
Les grandes figures historiques du Japon
Matsuo Bashô : un écrivain vagabond vivant pour le haïku
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La solitude et les écrits de voyage
Bashô était en train de se bâtir une réputation en tant que professeur de haikai quand, en 1680, il se retira soudainement dans le village de Fukagawa, sur la rive orientale du fleuve Sumida. Le bashô, ou bananier, planté par un disciple en bordure de son ermitage, donna tout d’abord son nom à la résidence elle-même (Bashôan), avant d’être adopté par le poète et de devenir le nom de plume sous lequel il entrerait dans la postérité.
À mesure du déclin de l’école Danrin, le haikai est entré dans une période de changement et de confusion. En adoptant un mode de vie solitaire, Bashô, qui cherchait à tracer un nouveau chemin, se mit à l’étude du zen sous la conduite du prêtre Butchô. En 1684, alors qu’il abordait la quarantaine, il entreprit une série de voyages, qu’il a racontés dans les mémoires dont la liste est donnée ci-dessous.
Nozarashi kikô (Notes de voyage - Mes os blancs sur la lande)
De l’automne 1684 au printemps suivant, Bashô a parcouru la route Tôkaidô entre Edo et Iga, sa ville natale, et visité en cours de route les sanctuaires de Kyoto, Ôtsu et Atsuta.
Kashima môde (Pèlerinage à Kashima)
En 1687, Bashô a effectué un aller et retour entre Edo et Kashima pour s’adonner à la tradition dutsukimi (la contemplation de la lune).
Oi no kobumi (Notes de sac à dos)
Entre l’hiver 1687 et l’été de l’année suivante, Bashô s’est tout d’abord rendu à Iga, après quoi il s’est promené à pied dans la région du Kansai en compagnie de Tsuboi Tokoku, effectuant à cette occasion une visite aux célèbres cerisiers en fleurs de Yoshino.
Sarashina kikô (Voyage à Sarashina)
Bashô est parti de Nagoya avec Ochi Etsujin en 1688 pour contempler la lune d’automne à Sarashina avent de revenir à Edo.
Oku no hosomichi (La Sente étroite du Bout-du-Monde)
Du printemps à l’automne 1689, Bashô a voyagé avec Kawai Sora entre Edo et les provinces septentrionales de Ôshû et Dewa, puis vers l’ouest à travers le Hokuriku, avant d’arriver à Ôgaki (dans l’actuelle préfecture de Gifu).
Les nombreux voyages effectués par Bashô à un âge plus avancé étaient en partie inspirés par le désir de se soumettre à un entraînement ascétique via les pèlerinages, loin de la société. Il voulait aussi voir de ses propres yeux les nombreux endroits rendus célèbres par la littérature classique, et marcher dans les pas de moines poètes tels que Nôin, Sôgi et tout particulièrement Saigyô. La perspective de répandre son style haikai d’un bout à l’autre du pays a sans doute elle aussi contribué à le motiver.
Le poème suivant a été composé au début du voyage qu’il raconte dans Mes os blancs sur la lande.
野ざらしを 心に風の しむ身哉
Nozarashi o / kokoro ni kaze no / shimu mi kana
Os blanchis
le vent fait frissonner
mon cœur
En relisant le poème dans son contexte, on pourrait le paraphraser ainsi : « Quand j’entreprends un voyage, j’imagine mes os en train de blanchir à l’air libre, et le vent d’automne me fait frissonner ». Et pourtant, malgré l’éventualité de mourir en route, son appétit d’errance est si fort qu’il ne peut pas se retenir.
Sur les traces de Saigyô
Après le voyage dans le nord et vers l’ouest du Japon à travers le Hokuriku sur lequel repose La Sente étroite du Bout-du-Monde, Bashô a passé environ deux ans dans la région du Kansai. C’est là qu’il a écrit L’Ermitage d’illusion ,. Il est ensuite revenu à Edo, où il est resté deux ans et demi avant de repartir pour Iga en 1694. Cet été-là, il est passé par Kyoto et Ôtsu, et à l’automne par Nara et Osaka. Il est décédé le 28 novembre 1694, dans une chambre qu’il louait rue Midôsuji, à Osaka. Sa mort semble avoir été due à des maux d’estomac.
Bashô ne s’est pas marié et n’a pas eu d’enfants. La suggestion selon laquelle il aurait eu une liaison avec une femme appelée Jutei ne repose sur rien de solide. Au cours des cinq dernières années de sa vie, on a l’impression que le style de Bashô était influencé non seulement par la littérature classique sous la forme du waka, des chants du nô, et du kanshi (poésie chinoise), mais aussi par sa compréhension du bouddhisme zen et du Zhuangzi. Il enseignait à ses disciples les concepts ascétiques du wabi, qui prône le renoncement aux satisfactions matérielles en faveur d’une pauvreté honorable, du sabi, qui valorise une forme fanée et flétrie de beauté, et du karumi, qui attribue une élégance classique au quotidien et au vulgaire.
Dans les formes de haïku où les vers sont liés, Bashô a renoncé à créer des liens via le kotobazuke (association de mots) et le kokorozuke (extension de la scène ou du récit) et choisi de développer la technique du nioizuke, littéralement « lien ressenti », dans laquelle les liens se fondent davantage sur l’humeur que sur la raison. Il a recouru à cette technique en association avec le karumi. Dans les dernières années de sa vie, Bashô s’est entouré de disciples tels que Kyorai, Jôsô, Kyoriku et Shikô. À parti du milieu de l’époque d’Edo, son style de haikai est devenu le courant dominant, et on a commencé à le vénérer pour le rôle central qu’il avait joué dans le développement de ce genre poétique.
旅に病で 夢は枯野を かけ廻る
Tabi ni yande / yume wa kareno o / kakemawaru
Malade en voyage
mes rêves errent
dans les champs flétris
Bashô a écrit ce poème peu avant sa mort à Osaka. Il fait allusion à un poème, écrit des siècles plus tôt par Saigyô, qui établit un contraste entre un printemps de jadis à Naniwa et celui d’aujourd’hui où le vent souffle entre les feuilles mortes des roseaux. À l’époque où Bashô a écrit ce poème, c’était l’hiver, et Naniwa était l’ancien nom d’Osaka, ce qui semble suggérer qu’il aspirait à voir la même végétation desséchée que dans le paysage du poème de Saigyô. Mais sa maladie l’en empêchait, et seul son esprit a quitté son corps en rêve pour errer dans les champs flétris. De façon symbolique, ce poème montre à quel point Bashô a marché jusqu’à sa mort sur les traces de Saigyô.
(Photo de titre : le portrait de Bashô, avec l’aimable autorisation du Bashô-ô Memorial Museum)