
Les grandes figures historiques du Japon
Cartographier le Japon du début du XIXe siècle, le projet fou d’Inô Tadataka
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Mission : cartographier le littoral nippon dans sa totalité
Il fallut deux ans à Inô Tadataka pour achever son étude de l’Est du Japon. Le côté nord de la mer du Japon (le nord de Honshû) fut cartographié en 1802 et la partie centrale de l’île en 1803. Il présenta les fruits de son travail au shôgun Tokugawa Ienari. Les précieuses cartes furent ainsi affichées sur les murs d’une salle de réception à l’intérieur du château d’Edo. Impressionné par la précision de ces dernières, le shogun en fit son mandataire et ordonna à Inô Tadataka d’arpenter la partie ouest du pays. Les coûts furent cette fois-ci entièrement pris en charge par le gouvernement central.
Inô Tadataka estima que trois années lui seraient nécessaires pour ce faire. Cependant, cartographier les baies, les péninsules et les îles le long des côtes de l’ouest du Japon s’avéra une entreprise colossale. À partir de 1805, son équipe, initialement composée de quelques personnes, pour la plupart ses disciples de surcroît, comprend désormais des experts aguerris issus du bureau du calendrier shogunal. Elle se lança dans une expédition la région du Kinki, où se trouve l’actuelle préfecture de Nara. Vers 1810, ils firent route vers la région du Chûgoku, à l’extrémité ouest de Honshû, puis vers les îles de Shikoku et de Kyûshû, au sud-ouest, avant de terminer par la capitale, Edo. L’équipe se rendit également dans les îles d’Izu, mais sans Inô Tadataka, devenu trop âgé. Inô Tadataka passa ainsi 17 années de sa vie à arpenter le Japon dans ses moindres recoins, parcourant des dizaines de milliers de kilomètres.
En 1806, Inô Tadataka et son équipe cartographient le port du district de Mitarai sur l’île d’Ôsaki Shimojima à Kure, dans la préfecture de Hiroshima (photo avec l’aimable autorisation de la ville de Kure)
L’une des quatre cartes couvrant tout le Japon et l’île de Karafuto (Sakhaline) réalisée en 1870 sur la base des cartes antérieures d’Inô Tadataka (avec l’aimable autorisation de l’Autorité d’information géospatiale du Japon)
Inô Tadataka développa sa propre méthode d’arpentage : une traversée non fermée. À partir d’un emplacement connu, il mesurait la distance jusqu’à un deuxième point de référence et calculait la position d’éléments tels que des montagnes ou des îles par rapport à cette ligne. Il parvint à en déterminer la latitude avec un degré de précision impressionnant pour l’époque en observant l’altitude méridienne des étoiles fixes, puis en comparant les chiffres avec les données de points connus le long de son itinéraire et à Edo. Cependant, le calcul de la longitude s’avéra plus difficile. Inô Tadataka dut mesurer la durée des éclipses lunaires et solaires au cours de ses expéditions. Mais il ne disposait pour ce faire que d’une horloge à pendule. Malheureusement, les mauvaises conditions météorologiques et l’absence d’instruments portatifs pour mesurer le temps ne lui permirent que d’obtenir des résultats approximatifs lors de la coordination des données entre les différents points d’observation, réduisant la précision longitudinale de ses cartes.
Malheureusement, Inô Tadataka fut confronté à d’autres défis. Atteint d’asthme, il contracta également la malaria lors d’une de ses expéditions, l’obligeant un temps à déposer ses instruments et à se faire soigner sur place. En raison des restrictions imposées par le gouvernement en cas de voyages à l’intérieur des terres, il dut lors de ses premières expéditions, négocier avec les responsables de chaque domaine pour obtenir l’autorisation de mener ses recherches. Plus tard, sa nomination en tant que mandataire du shogun l’en exemptera, assurant à son équipe la coopération totale de chaque domaine.
