
Les grandes figures historiques du Japon
Suzuki Daisetsu : le philosophe bouddhiste qui a répandu le zen dans le monde entier
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Expérimenter le zen
Suzuki Daisetsu n’a cessé tout au long de son existence, de transmettre la pensée de l’Asie orientale et du Japon au monde entier, dans la langue anglaise. Son influence sur les artistes et intellectuels occidentaux est immense, bien supérieure à celle qu’il a pu avoir au Japon. À tel point qu’on trouve un personnage appelé « Dr Suzuki » directement inspiré de lui dans un roman de Salinger, par exemple.
S’il est essentiellement connu sous le nom de Daisetsu, son nom de naissance était Teitarô. En Occident, son nom a souvent été transcrit « D.T. Suzuki ».
Mais les mérites de Suzuki Daisetsu ne s’arrêtent pas à avoir présenté le zen à l’étranger. Il a également traduit en anglais l’ouvrage Kyôgyôshinshô (« Sur l’Enseignement, la Pratique, la Foi et l’Éveil ») de Shinran, le fondateur de l’école de la Terre Pure, un accomplissement magistral. Son action pour la connaissance de l’essence du zen en Occident le fait considérer généralement comme l’introducteur du zen. D’ailleurs, de nombreuses personnes croient que Suzuki Daisetsu était lui-même un bonze zen. Or, ce n’est pas le cas. À l’origine, il n’avait aucune intention de devenir un prosélyte du bouddhisme, ni de parler de la théorie ou de la philosophe du zen. C’est après avoir fait « vœu incommensurable » d’apporter le salut à tous les êtres qu’il entreprit de parler des idées venues de son expérience personnelle de la méditation zen et continua tout au long de sa vie.
Le zen accorde de l’importance à l’expérience plus qu’à tout autre chose. C’est le sens de la formule Furyûmonji, c’est-à-dire « Les mots ne suffisent pas ». Il est donc d’autant plus compliqué de transmettre la valeur du zen dans une langue étrangère. Il ne suffit pas de traduire « ne pas se reposer sur les mots » pour que cela veuille dire quelque chose. Il faut au préalable créer une situation de communication, sans laquelle il est impossible de faire prendre conscience son interlocuteur du territoire du zen.
Nishitani Keiji (1900-1990), disciple du grand philosophe Nishida Kitarô (1870-1945) qui était lui-même un grand soutien de Suzuki Daisetsu, a déclaré : « L’œuvre de maître Daisetsu a été centrée sur la transmission du bouddhisme, et tout particulièrement du zen. Mais quand on y réfléchit, on comprend vite qu’il ne suffit pas d’être versé dans le bouddhisme zen et de parler une langue étrangère pour mener ce genre de mission à bien. Pour réussir ce travail, il faut, bien entendu, avoir ses racines plongées profondément dans la longue tradition du zen, et en même temps, être un homme de son temps, pour pouvoir appréhender cette tradition avec sa chair d’homme du monde contemporain. »
C’est cela qui fait toute la différence entre le travail de Suzuki Daisetsu et une simple traduction ou une glose en anglais d’un traité sur le zen.
Outre de nombreux textes et conférences données en anglais, Suzuki Daisetsu répondait volontiers et spontanément aux questions de son assistance, lors de ses visites à l’étranger. C’est peut-être lors de ces sessions, face à ses interlocuteurs, quand il répondait aux questions, à la fois en mots et par son être même, que Suzuki Daisetsu a certainement montré sa véritable intelligence du zen. C’est là que l’expérience du « zen » est devenue véritablement possible.
Une rencontre décisive avec un bonze à Kamakura
Suzuki Teitarô est né en 1870 à Honmachi, dans la ville de Kanazawa, préfecture d’Ishikawa. Le chef de la famille Suzuki était médecin attaché à la famille Honda du clan Kaga. Teitarô perdit son père très jeune et dut faire face à des difficultés financières pour poursuivre ses études. Dans sa jeunesse, il fit la connaissance du futur philosophe Nishida Kitarô et de Fujioka Sakutarô (1870-1910), futur spécialiste de littérature japonaise, avec lesquels il poursuivit une relation épistolaire jusqu’à la fin de sa vie. En particulier, Suzuki et Nishida échangèrent leurs enseignements chacun dans son domaine, et c’est sous le signe d’un profond respect mutuel que chacun de son côté, ils sont devenus des penseurs de valeur exceptionnelle, au-delà de la simple érudition.
Avant de devenir Daisetsu, Teitarô connut de nombreuses vicissitudes. Devenu élève de ce qui est aujourd’hui l’Université de Kanazawa, il dut interrompre ses études suite aux difficultés financières de sa famille. Il prit un emploi d’enseignant d’école primaire dans sa ville natale, il en démissionna également. Il monta à la capitale, s’inscrivit dans ce qui est aujourd’hui l’Université Waseda, mais arrêta de nouveau pour entrer au département de philosophie de l’Université impériale de Tokyo, qu’il quitta également avant son diplôme.
Si Teitarô était monté à la capitale, c’était bien pour suivre des études supérieures, mais il avait dès cette époque la volonté de se former à la pratique du zen. Il entra au temple Enkaku-ji de Kamakura dès 1891. C’est de ce moment que date sa rencontre avec l’abbé du temple, Imakita Kôsen (1816-1892). Lors de leur première entrevue, l’abbé lui ayant demandé d’où il était originaire, Teitarô lui répondit « Kanazawa à Kaga ». L’abbé lui aurait alors répondu : « Ceux du nord savent être patient ».
Demander à quelqu’un dont on fait la connaissance de quelle région il vient n’a certes rien d’extraordinaire, mais le mot de Kôsen n’était-il qu’un banal jugement de valeur sur le caractère supposé des gens de telle ou telle région ? Suzuki a plusieurs fois raconté cette anecdote, même après avoir changé son nom en Daisetsu. De l’importance que ces récits donnent à cette anecdote, on en déduit que, pour le jeune Teitarô, la réponse de l’abbé impliquait une sorte de vœu : « Il espérait que je devienne une personne patiente, il me donnait pour mission de devenir cette personne ». En fin de compte, Daisetsu ne termina jamais ses études supérieures. Cette rencontre avec Kôsen lui fit choisir la voie de la formation bouddhique, plutôt que celle des études universitaires.