1951-1989 : la littérature japonaise fait son entrée sur la scène internationale
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Le Traité de paix de San Francisco, signé en 1951, mit fin à l’occupation américaine consécutive à la guerre et permit au Japon de recouvrer sa souveraineté l’année suivante. À partir de là et jusqu’à la fin de l’ère Shôwa (1926-1989), le pays a connu une croissance rapide qui l’a propulsé à la seconde place dans le peloton des grandes puissances économiques. Dans le même temps, sa littérature a fait son entrée sur la scène internationale, via toute une série de traductions, et les noms de ses grands écrivains ont été évoqués pour le prix Nobel. Parmi les grandes tendances à l’œuvre à cette époque, on peut mentionner la seconde vague d’influences occidentales et l’effondrement des barrières entre les genres.
Les candidats au Nobel
Au sein du triumvirat des écrivains japonais qui s’étaient taillé une réputation internationale par le biais des traductions, Kawabata Yasunari (1899-1972) a été le premier à remporter un prix Nobel de littérature, en 1968. Dans Le Grondement de la montagne (Yama no oto), son chef-d’œuvre de l’après-guerre, publié en fragments entre 1949 et 1954, le patriarche, déjà vieillissant et préoccupé par la mort, s’imagine qu’il entend celle-ci dans le grondement d’une montagne voisine. On sait par les registres officiels que Tanizaki Jun’ichirô (1886-1965) était lui aussi un candidat sérieux au prix Nobel avant son décès, survenu en 1965.
Mishima Yukio (1925-1970) , le troisième membre de ce triumvirat, était lui aussi un candidat au Nobel. Dans Le Pavillon d’or (Kinkakuji), publié en 1956, il donne une version imaginée de l’incendie criminel qui a détruit le temple de Kyoto. La tétralogie La Mer de la fertilité (Hôjô no umi ), publiée de 1969 à 1971, dresse un portrait du Japon tout au long des sept premières décennies du XXe siècle, à travers l’histoire de quatre personnages unis par la même tache de naissance. En 1970, Mishima a fait la une des médias du monde entier en commettant un seppuku, le suicide rituel des samuraïs, après l’échec d’une tentative en vue de gagner des membres des Forces d’autodéfense à sa cause.
Les romans avant-gardistes d’Abe Kôbô (1924-1993), peuplés de marginaux, ont été comparés aux écrits de Franz Kafka. Dans La Femme des sables (Suna no onna), paru en 1962, un professeur est pris au piège dans un village où il est contraint de passer ses journées à pelleter du sable. Abe Kôbô va encore plus loin dans l’absurde avec son ouvrage de 1973 L’Homme-boîte (Hako otoko), dont le héros cultive l’anonymat en enfouissant sa tête dans une boîte en carton.
Dans Une affaire personnelle (Kojintekina taiken), le roman, tiré de son expérience personnelle, qu’il publie en 1964, Ôe Kenzaburô (1935-) dépeint les difficultés d’un jeune père qui doit s’occuper de son fils atteint d’une lésion cérébrale. Son classique de 1967 Le Cri silencieux (Man’en gannen no football) se déroule dans un village reculé de Shikoku où deux frères reviennent pour se confronter chacun à la crise qu’il traverse et aux secrets de famille qu’il exhume.
Un plus large éventail de lecteurs
Au nombre des grands écrivains de l’époque figure Enchi Fumiko (1905-1986), dont le livre Chemin de femmes (Onnazaka), publié en fragments de 1949 à 1957, raconte les désillusions d’une femme du XIXe siècle contrainte de louer les services d’une kyrielle de « servantes » pour satisfaire la lubricité de son mari. Silence (Chinmoku), publié en 1966 par Endô Shûsaku (1923-1996), s’intéresse aux difficultés d’un missionnaire jésuite du XVIIe siècle poursuivi par les autorités. Hikari no ryôbun, écrit en 1979 par Tsushima Yûkô (1947-2016), raconte en une succession d’épisodes la vie d’une jeune mère célibataire ; l’ouvrage, traduit en anglais par Geraldine Harcourt, a été publié en 2019 sous le titre Territory of Light (« Territoire de lumière »).
