
Les grandes figures historiques du Japon
Yukawa Hideki : un prix Nobel de physique pour l’abolition des armes nucléaires
Science- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
Yukawa, la bombe atomique et les essais sur la bombe H
Lorsque commence la guerre avec les États-Unis, la Grande-Bretagne et leurs alliés, en 1941, Yukawa, alors professeur à l’Université de Kyoto, s’est souvent demandé s’il devait poursuivre ses recherches en physique fondamentale. Chaque fois, il en arrive à la conclusion qu’il est important de contribuer là où il est le plus compétent, et que la recherche fondamentale est aussi essentielle que la technologie appliquée. En 1943, cependant, le gouvernement décide que « la recherche scientifique a pour seul but absolu l’effort de guerre » et commence la mobilisation systématique des chercheurs. Yukawa se sent contraint de participer à la recherche militaire, mais a bien du mal à trouver un thème sur lequel il pourrait contribuer. En fin de compte, il rejoint le laboratoire d’Arakatsu Bunsaku et plusieurs autres collègues sur un programme de recherches pour l’utilisation de l’énergie atomique à partir de l’uranium, que leur a assigné la marine japonaise. Cependant, le Japon n’avait aucune ressource naturelle exploitée en uranium, le programme fut arrêté avant la fin de la guerre et Yukawa n’a fourni aucune contribution concrète à l’armée.
C’est le 13 août 1945, deux jours seulement avant la défaite, qu’Arakatsu, de retour d’un voyage d’étude sur place, informe Yukawa des effets de la bombe atomique larguée sur Hiroshima le 6 août. De cette date, Yukawa refuse toute demande de parler ou d’écrire sur le sujet et passe « des journées de réflexion et de concentration ». En octobre, il envoie un article intitulé « Réflexions silencieuses » à un hebdomadaire, dans lequel il fait part de sa décision d’aborder l’après-guerre dans un esprit de retour sur soi. « Les fins et les moyens du pays ne peuvent être justifiés que dans la mesure où ils ne sont pas en contradiction avec la promotion du bien-être de l’humanité dans sa totalité », écrit-il. Il conclut : « L’erreur a été de mettre en avant la patrie, et seulement elle, de l’ensemble qu’elle forme avec l’individu, la famille, la société, la patrie, le monde, et de lui donner une autorité absolue ».
Après la guerre, les États-Unis ont consolidé leur monopole sur l’armement atomique et ont lancé un programme d’essais nucléaires. L’Union soviétique s’est à son tour dotée de la bombe atomique en 1949. En réponse, les États-Unis ont lancé le développement de la bombe à hydrogène, dite « bombe H », beaucoup plus puissante, et l’Union soviétique n’a pas voulu se faire distancer et s’y est mise aussi. La course aux armements était lancée. Le 1er mars 1954, les États-Unis procédaient à un essai de bombe à hydrogène sur l’atoll de Bikini, dans le Pacifique sud, qui causa d’importants dommages aux habitants des îles voisines et aux bateaux de pêche qui croisaient pourtant en dehors de la zone de danger établie. L’incident fit la une des médias dans le monde entier pour cette raison, ainsi que pour les quantités de thons rendus impropres à la consommation et détruits sur le marché. L’un des pêcheurs japonais du thonier Fukuryû-Maru 5 est décédé des suites de l’irradiation en septembre de la même année.
Dans un article publié dans un journal à l’occasion de l’incident de Bikini, intitulé « L’énergie nucléaire et le tournant dans l’histoire de l’humanité », Yukawa affirme que « l’objectif de nous protéger de la menace de l’énergie nucléaire doit être placé au-dessus de tous les autres objectifs ».
Solidarité des scientifiques du monde entier pour l’abolition des armes nucléaires
Au moment de l’incident de Bikini, Yukawa avait 47 ans et était directeur de l’Institut de physique fondamentale de l’université de Kyoto. Malgré ses nombreuses autres responsabilités en plus de ses recherches personnelles et de son enseignement, il commence à donner des conférences et à écrire avec passion pour l’abolition des armes nucléaires. L’homme de réflexion qu’il était est devenu un homme d’action.
Le philosophe et mathématicien britannique Bertrand Russell fut lui aussi choqué par l’incident de Bikini et, après avoir consulté Einstein, il publie en 1955 le Manifeste Russell-Einstein, signé par onze scientifiques, dont Yukawa. Le manifeste lance un appel : « Compte tenu du fait que les armes nucléaires seront certainement utilisées dans toute éventuelle guerre mondiale future, et que ces armes menacent la survie même de l’espèce humaine, nous demandons aux gouvernements du monde entier de reconnaître et d’admettre publiquement qu’ils ne pourront jamais atteindre leurs objectifs par une guerre mondiale. Nous exhortons donc les gouvernements du monde à trouver des moyens pacifiques de régler tous les points de conflit ». Le manifeste appelle également les scientifiques du monde entier et le grand public à organiser un congrès mondial pour discuter de ces questions.
Ce congrès s’est tenu en 1957 à Pugwash, un village de pêcheurs au Canada. Au beau milieu de la Guerre froide, d’éminents auteurs et scientifiques de nombreux pays, dont des Américains et des Soviétiques, sont venus à titre individuel, et sont parvenus à un consensus sur la plupart des questions en débat. Yukawa en était, bien évidemment. Le congrès s’est perpétué et existe toujours aujourd’hui sous le nom de « the Pugwash Conferences for Science and World Affairs ». Yukawa a continué à s’exprimer en faveur d’un développement du congrès Pugwash et, au Japon, il a fondé en 1962, avec Tomonaga Shinichirô et plusieurs autres, la Conférence des scientifiques de Kyoto, une association qui approuvait le manifeste Russell-Einstein.
Parallèlement à ces développements, en 1955, à l’appel du fédéraliste mondial Shimonaka Yasaburô, sept intellectuels (dont Yukawa) ont formé un comité non partisan, l’Appel des 7 pour la paix mondiale, qui a d’abord appelé à une réforme fondamentale et au renforcement des Nations unies, qui célébraient leur dixième anniversaire à ce moment-là. Yukawa était favorable à l’idée d’une fédération mondiale, dans laquelle les nations du monde devraient avoir un seul gouvernement pour traiter les problèmes mondiaux tout en conservant leur indépendance. Il est élu président de l’Association mondiale pour une Fédération Mondiale lors de son congrès mondial en 1961 et a servi avec enthousiasme à ce poste pendant quatre ans.
Yukawa Hideki lors de la cérémonie d’ouverture du premier congrès Pugwash au Japon, qui s’est tenu au Kyoto International Conference Center en 1975. (Jiji)
En 1975, Yukawa organise le premier congrès Pugwash du Japon, « Nouvelles idées pour un désarmement nucléaire complet », à Kyoto, et publie, malgré sa grave maladie, « Au-delà de la dissuasion nucléaire : la déclaration Yukawa-Tomonaga », qui soutient que la dissuasion nucléaire n’apportera pas la paix. En 1981, lors de la conférence des scientifiques de Kyoto, il appelle encore à l’abolition des armes nucléaires et à un nouvel ordre mondial. Dix jours plus tard, alité, il écrit un texte intitulé « Plaidoyer pour la paix », qui devient son dernier appel. Il meurt trois mois plus tard, huit ans avant la fin de la Guerre froide.
(Photo de titre : Yukawa Hideki en 1965. Jiji)