
« Le Supplice des roses », Mishima immortalisé par le photographe Hosoe Eikoh
Images Art Livre- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
Un titre incarnant la vision par Mishima de la vie et de la mort
Les photos furent en premier lieu publiées en couverture et page de titre du recueil d’essais de Mishima Bi no Shûgeki (« Attaque sur la Beauté », ed. Kôdansha) publié en novembre 1961, et ont été exposées à l’expositions NON au Matsuya de Ginza (Tokyo) en janvier 1962, exposition organisée par Fukushima Tatsuo à laquelle participaient également Narahara Ikkô (1931-2020), Tômatsu Shômei (1930-2012), Kawada Kikuji (né en 1933), Ishimoto Yasuhiro (1921-2012) et Imai Hisae (1931-2009).
Puis, en mars 1963, sort enfin le livre Barakei sous une reliure et un design grand format de Sugiura Kôhei (né en 1932). Le livre est composé de 5 parties : Chapitre 1 - Ouverture ; Chapitre 2 - Une vie quotidienne de citoyen ; Chapitre 3 - L’horloge qui rit ou le témoin paresseux ; Chapitre 4 - Divers sacrilèges sacrés ; Chapitre 5 - Le Supplice des roses.
Barakei, recueil de photographies grand format, design et couverture de Sugiura Kôhei, 1963
Lorsque la décision de publier le livre fut prise, Hosoe demanda à Mishima de bien vouloir réfléchir à un titre. Mishima répondit par carte postale avec diverses suggestions : « Esquisse de la souffrance », « Homme et Rose », « Variations de la souffrance », « Mort et logorrhée », et, donc, « Le Supplice des roses ». C’est ce dernier titre que choisit Hosoe, sans la moindre hésitation, comme étant la parfaite expression de l’esthétique de Mishima et de son sens de la Vie et de la Mort. Barakei connut un succès remarquable pour ce type d’ouvrage, et reçut le Prix de l’Association japonaise des critiques de photographies la même année.
Une réédition interrompue par le suicide de Mishima
Plus tard, Hosoe travailla de nouveau avec Hijikata Tatsumi pour un nouveau recueil de photographies avec la participation de la population de la ville d’Ugomachi-Tashiro, dans la préfecture d’Akita, ville natale de Hosoe. Le recueil s’intitule Kamaitachi (« La Belette-faucille », ed. Gendai Shichô-sha, 1969). Sa carrière de photographe progressait toujours plus loin, mais le travail effectué sur Barakei lui restait dans la tête.
En 1970, le projet d’une nouvelle édition internationale de Barakei émergea, avec une nouvelle couverture de Yokoo Tadanori (né en 1936). Les discussions entre Hosoe, Mishima et Yokoo conduisirent à une refonte en profondeur de la composition et de la mise en page des photographies. Le livre devait sortir en novembre 1970, mais un accident de circulation dont fut victime Yokoo obligea à un report d’un mois.
En octobre de la même année, au magasin Tobu d’Ikebukuro (Tokyo), une exposition Mishima Yukio fut organisée, et la nouvelle édition, encore sous la forme d’épreuves d’édition, y était disponible. Dans une section de l’exposition sous-titrée « La rivière de la chair », où des tirages grands formats des photos de Barakei étaient présentés, un message de Mishima sur un panneau disait : « Je ne peux accepter la déchéance du corps ». Hosoe, en lisant ce message, eut un mauvais pressentiment.
Vers le même moment, Hosoe reçut de Mishima la préface de son nouvel album Hôyô (« Étreinte », ed. Shashin Hyôron-sha, 1971) qu’il lui avait demandé d’écrire. Et ça aussi, être en avance pour livrer un texte, de la part de Mishima, c’était très anormal.
Mais évidemment, pour Hosoe comme pour tout le monde, l’annonce du suicide de Mishima le 25 novembre après avoir harangué les forces d’autodéfenses de la garnison d’Ishigaya, fut un coup de tonnerre. Hosoe stoppa sur le champ les dernières retouches encore en cours pour la nouvelle édition du livre. Dans la confusion qui suivit l’événement, les médias ne savaient pas trop comment il allait falloir traiter ces photos. Il était évident que la question de la sortie de cette réédition d’un recueil de photographies de Mishima allait faire les frais de toutes les conversations, et Hosoe n’avait pas du tout envie qu’on pense qu’il profitait de l’actualité pour la promotion pour son livre.
Au bout d’un certain temps, cependant, Hiraoka Yôko, l’épouse de Mishima, appela Hosoe et lui dit qu’elle tenait absolument à ce que ce livre sorte. Il fut donc publié. C’est l’édition internationale, design et couverture de Yokoo Tadanori, que tout le monde connait (Barakei, Ordeal by roses, Shûeisha international, janvier 1971).
La réédition de Barakei de 1971, design et reliure de Yokoo Tadanori. Le livre, et une illustration dans le style indien de Mishima atteignant le Nirvana, signée Yokoo, apparaissent à l’ouverture du coffret.
La lutte entre l’écrivain et le photographe
Il faut relire Barakei aujourd’hui pour se rendre compte à quel point il s’agit d’un ouvrage hors norme, à tous points de vue. L’emboîtage extérieur de la première édition dit : « Recueil de photographies de Hosoe Eikoh. Sujet et préface : Mishima Yukio ». Ce que, à l’évidence, on peut appeler une collaboration à parts égales.
Certes, Mishima avait depuis le début l’intention d’être le « sujet » de Hosoe, mais chez lui, dans sa résidence où son esthétique sourd dans le moindre recoin, entouré des meubles de son choix, et exhibant son corps parfait, il y a clairement de la part de ce sujet-là une stratégie d’attirer le photographe sur son territoire. Le photographe, pour sa part, n’est pas en reste, et déploie toute son énergie à subjuguer l’enfant terrible des Lettres de son époque au niveau d’un chorégraphe butô ou d’un bodybuilder. Barakei est la scène où un grand écrivain et un grand photographe, tous deux dotés d’un sens certain de la théâtralité, se livrent une lutte proche de l’extrême, un bras de fer à mort, dont les photos sont les formidables preuves.
(Photos : Hosoe Eikoh. Avec la collaboration du Hosoe Eikoh Institute of Photography and Art. Photo de bannière : Barakei #32, 1961)
Tags
suicide photographe photographie littérature art Mishima Yukio