radios afin de confirmer que la prothèse a bien été installée correctement. Il s’agit de la dernière étape. Au total, la procédure n’aura duré qu’1 heure et 17 minutes.

Pas de temps à perdre ; la phase de rééducation commence le lendemain de l’opération. « Ce dont les patients ont besoin après l’opération, ce n’est pas de repos mais au contraire de mouvement », explique le kinésithérapeute qui aide ma femme dans divers exercices d’amplitude de mouvement.

Avant de sortir de l’hôpital, le patient bénéficie d’une ergothérapie spécifique adaptée à ses besoins, son cadre de vie, et ses centres d’intérêts notamment. Grâce à ce soutien, ma femme a pu revenir à la maison à peine huit jours après son opération. Un rétablissement complet prendra du temps mais son visage s’illumine lorsqu’elle parle des endroits où elle veut aller et des choses qu’elle veut faire dans les années à venir.
Un touche-à-tout avant tout
Le professeur Matsubara aura 70 ans l’année prochaine. Avec environ 250 interventions par an, il a l’air remarquablement jeune et actif pour son âge. Il a confié avoir rêvé de devenir archéologue mais alors qu’il était université, il a commencé à s’intéresser au football. Et de là, est née une véritable passion. Il est ensuite devenu chirurgien orthopédique, cherchant sans cesse à repousser les limites de sa profession.
Affronter le temps, c’est faire face aux changements qui touchent nos os et nos articulations, notamment l’amincissement du tissu osseux, la détérioration du cartilage et l’atrophie des muscles qui soutiennent nos articulations. Le professeur Matsubara a aidé à la mise en place d’une approche plus proactive pour maintenir année après année une mobilité sans douleur.

Le corps adulte est composé de 206 os et chacun d’entre eux est unique.
(Photo de titre : avec des images de radio et de modèles imprimés, une équipe médicale planifie une opération de la hanche à l’hôpital Nissan Tamagawa, à Tokyo. Toutes les photos © Ônishi Naruaki)