Les grandes figures historiques du Japon

Cartographier le Japon du début du XIXe siècle, le projet fou d’Inô Tadataka

Histoire Culture

Inô Tadataka (1745-1818) avait déjà 55 ans lorsqu’il se lança dans un projet des plus ambitieux pour l’époque : cartographier l’ensemble des côtes nippones. Son projet soutenu par le shogunat fera de lui une grande figure historique du pays, connue de tous.

Un projet colossal

Dans la deuxième partie de l’époque d’Edo (1603-1868), le géographe Inô Tadataka (1745-1818) se lança dans le projet fou de cartographier tout l’archipel, et il y consacra les 17 dernières années de sa vie. Mais il mourut à l’âge de 73 ans en laissant son œuvre inachevée. Ses disciples menèrent toutefois à bout son ambition pour parvenir à une carte du Japon basée sur ses recherches. Autre chose, et de taille, qui distingue Inô Tadataka de ces contemporains : ses techniques scientifiques modernes. Sa collection de cartes, d’une extrême précision pour l’époque, sera utilisée jusqu’à l’époque Meiji (1868-1912) dans le cadre des efforts entrepris par le gouvernement.

Une pan de la carte du Japon réalisée par Inô Tadataka : on peut y voir le mont Fuji et ses environs (échelle 1: 36 000). Il s’agit de l'une des 214 feuilles individuelles dessinées à la main qui composent la série (avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)
Une pan de la carte du Japon réalisée par Inô Tadataka : on peut y voir le mont Fuji et ses environs (échelle 1:36 000). Il s’agit de l’une des 214 feuilles individuelles dessinées à la main qui composent la série (photo avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)

Inô Tadataka est né sur la côte de Kujûkuri, dans la province de Kazusa (actuellement préfecture de Chiba). Son enfance fut plutôt tumultueuse ; sa mère mourut alors qu’il n’avait que six ans et son père fut contraint de quitter la famille. Il ne put le revoir avant l’âge de 10 ans.

Élève plutôt doué, Inô Tadataka avait un talent particulier pour l’arithmétique et était passionné d’astronomie. À 17 ans, il se maria et devint le gendre et le fils adoptif de la famille Inô, un clan de commerçants dans le village voisin de Sawara. En tant qu’héritier, et grâce à son sens des affaires, il remit à flot la brasserie de saké familiale et rétablit les finances du foyer.

Inô Tadataka était un homme avide de savoir, ce qui ne fut en rien un obstacle aux efforts qu’il déploya pour faire fructifier les affaires familiales. