Les grandes figures historiques du Japon
Tange Kenzô, architecte monumental du Japon moderne
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Toujours accompagné par Le Corbusier
Tange Kenzô est né en 1913 à Sakai (préfecture d’Osaka), et il a passé son enfance à Imabari (préfecture d’Ehime), où se trouvait la maison de famille de son père. Une fois diplômé de l’École des hautes études de Hiroshima (l’un des établissements qui ont précédé l’Université de Hiroshima), il est entré au Département d’architecture de l’Université impériale de Tokyo (aujourd’hui Université de Tokyo). Il a été fortement impressionné par l’architecte français contemporain Le Corbusier, et c’est toujours avec un livre de lui sous le bras qu’on le voyait arpenter le campus. Une fois diplômé, il a pris un emploi dans un cabinet d’architecture, mais il est ensuite retourné à l’université pour y poursuivre des études supérieures d’aménagement urbain et d’architecture.
Après la Seconde Guerre mondiale, Tange a été embauché comme professeur adjoint au Département d’architecture de l’Université de Tokyo, et il s’est lancé dans la carrière d’architecte en travaillant en dehors de son laboratoire à l’université. Il a alors conçu de nombreux édifices et espaces publics, dont le Parc du Mémorial de la Paix de Hiroshima, le Bâtiment du gouvernement préfectoral de Kagawa, l’Hôtel de ville de Tokyo, le Gymnase olympique de Yoyogi, la Cathédrale Sainte-Marie de Tokyo et le Festival Plaza de l’Exposition universelle d’Osaka en 1970.
Arrivé à l’âge de la retraite en 1973, Tange quitta son poste à l’Université de Tokyo. Le travail auquel il s’est livré par la suite relevait moins du métier d’architecte que de celui, pourrait-on dire, de « concepteur urbain ». Reconnu dans le monde entier pour son génie en matière de création de plans destinés à de nouvelles capitales, de planification urbaine et de conception de grands ensembles, il a produit des ouvrages dans des endroits comme les pays exportateurs de pétrole du Moyen-Orient, les pays africains en développement et Singapour.
Des chefs-d'œuvre architecturaux adaptés à leur époque
Au cours de sa carrière, Tange a conçu un grand nombre d'œuvres architecturales aux quatre coins du monde, mais la majorité de ses chefs-d'œuvre ont vu le jour au Japon, en particulier au cours de la période qui va de 1949, année du début de sa carrière d’architecte, à 1970, année de la tenue d’Expo ’70 à Osaka.
Isozaki Arita, l’un des grands disciples de Tange, observe que « la destinée de l’archipel dévasté était omniprésente dans son œuvre, mais en ce qui concerne les idées et les méthodes qu’il appliquait à l’aménagement urbain et à la conception architecturale, il avait les yeux ouverts sur le monde ». Ici, l’expression « destinée de l’archipel dévasté » fait référence à la reconstruction des villes du Japon détruites à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, et à l’avènement de la période de croissance économique rapide qui s’est ensuivie. On peut dire que les concepts de Tange en matière de villes et d’édifices étaient en adéquation avec la situation qui prévalait à l’époque.
Au nombre des œuvres de Tange qui incarnent cette adéquation, on peut citer le Parc du Mémorial de la Paix de Hiroshima et le Gymnase olympique de Yoyogi. Le parc a été créé en face du Dôme de la bombe atomique. Il a été conçu pour servir à la fois de mémorial consacré aux victimes du bombardement et de site dédié à la construction de la paix. Le gymnase a été érigé sur le site de l’ancien quartier de Washington Heights, qui abritait les membres des forces armées américaines et leurs familles dans les années qui ont suivi la guerre. Cet étonnant édifice a accueilli les championnats de natation et de basket-ball des Jeux olympiques de Tokyo de 1964. Et il a envoyé au reste du monde le message que Tokyo s’était superbement remise des dégâts infligés pendant la guerre.
Le Parc du Mémorial de la Paix de Hiroshima a aussi servi de tribune internationale pour l’envoi de messages appelant à une paix durable, tels que les discours prononcés par le président des États-Unis Barack Obama et le pape François. Le Gymnase olympique de Yoyogi reste quant à lui très apprécié du public en tant qu’il fait partie de l’héritage physique des Jeux olympiques de Tokyo de 1964, et il continue d’héberger toutes sortes d’événements, avec un calendrier extraordinairement rempli.
