Les grandes figures historiques du Japon

Ikkyû Sôjun : le moine fantasque devenu un héros d’anime

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Ikkyû est connu un peu partout dans le monde grâce à l’anime dont il est le héros. On a souvent de lui l’image d’un petit bonze excentrique, mais en réalité, c’était un moine de haut rang, rebelle et critique de la frivolité du monde bouddhique de son époque. Le personnage a tellement ancré ses principes de vie que ses enseignements sont vivants aujourd’hui encore.

Un moine qui critique les moines

Loin de l’instabilité semée ici et là par les catastrophes naturelles et les conflits, la région de Sakai, pivot du commerce national et international où arrivent toutes les nouveautés venues de l’étranger, prospère ; Ikkyû s’y rend à de nombreuses reprises. Il sillonne les rues animées, équipé d’un long sabre rouge qui attire l’attention. Un moine zen qui se promène ainsi accoutré, voilà qui est insolite.

Bien entendu, les passants l’interrogent : pourquoi ce sabre ? Ikkyû leur répond que son sabre est en bois et qu’il ne sert à rien, exactement comme de nombreux moines qui soignent leur apparence mais ne sont d’aucun secours quand on a besoin d’eux. Si Ikkyû est souvent représenté avec un sabre rouge au côté, c’est en référence à cette anecdote. Ses critiques ne portent pas seulement sur le clergé de l’époque, elles s’adressent aussi aux gens du peuple qui respectent les moines. Ils se conduisent avec vous aussi bizarrement que je le fais ici, leur dit-il. Ikkyû, qui appelle de ses vœux des moines plus instruits et mieux imprégnés des préceptes du zen, affiche un comportement à première vue contraire à son souhait, ce qui séduit les habitants de Sakai. Et en prime, il est le fils de l’empereur Go-Komatsu. Les riches marchands sont nombreux à se réunir autour de lui.

Portrait d’Ikkyû Sôjun avec son sabre rouge (collections du Shûon-an)
Portrait d’Ikkyû Sôjun avec son sabre rouge (collections du Shûon-an)

À Sakai, ville la plus prospère du pays, l’un des disciples de Kasô nommé Yôsô Sôi est chargé de convertir des fidèles. Il se sert du document de transmission de la Loi que lui a remis Kasô pour tenter de convertir des commerçants à qui, jusque-là, ne s’adressaient pas les prêches. Nombre d’entre eux, de basse extraction sociale, manquent d’instruction, mais ils ont de l’argent. Pour les convertir, il est nécessaire d’abaisser le niveau des sermons. Pour Ikkyû, sérieux comme il est, ceci est totalement impensable !

Une vie loin des honneurs

Ikkyû fustige ce « certificat d’éveil » que les moines zen recherchent à tout prix pour prouver leur valeur. À ses yeux, ce document de transmission de la Loi est non seulement dépourvu de valeur, mais il est aussi néfaste. Quand, à l’âge de 47 ans, il est nommé supérieur du Nyoi-an dans l’enceinte du Daitoku-ji, le temple principal de l’école Rinzai, il quitte très vite ses fonctions car il ne trouve aucun intérêt au travail figé des moines de haut rang. Ce comportement à la fois rebelle et excentrique est typique d’Ikkyû.

Tournant le dos aux honneurs, il quitte donc sans tarder le Daitoku-ji, mais lorsque le temple sera incendié durant la guerre d’Ônin, il soutiendra de toutes ses forces les efforts de reconstruction malgré son âge avancé – il a alors 85 ans –, par respect pour les pères du zen dont c’est le berceau. De nombreux marchands de Sakai qui tiennent Ikkyû en estime l’aideront à reconstruire le Daitoku-ji. Malgré le nombre important de disciples qui se rassemblent alors autour d’Ikkyû, celui-ci ne délivrera jamais de document de transmission de la Loi, fidèle à ses idées.

En 1478, avant son décès, l’entourage d’Ikkyû connaît une crise. Ses disciples lui demandent de nommer son successeur. Plusieurs d’entre eux sont susceptibles de remplir ce rôle, mais Ikkyû rechigne à en désigner un. Quand ses disciples le pressent encore, il finit par laisser échapper le nom de Motsurin Jôtô. Ravis, tous se réunissent autour de Motsurin, qui se fâche : pour lui, le maître n’a dit cela que parce que son jugement est obscurci par la maladie ou la vieillesse, sa vie entière le prouve.

Statue en bois d’Ikkyû (collections du Shûon-an)
Statue en bois d’Ikkyû (collections du Shûon-an)

Dans ce contexte, comment l’enseignement d’Ikkyû parvenu jusqu’à nous s’est-il transmis après son décès en 1481 ? Ses disciples ont mis en place un système d’assemblée : une fois par an, ils se réunissent dans la ville de Kyôtanabe, où repose leur maître, pour décider tous ensemble des points importants. Ce système rappelle la façon dont les enseignements de Bouddha ont été transmis après sa mort par ses disciples rassemblés, pour donner naissance au bouddhisme ancien. Au refus d’Ikkyû de nommer un successeur, ses disciples ont trouvé une réponse digne de lui : prendre leurs décisions en commun, ce qui a permis à ses enseignements de parvenir jusqu’à nous en dehors de tout document de transmission de la Loi et par-delà la mort du maître.

(Photo de titre : collections du Shûon-an)

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