Le périple d'un photographe au sein de la société hyper-vieillissante du Japon

Vieillir oui, mais avec lui : vivre dans une maison de retraite avec des animaux de compagnie

Société

Faire face à la fin de vie peut être terriblement éprouvant, surtout lorsque l’on vit en maison de retraite, loin de son environnement familier. Une résidence de la ville de Yokosuka, près de Tokyo, a donc proposé à ses pensionnaires et à son personnel soignant d’égayer le quotidien de l’établissement en accueillant les compagnons à quatre pattes.

Bunpuku, le « chien miracle » qui veille sur les mourants

Une bénévole accompagne Bunpuku, toujours enthousiaste, quand il s’agit de faire une promenade.

Une bénévole accompagne Bunpuku, toujours enthousiaste, quand il s’agit de faire une promenade.

Bunpuku est un des résidents les plus populaires. Ce Shiba mixte âgé d’une quinzaine d’années, semble avoir une étrange capacité à sentir approcher la mort. Est-ce grâce à son odorat ? Le personnel avait remarqué que le chien veillait devant la chambre d’un pensionnaire qui, quelques jours plus tard, allait passer de vie à trépas. Quand il a eu le pressentiment que la fin était proche, Bunpuku a sauté sur le lit pour lécher tendrement le visage du mourant, comme s’il ne voulait pas le laisser partir. Or ce comportement s’est par la suite répété plusieurs fois. Wakayama est convaincu que le chien a à cœur d’apporter du réconfort aux agonisants. Mais ces dernières années, Bunpuku semble être moins réactif. Avec l’âge son odorat lui ferait-il défaut ? En 2019, Wakayama a publié un livre sur le « chien miracle » et on a pu entendre parler de Bunpuku à la télévision et dans de nombreux magazines.

Bunpuku veille attentivement sur sa famille humaine.

Bunpuku veille attentivement sur sa famille humaine.

Et il se repose dans son fauteuil préféré.

Et il se repose dans son fauteuil préféré.

En fait, Bunpuku a frôlé la mort. C’était juste avant son arrivée dans l’établissement. Il a été retiré de justesse d’une clinique vétérinaire de la préfecture de Chiba par un groupe de protection des animaux alors qu’on s’apprêtait à l’abattre. Quand on a vu la mort de si près, cela rend peut-être sensible à l’imminence du trépas.

Bunpuku photographié quelques minutes avant sa mise à mort programmée, alors qu’il avait 1 ou 2 ans (avec l’aimable autorisation du groupe de protection des animaux de Chiba-wan).

Bunpuku photographié quelques minutes avant sa mise à mort programmée, alors qu’il avait 1 ou 2 ans (avec l’aimable autorisation du groupe de protection des animaux de Chiba-wan).

Daiki est un autre pensionnaire à quatre pattes. Lui aussi de race Shiba, il est de ceux qui ont été sauvés et ont pu trouver refuge dans l’établissement de Wakayama Michihiko. La première fois que je l’ai rencontré, il était déjà impotent et Izuta Keiko, l’une des soignantes, s’occupait de lui avec amour.

Izuta a suivi une formation pour s’occuper des chiens âgés. La dévotion dont elle fait preuve force l’admiration. « S’occuper de Daiki n’a jamais été un fardeau, pas un seul instant », déclare-t-elle sans l’ombre d’une hésitation.

Daiki aime sentir le vent passer sur son échine. Avec l’aide de sa soignante, il rassemble ses dernières forces, campe sur ses pattes sans tomber et tente une petite marche.

Daiki aime sentir le vent passer sur son échine. Avec l’aide de sa soignante, il rassemble ses dernières forces, campe sur ses pattes sans tomber et tente une petite marche.

Passer de l’autre côté de l’arc-en-ciel

Daiki est mort le 27 mars 2024. Sur le blog de Sakura on a pu lire :

Daiki est passé de l’autre côté de l’arc-en-ciel. Pour son dernier voyage, il est parti paisible, comme s’il s’endormait. Ce matin, je l’ai vu partir pour sa toute dernière promenade. Le ciel était azur. Izuta-san le portrait dans ses bras.

Je me suis souvenu d’une photo que j’avais prise lors d’une précédente visite. Mme Izuta portait Daiki dans ses bras. La lumière passant par la fenêtre se reflétait sur le mur et on voyait danser l’ombre des feuillages, comme un arc-en-ciel d’ombre et de lumière à enjamber les mondes.

L’ombre portée des arbres semble danser sur le mur et dessiner un pont vers un autre monde.

L’ombre portée des arbres semble danser sur le mur et dessiner un pont vers un autre monde.

Dans son grand âge, quel réconfort de vivre en compagnie d’animaux

Il ne fait aucun doute que les amoureux des animaux souhaiteraient voir se multiplier les établissements comme Sakura. Wakayama Michihiko regrette que malgré les nombreuses visites reçues, il soit l’un des seuls à proposer cet environnement de vie.

Les obstacles sont certes nombreux, mais pas insurmontables. Il faut pouvoir nourrir les animaux, assurer leurs frais médicaux et embaucher du personnel supplémentaire pour les promener. Il faut par ailleurs respecter les mesures d’hygiène et s’acquitter de formalités administratives. La question de l’hygiène n’est pas le problème le plus ardu. La présence d’animaux ne change pas foncièrement la donne, puisqu’il existe déjà un cahier des charges très détaillé pour l’accueil de seniors. En outre, la présence animale a un tel effet sur le moral que les avantages l’emportent largement sur les quelques inconvénients. La bonne humeur est palpable, à chacune de mes visites j’ai entendu l’établissement résonner de rires. Par leur seule présence, les animaux de compagnie brisent les routines et apportent de l’entrain. Wakayama Michihiko sait combien ils stimulent et responsabilisent les résidents, les symptômes de la démence s’estompent et articulations engluées d’arthrose retrouvent un peu de leur souplesse.

La mort fait partie de la vie

Les résidents admirent les cerisiers en fleurs dans le jardin en bas de la maison de repos. L’énergie et le bon caractère de Bunpuku font fleurir les sourires sur tous les visages.

Les résidents admirent les cerisiers en fleurs dans le jardin en bas de la maison de repos. L’énergie et le bon caractère de Bunpuku font fleurir les sourires sur tous les visages.

Ce qui m’a particulièrement marqué, c’est que les chiens et les chats n’« appartiennent » à personne. Désormais chéris de tous, ils sont sauvés de l’abandon, de la solitude et de la peur de la mort ont trouvé un nouveau foyer. Aujourd’hui, ils redonnent toute la joie, l’espoir dont ils sont capables pour illuminer la vie des seniors et de leurs soignants.

« La mort n’a rien d’extraordinaire. Elle fait partie de la vie dont elle est le dernier volet. C’est quelque chose de naturel qui arrive à tout le monde », m’a un jour expliqué Wakayama. Ses paroles continuent de résonner en moi. Et plus j’y pense, plus je trouve qu’elles tombent sous le sens.

Comme chaque année, le printemps et ses fleurs reviennent à Sakura no Sato Yamashina.

(Toutes les photos : © Ônishi Naruaki, sauf mention contraire)

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société vieillissement animal

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