C’est à ses épopées et à ses romans historiques, dont Saka no ue no kumo (Clouds Above the Hill dans la traduction anglaise), qui traite de la guerre russo-japonaise de 1904-1905 et de la période de l’histoire du Japon dans laquelle elle se situe, que Shiba Ryôtarô (1923-1996) doit son entrée dans le club des auteurs de best-sellers dès la publication de l’ouvrage sous forme de feuilleton entre 1968 et 1972. En ce qui concerne Matsumoto Seichô (1909-1992) , c’est le parti pris de réalisme qu’il affiche dans ses romans policiers, dont Ten to sen (Points and Lines dans la traduction anglaise), publié en 1958, qui a suscité l’enthousiasme des lecteurs. Quant au best-seller La Submersion du Japon (Nippon chinbotsu), publié en 1973 par l’auteur de science-fiction Komatsu Sakyô (1931-2011) , il s’est vendu à plus de quatre millions d’exemplaire.
De nouveaux visages
Dans les années 1970 et 1980, l’arrivée de nouveaux écrivains à succès a brouillé les frontières littéraires, tant en termes de style que de genre. Murakami Haruki (1949-) est une célébrité nationale depuis le succès de son best-sellerLa Ballade de l’impossible (Norway no mori ), publié en 1987. Bleu presque transparent (Kagirinaku tômei ni chikai blue), premier ouvrage de Murakami Ryû (1952-), publié en 1976, met en scène de jeunes personnages perdus dans le sexe, la violence et la drogue, et donne le ton nihiliste de la suite de son œuvre. Kitchen, court roman de Yoshimoto Banana (1964-) publié en 1988, dont l’héroïne est une jeune femme en train de se remettre d’un chagrin, a touché une corde sensible chez de nombreux lecteurs.
Tanikawa Shuntarô (1931-) s’est imposé comme l’un des grands poètes japonais de l’après-guerre. Le recueil New Selected Poems (« Nouvelle sélections de poèmes »), traduit en anglais par William I. Elliot, contient des poèmes essentiels, dont « Nijuôku kônen no kodoru » (« Two Billion Light-Years of Solitude » dans la traduction anglaise), tiré de son premier recueil, publié en 1952 sous le même titre. Tawara Machi (1962-) a remis le tanka (poème court) au goût du jour à travers la brève intrusion qu’elle a faite dans cette forme dans son recueil de 1987 intitulé L’Anniversaire de la salade (Sarada kinenbi ).
Cinq ouvrages conseillés, publiés entre 1951 et 1989
Le Pavillon d’or (Kinkakuji), Mishima Yukio, 1956
Issu d’une famille pauvre, le fils d’un prêtre bouddhiste est obsédé par le temple Kinkaku-ji de Kyoto. Plus tard, il y est pris comme assistant et devient obsédé par l’idée de sa destruction.
La femme des sables (Suna no onna), Abe Kôbô, 1962
Un professeur de collège qui ramasse des insectes pour une exposition à proximité de dunes de sable passe la nuit dans la maison d’une jeune veuve du village. Le lendemain, l’échelle de corde qu’il avait utilisée pour descendre à l’habitation a disparu et il ne peut plus repartir.
Une affaire personnelle (Kojintekina taiken), Ôe Kenzaburô, 1964
Devenu père d’un garçon handicapé mental, un jeune intellectuel fuit ses responsabilités et cherche refuge dans le sexe et l’alcool.
Silence (Chinmoku), Endô Shûsaku, 1966
Un jésuite portugais s’efforce de diffuser et de défendre le christianisme dans le Japon du xviie siècle, où cette religion est interdite et ses adeptes sont persécutés.
La ballade de l’impossible (Norway no mori), Murakami Haruki, 1987
Ce récit initiatique mettant en scène des étudiants dans le Tokyo des années 1960 a conquis des millions de lecteurs avec ses méditations sur l’amour et la perte.
(Photo de titre : Kawabata Yasunari, au centre, lève son verre le 17 octobre 1968, dans son domicile de Kamakura, pour célébrer le prix Nobel de littérature qui lui a été décerné cette année-là)