Les nombreux éminents disciples de Tange
Tange a enseigné à l’Université de Tokyo entre l’immédiat après-guerre et l’année 1973. Et, jusqu’aux environs de l’année 1964, il a mené ses activités de conception architecturale en dehors de son laboratoire à l’université, en collaboration avec une équipe d’assistants et d’étudiants de troisième cycle, dont Maki Fumihiko, qui évoque ce souvenir : « Si l’on fait une analogie avec le base-ball, nous ressemblions davantage à une équipe d’élèves du secondaire qu’à une équipe professionnelle. [rires] Dans un cabinet d’architectes ordinaire, vous avez des diplômés de diverses universités, mais à l’époque, dans le laboratoire de Tange, tout le monde sortait de l’Université de Tokyo. »
Les membres du laboratoire de Tange à l’Université de Tokyo ont continué sur leur lancée et se sont fait reconnaître internationalement pour leur travail d’architectes. En témoignent les cas de Maki Fumihiko (qui a conçu le Hillside Terrace de Daikanyama, le Spiral d’Omotesandô et le siège de TV Asahi), Isozaki Arata (Musée d’art moderne de Gunma, Art Tower Mito, Palau Sant Jordi [complexe sportif pour les Jeux olympiques de Barcelone] Kurokawa Kishô (Nakagin Capsule Tower, Musée municipal d’art contemporain de Hiroshima) et Taniguchi Yoshio (Sea Life Park de Tokyo, galerie des Trésors du Hôryûji du Musée national de Tokyo, Musée d’art moderne de New York).
Par ailleurs, Tange et son épouse ont joué un rôle d’intermédiaires rituels dans les mariages de la majorité des membres de l’équipe. C’est par ce biais et d’autres, que le groupe, et notamment les familles des membres, est devenu très soudé.
Au service des potentats du Moyen-Orient
Avant la Seconde Guerre mondiale, des architectes japonais exerçaient leur activité hors de l’Archipel, intervenant dans des endroits comme la péninsule coréenne, la Chine et l’Asie du Sud-Est, mais après la guerre, leur travail a été cantonné à l’intérieur du Japon. À partir de 1951, année où il a participé à une conférence internationale qui s’est tenue à proximité de Londres, Tange n’en a pas moins réussi à se tisser un réseau de relations internationales. En 1959, il est devenu professeur invité au Massachusetts Institute of Technology.
La renommée internationale de Tange a encore grandi en 1964, avec l’achèvement du Gymnase olympique de Yoyogi, après quoi le champ de ses activités a continué de s’élargir. Le couronnement de son œuvre a été le Festival Plaza conçu pour l’Expo ’70 d’Osaka. L’exploit accompli par Tange en créant le site de cette foire internationale à partir d’un espace de 3,3 millions de mètres carrés couvert de bambous semble avoir impressionné les membres des familles royales du Moyen-Orient et les dirigeants des pays africains nouvellement indépendants qui ont visité l’exposition. Certains d’entre eux ont par la suite demandé à Tange de concevoir des projets en vue de transformer des étendues de désert et de savane de leurs pays en villes qui feraient l’envie de tous.
Outre qu’il avait du talent, Tange était asiatique, et peut-être cela a-t-il contribué à faire de lui un choix plus attractif que les architectes européens aux yeux des dirigeants des pays émergeants qui venaient d’obtenir leur indépendance des puissances coloniales européennes. On peut comprendre qu’ils aient souhaité s’adresser à un architecte non européen comme Tange pour concevoir les bâtiments officiels de leurs nouveaux gouvernements nationaux.
Une image quelque peu égratignée
Nous avons parlé jusqu’ici de la façon dont Tange s’est taillé une renommée nationale et internationale due principalement à son travail sur le territoire japonais. Toutefois, après Expo ’70, ses créations n’ont plus suscité le même genre d’applaudissements. S’il s’était jusque-là attaqué à des projets publics d’envergure nationale au Japon, après la crise pétrolière de 1973 (qui a porté un coup sévère à l’économie japonaise), on lui a reproché d’être devenu « commercial ». Et les plans qu’il a dressés pour des palais destinés aux monarchies du Moyen-Orient et pour le Bâtiment du Gouvernement métropolitain de Tokyo lui ont valu des accusations d'« autoritarisme ».
