Les grandes figures historiques du Japon

Matsuo Bashô : un écrivain vagabond vivant pour le haïku

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Fukasawa Shinji [Profil]

À travers sa poésie et ses récits de voyage, nés de son désir de vivre à l’écart de la société, Matsuo Bashô s’est imposé comme l’une des plus grandes figures littéraires de Japon, célèbre pour sa contribution à l’élaboration de la forme poétique qui allait rester sous le nom de haïku.

Une vie au service de la littérature

Il y eut un temps où j’enviais les gens qui avaient un poste dans l’administration ou possédaient d’impressionnants domaines, et il m’est arrivé d’envisager de pénétrer dans le royaume du Bouddha et les parloirs où enseignent les patriarches. Au lieu de cela, j’ai épuisé mon corps dans des voyages aussi erratiques que le vent et les nuages, et focalisé ma sensibilité sur les fleurs et les oiseaux. Mais j’ai tant bien que mal réussi à gagner ma vie de cette manière, si bien qu’au bout du compte, dénué de compétence et de talent comme je le suis, je me suis entièrement dédié à cette seule affaire, la poésie.

C’est à l’approche de la cinquantaine que Matsuo Bashô (1644-1694) a écrit cet autoportrait dans son ouvrage Genjûan no ki (traduit en français sous le titre L’Ermitage d’illusion , par Jacques Bussy). Pour résumer cette citation, on pourrait dire qu’il y affirme qu’il ne saurait vivre qu’à travers la littérature — le haikai en l’occurence.

Haikai est une abréviation de haikai no renga, une version plus légère et humoristique de la poésie renga en vers liés issue de la riche tradition japonaise du waka. L’usage du mot haikai s’est répandu pour désigner des poèmes — aujourd’hui communément appelés haïku — et des textes en prose de même inspiration. À mesure que l’aptitude à lire et à écrire progressait au début de l’époque d’Edo (1603-1868), les livres de haikai sont devenus populaires chez les samurai et les citadins.

Bashô, le second fils de la famille Matsuo, est né en 1644 à Ueno, dans la province d’Iga (aujourd’hui préfecture de Mie). Les Matsuo avaient été samuraïs — bien que non rémunérés —, mais son père perdit ce statut et s’installa avec sa famille dans la ville fortifiée de Ueno, où il vécut de l’agriculture. Bashô, qui à l’origine s’appelait Kinsaku, prit le nom de Munefusa à l’âge adulte. Embauché à la fin de son adolescence par la maison Tôdô, il fut choisi comme compagnon littéraire de Toshitada, le fils du seigneur, et cette association s’avéra propice au développement de son don personnel pour la poésie. Mais Toshitada mourut jeune et, à l’approche de la trentaine, Bashô partit pour Edo.

Bashô à Edo

Pendant la jeunesse de Bashô, l’école Teimon de poésie haikai, regroupée autour de Matsunaga Teitoku, était en vogue. Ce style, qui s’appuyait sur des concepts empruntés à la poésie waka et à d’autres genres littéraires classiques, s’attachait à jouer avec les mots. Mais à Edo, Bashô découvrit l’école Danrin, fondée par Nishiyama Sôin, qui s’inspirait du texte taoïste Zhuangzi et aimait à parodier les chants du théâtre nô. Cette école, qui recourait aux associations de mots et aux tournures de phrases fantaisistes, intégrait aussi avec enthousiasme les usages poétiques du moment.

Portrait de Bashô par Ogawa Haritsu (Avec l’aimable autorisation du Bashô-ô Memorial Museum)
Portrait de Bashô par Ogawa Haritsu (Avec l’aimable autorisation du Bashô-ô Memorial Museum)

Une fois à Edo, Bashô adopta le nom de plume Tôsei. Après avoir occupé divers emplois, dont un au service municipal des eaux, il parvint, arrivé à la trentaine, a gagner sa vie comme professeur de haikai, une occupation populaire à Edo. Il organisait des réunions à Nihonbashi, peaufinait les œuvres de ses clients et éditait des anthologies. C’est à cette époque qu’il prit pour disciples des gens comme Kikaku, Ransetsu et Sanpû, qui lui accordèrent leur soutien jusqu’à la fin.

Voici, à titre d’exemple un poème écrit par Bashô pendant cette période.

実にや月 間口千金の 通り町
Ge ni ya tsuki / maguchi senkin no / tôrichô
Si belle la lune
Spectacle valant mille pièces d’or
à Tôrichô

Ces vers font une allusion humoristique à un poème célèbre du poète chinois Su Shi, qui dit qu’un instant d’une nuit printanière vaut mille pièces d’or. Tôrichô était la grande rue commerçante de Nihonbashi, au centre d’Edo, et le prix des terrains était donc très élevé. Écrit dans le style de l’école Danrin, le poème de Bashô est un chant jubilatoire à la ville en plein essor.

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Fukasawa ShinjiArticles de l'auteur

Chercheur en littérature classique japonaise. Spécialiste de la poésie renga haikai et de Matsuo Bashô. Né en 1960 à Kôfu, préfecture de Yamanashi. Titulaire d’un doctorat de littérature de l’Université de Kyoto. Anciennement professeur à l’Université Wakô.

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