Le succès d’un projet d’une telle envergure en dit long sur les prouesses techniques d’Inô Tadataka et sa détermination inébranlable. Mais ces travaux n’auraient pu avoir lieu sans le soutien de son professeur Takahashi Yoshitoki et de son fils Kageyasu, qui succédera à son père au bureau du calendrier shogunal, ainsi que du soutien financier et administratif des gouvernements central et provincial.
Le travail inachevé du cartographe
En 1814, à son retour de son expédition dans la région du Kyûshû, Inô Tadataka s’installe au bureau shogunal de cartographie et s’attaque à la tâche fastidieuse de transformer la grande quantité de données qu’il a recueillies en cartes. Celles-ci deviendront finalement ce que l’on appellera communément les « cartes Inô » ; une série de cartes méticuleusement dessinées, rendues à grande échelle (1:36 000), moyenne (1:210 000) et petite (1:430 000).
Inô Tadataka mourut en 1818, avant de pouvoir achever son œuvre. Ce sont ses disciples avec l’aide des fonctionnaires subalternes du bureau du calendrier shogunal qui durent terminer son travail. Il leur fallut encore plusieurs années avant de pouvoir soumettre des cartes complètes au shogunat en 1821.
Carte d’Inô de la région du Kantô. Il s’agit de l’une des huit cartes du Japon reproduites à l’échelle 1:210 000 (photo avec l’aimable autorisation de l’Autorité d’information géospatiale du Japon)
Cependant, le shogunat Tokugawa n’a jamais publié ces cartes. Après la Restauration de Meiji en 1868, les originaux ont été perdus dans un incendie au Palais impérial. Plus tard, le ministère de l’Intérieur, l’armée et la marine ont réalisé des cartes officielles du Japon réalisées à partir de copies des œuvres d’Inô Tadataka obtenues par sa famille, mais ces répliques ont également été perdues dans l’incendie provoqué par le Grand tremblement de terre du Kantô en 1923. Les rares exemples de cartes d’Inô qui existent encore aujourd’hui proviennent de collections privées, y compris de copies offertes aux seigneurs féodaux (daimyô). Un grand nombre d’entre elles ont été désignées par le gouvernement comme biens culturels importants et trésors nationaux.
Aujourd’hui encore, Inô Tadataka est admiré non seulement pour l’ampleur de ces expéditions dans tout le Japon, mais également pour l’âge qu’il avait – plus de 50 ans – lorsqu’il s’est lancé dans ce projet, ce qui a même conduit certains à le considérer comme un modèle pour le troisième âge du pays.
Toutefois, il y eut un certain nombre d’ombres au tableau. S’il est vrai qu’il était un arpenteur talentueux, doublé d’un chef habile, à la détermination inébranlable, il était également connu pour être sévère et intransigeant, au point même de renier son propre fils et sa propre fille et de parfois renvoyer des élèves.
Cependant, l’ampleur de ses travaux fait oublier ses aspects plus durs. En 1883, un groupe d’hommes d’État japonais notamment composé de Sano Tsunetami (en tant qu’ancien guerrier du domaine de Saga, il a été profondément impressionné par les cartes d’Inô alors qu’il servait au centre de formation navale de Nagasaki) et d’Enomoto Takeaki (son père avait été le disciple d’Inô Tadataka et avait participé à plusieurs expéditions) entreprirent d’accorder à titre posthume au célèbre cartographe un titre de cour de rang moyen.
Plus récemment, à l’occasion du bicentenaire de la première expédition d’Inô Tadataka en 2001 et de sa mort en 2018, différents événements ont été organisés, tels que des conférences par des experts, des expositions de ses cartes, des circuits à pied à sa mémoire, véritables pèlerinages sur les traces du cartographe. Si les originaux et bon nombre des copies des cartes Inô ont disparu, le cartographe reste toujours, des siècles plus tard, une grande figure historique pour les Japonais.
(Photo de titre : portrait d’Inô Tadataka. Photo avec l’aimable autorisation de musée mémorial Inô Tadataka)