Après la crise pétrolière, on est en droit de dire que Singapour a supplanté l’Europe en tant qu’idéal de Tange. Très favorable au capitalisme financier épousé par cette cité-État sous la direction de Lee Kuan Yew, il y a conçu et construit un grand nombre de gratte-ciel. Il a aussi voulu prendre pour modèle le concept singapourien de zone économique spéciale pour l’aménagement du quartier d’Odaiba, dans la baie de Tokyo.
Au cours des décennies qui vont de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la crise pétrolière de 1973, le Japon a subi et surmonté une kyrielle de crises dévastatrices et enregistré une hausse spectaculaire de son revenu national, de concert avec une amélioration de son système de protection sociale. Dans le même temps, il a œuvré en faveur de la coopération internationale et de la paix dans le monde. Dans ce contexte, Tange Kenzô est devenu mondialement célèbre pour l'œuvre qu’il a accomplie en tant que grand créateur d’espaces urbains imprégnés des idéaux du Japon d’après-guerre. Il avait la conviction que les architectes — et eux seuls — étaient en mesure de créer des villes adaptées aux modes de vie des populations modernes.
Mais la crise pétrolière a modifié l’environnement dans lequel Tange évoluait en tant qu’architecte. Confronté à de graves difficultés, le gouvernement japonais a revu à la baisse son investissement dans le genre de grands projets publics auxquels il s’était précédemment attelé. Privé de travail dans son pays, Tange s’est consacré à la création de concepts pour les villes et de plans d’édifices commandés par les chefs d’État et les membres des familles royales du Moyen-Orient. Les gens en sont venus à penser qu’il préférait les régimes despotiques à la démocratie — une méprise qui a été tragique pour lui.
Les architectes du XXIe siècle, qui font grand cas des ordinateurs, produisent des plans extravagants pour les villes, particulièrement dans les pays exportateurs de pétrole. Ces plans ont attiré l’attention un peu partout dans le monde et recueilli l’approbation des chefs d’État. Je ne pense pas être le seul à les regarder et à y voir la marque de l’influence de Tange. La question qui se pose à nous est de savoir si des plans conçus pour des ploutocrates serviront de schémas directeurs pour les villes de demain.
Tange Kenzô en quelques dates
1913 | Naissance à Sakai, préfecture d’Osaka. |
1935 | Admission au Département d’architecture de l’Université impériale de Tokyo (aujourd’hui Université de Tokyo). |
1938 | Diplômé, il rejoint le cabinet d’architecture de Maekawa Kunio. |
1941 | Retour à l’Université de Tokyo pour y poursuivre des études supérieures d’aménagement urbain et d’architecture. |
1946 | Devient professeur adjoint au Départment d’architecture de l’Université de Tokyo. |
1949 | Gagne le premier prix d’un concours de projets d’architecture pour le Parc du Mémorial de la Paix de Hiroshima. |
1952 | Gagne le premier prix d’un concours de projets d’architecture pour le siège du Gouvernement métropolitain de Tokyo (situé dans le quartier de Yûrakuchô). |
1963 | Devient professeur au Département d’ingénierie urbaine de l’Université de Tokyo. |
1964 | Achèvement du Gymnase olympique de Yoyogi. |
1966 | Gagne le premier prix d’un concours de projets d’architecture pour la rénovation du centre-ville de Skopje (Macédoine). |
1970 | Achèvement du Festival Plaza de l’Exposition universelle d’Osaka. |
1974 | Quitte son poste de l’Université de Tokyo. |
1981 | Proposition de projet pour la nouvelle capitale du Nigéria. |
1982 | Achèvement du Palais royal à Djedda (Arabie soudaite). |
1986 | Gagne le premier prix d’un concours de projets d’architecture pour le Bâtiment du Gouvernement métropolitain de Tokyo. |
1987 | Prix Pritzker (aussi appelé le prix Nobel d’architecture) . |
2005 | Décès à l’âge de 91 ans. |
(Photo de titre : Tange Kenzô en 1965. Jiji)