Les inspirations d’un Nobel de littérature : Kawabata Yasunari et la cérémonie du thé

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Taniguchi Sachiyo [Profil]

En 1968, Kawabata Yasunari devenait le premier Japonais à recevoir le prix Nobel de littérature. Lors de son discours donnée à cette occasion, l’auteur a évoqué en particulier les liens entre son style d’écriture et la culture traditionnelle du Japon, notamment la cérémonie du thé.

« Moi, d’un beau Japon »

Le 10 décembre, jour de la remise du prix (voir photo de titre), Kawabata Yasunari arbore un haori (veste qui se porte sur un kimono) et un hakama (pantalon large plissé) traditionnels japonais. Le certificat qu’il reçoit ce jour-là est orné d’un motif de grue. Deux jours plus tard, il donne une conférence commémorative intitulée « Moi, d’un beau Japon » (Utsukushii Nihon no watashi). Il s’y exprime en japonais, Edward Seidensticker assure l’interprétariat simultané en anglais. Toutefois, ce dernier n’a pas oublié qu’il partageait avec le lauréat du prix les droits d’auteur à parts égales d’un livre contenant le discours original et la traduction anglaise, témoignage du respect profond de Kawabata pour son traducteur.

Lors de la conférence, Kawabata cite des passages de la littérature japonaise classique et évoque des personnages religieux notables. Il s’interroge sur le sens esthétique dans la culture japonaise, mettant en évidence la nature essentielle de ses œuvres par rapport à cette culture. Au début de son discours, il récite un waka du prêtre bouddhiste Myôe (1173-1232) : « Brillante, brillante, et brillante, brillante, et brillante, brillante. / Brillante et brillante, brillante, et brillante, brillante lune ». Il évoque également les récits des origines d’un poème écrit dans la nuit du douzième jour du douzième mois de la première année de l’ère Gennin (équivalent à janvier 1225), un effet dramatique de premier choix que de choisir un waka écrit un douze du mois à l’instar du jour de la conférence qui eut lieu le 12 décembre.

Son discours regorge de références à la cérémonie du thé. Il évoque l’espace « illimité » d’une salle pour ce rite, pourtant réduite, la sobriété de la décoration de la pièce, orné d’un seul bourgeon de camélia ou de pivoine, et comment le simple fait d’humidifier les bols à thé leur confère un doux éclat qui leur est propre.

Les adeptes de la cérémonie du thé font honneur, de manière consciente ou non, à la fameuse expression japonaise ichigo ichie, qui décrit le caractère précieux et absolument unique dont est dotée chaque moment de notre vie, d’où des préparatifs minutieusement pensés pour profiter au maximum de l’événement. Rien n’est alors laissé au hasard. Ainsi, la pièce est finement décorée de rouleaux suspendus arborant les écrits de prêtres zen ou encore des fragments de rouleaux d’images et de poèmes. Les ustensiles utilisés sont choisis en fonction des saisons et de l’occasion, et disposés avec le plus grand soin à même le sol, n’attendant plus que les convives. C’est cette atmosphère que Kawabata a cherché à évoquer lors de son discours, en récitant des extraits de poèmes classiques.

En réalité, la Suède, pays berceau du prix Nobel, possède un lien profond avec la cérémonie du thé. En 1935, le magnat du papier Fujiwara Ginijrô a fait don de la maison de thé Zuikitei, cédant aux demandes répétées de la japonologue Ida Trotzig, elle-même passionnée par la cérémonie du thé et auteure d’un livre sur le sujet. Le bâtiment sera la proie des flammes en 1969, et sera reconstruit en 1990. Aujourd’hui, on peut le visiter au Musée d’ethnographie de Stockholm. Cette référence à la cérémonie du thé faite par le lauréat du prix Nobel était donc on ne peut plus appropriée, sa manière à lui d’exprimer sa gratitude pour le prestigieux prix qu’il a reçu.

(Photo de titre : Kawabata Yasunari recevant le prix Nobel de littérature des mains du roi de Suède Gustave II Adolf, le 10 décembre 1968 à Stockholm. Jiji)

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Taniguchi SachiyoArticles de l'auteur

Professeure associée à l’Université d’Ochanumizu, où elle enseigne la littérature japonaise contemporaine. Ses recherches portent sur les liens entre la littérature et l’art — notamment dans les ouvrages de Kawabata Yasunari — ainsi que chez Tawada Yôko et d’autres écrivains dont l'œuvre traverse les barrières linguistiques. Elle a contribué aux volumes 3 et 4 de « Le monde littéraire de Kawabata Yasunari » (Kawabata bungaku no sekai) et « Histoire compilée de la recherche sur les ouvrages de Yasunari Kawabata » (Kawabata Yasunari sakuhin kenkyûshi shûsei). Coéditrice de « Lire les œuvres dramatiques de Tawada Yôko » (Tawada Yôko no engeki wo yomu).

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