
Les grandes figures historiques du Japon
Hara Takashi, le premier roturier devenu dirigeant du Japon
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Une aversion pour les partis politiques
Hara Takashi prend les rênes du pouvoir en tant que Premier ministre du Japon en septembre 1918, peu avant la fin de la Première Guerre mondiale. À l’âge 62 ans, il dirige le premier « cabinet du parti » à part entière. Celui-ci a la particularité d’être principalement composé de membres élus de la Diète (le parlement japonais) plutôt que d’hommes d’État qui ne l’étaient pas, comme c’était le cas auparavant.
À la tête du pays, alors qu’il dirige le Japon vers le nouvel ordre d’après-guerre, il est assassiné le 4 novembre 1921. L’année 2021 marquait donc le centième anniversaire de sa mort.
Hara Takashi est né en 1856. Son père était un samouraï de haut rang du domaine de Nanbu (aujourd’hui préfecture d’Iwate, au nord-est du pays). Côté maternel, il est fortement influencé pendant ses années de formation par sa mère Ritsu et par la Restauration de Meiji de 1868. Le domaine de Nanbu, qui était du côté du shogunat, est vaincu par les forces du nouveau gouvernement Meiji, défaite qui mènera à la ruine de la famille Hara. Son père étant mort jeune, sa mère occupe un rôle central dans la famille. À la recherche de financements pour les réparations envers le nouveau gouvernement Meiji, le domaine commence à imposer des paiements à ses serviteurs. Ritsu doit alors vendre la plupart des biens de la famille. Au début de l’ère Meiji (1868-1912), il était de bon ton de s’élever dans la société grâce à ses propres efforts, mais Ritsu ne voulait pas que sa situation modeste l’empêche de donner une bonne éducation à ses enfants, inculquant à son fils des principes d’honnêteté et de persévérance au travail.
Hara Takashi a toujours eu une vive aversion pour les partis politiques, préférant au contraire l’indépendance et la méritocratie dans l’attribution des différents postes. Ce sentiment était en fait probablement une réaction de rébellion contre les véritables architectes de la Restauration de Meiji, à savoir les domaines de Satsuma et de Chôshû (aujourd’hui respectivement préfectures de Kagoshima et de Yamaguchi), qui pendant plus de 30 ans ont en grande partie dirigé le gouvernement.
Apprendre de la France
Âgé d’une vingtaine d’années, Hara Takashi apprend le français pendant deux ans et demi à l’école de droit du ministère de la Justice. Il en sort cependant sans obtenir de diplôme. Poussé par ses ambitions en matière de politique et de diplomatie, il continue à apprendre cette langue, ainsi que l’État français dans une école privée fondée par Nakae Chômin, un leader du Mouvement pour la liberté et les droits du peuple. C’est sous sa direction que Hara découvre Jean-Jacques Rousseau et apprend l’idée d’agir pour « le bien commun ». C’est également avec lui qu’il assimile la notion de réformisme progressif, qui consiste à familiariser le peuple aux rouages de la politique afin de répandre au plus grand nombre l’idée de droits du peuple. Cet esprit du bien commun ne fera que conforter voire approfondir les valeurs que sa mère lui avait inculquées.
Hara Takashi poursuit ses ambitions et passe environ trois ans à travailler à la légation japonaise à Paris, où il continue de parfaire ses connaissances en langue française et étudie le droit international, la politique et la culture européennes. À son retour au Japon, à partir de 1890, il passe environ sept ans sous la direction de Mutsu Munemitsu, alors ministre de l’Agriculture et du Commerce, puis ministre des Affaires étrangères, qui lui n’appartenait pas aux domaines de Satsuma et Chôshû. Hara Takashi noue ainsi de profonds liens avec lui, et lui voue une grande admiration. Très vite, Hara Takashi comprend que les changements de force entre le Japon, la Chine, alors sous la dynastie des Qing, et les grandes puissances occidentales avaient modifié en profondeur l’environnement international en Asie orientale. Il prend pleinement conscience des intérêts en jeu et de l’importance d’assurer la sécurité du Japon, en considérant l’équilibre de ces forces comme essentiel. Mutsu nomme Hara à divers postes au sein du ministère des Affaires étrangères, dont celui de vice-ministre. En observant comment Mutsu gérait la diplomatie et la politique intérieure, Hara apprend une approche pratique pour transformer une vision en réalité.
Ce que Hara Takashi pense du peuple
En 1897, Hara quitte le ministère des Affaires étrangères et, recommandé par Mutsu, intègre le Ôsaka Mainichi Shimbun, journal dont il devient le directeur l’année suivante. Après la guerre sino-japonaise (1894-1895), si les pays occidentaux cherchaient à étendre leur influence à la Chine, fidèle à ses convictions, Hara Takashi maintient une position ferme au sein du journal, selon laquelle la paix peut être obtenue grâce à l’équilibre des pouvoirs. Bien lui en a pris puisqu’il triple le tirage de son journal.
En 1900, Hara Takashi adhère au parti politique Rikken Seiyûkai (Amis du gouvernement constitutionnel), fondé par Itô Hirobumi. Peu après, en 1902, il est élu député dans la circonscription de Morioka, dans sa préfecture natale d’Iwate, où il insiste sur la nécessité de surveiller les changements dans l’environnement international, et de travailler dur pour rivaliser avec les pays occidentaux. Il était également d’avis que les hommes politiques n’étaient pas les seuls à avoir un devoir envers l’État, mais quiconque, quelle que soit sa profession, et même s’il ne pouvait pas voter, devait accorder une grande importance à l’État. Avant le début de la guerre russo-japonaise en février 1904, en tant qu’officier de premier plan du Seiyûkai, il appelle le parti à réprimer ses attitudes émotives à l’encontre de Moscou.
Hara Takashi évoque l’importance de l’État à une époque où les grandes puissances divisaient le monde. Mais, pour lui, il était du devoir de l’État de refléter les points de vue de nombreux citoyens plutôt que d’une poignée de membres de l’oligarchie Meiji. C’est pourquoi, il n’essaie pas de gagner des voix par le biais de politiques électoralistes, en construisant des chemins de fer ou encore des routes par exemple. Mais cela ne l’empêche pas de continuer de gagner le soutien de ses électeurs.
À partir de 1907 environ, revirement dans la politique de Hara : il commence à évoquer le bien-être du peuple japonais, notamment la capacité pour lui de jouir de la paix, et non plus l’intérêt collectif de l’État. Cela peut être dû au fait que la victoire du Japon sur la Russie a dissipé le sentiment de crise de l’Archipel sur sa sécurité. Après avoir servi comme ministre de l’Intérieur sous le Premier ministre Saionji Kinmochi, en août 1908, Hara quitte le gouvernement à ses propres frais pour six mois environ d’observation en Europe et aux États-Unis. Pendant son voyage, il devient le premier des hommes d’État japonais à comprendre que les États-Unis prendront la place de la Grande-Bretagne au rang de première puissance mondiale.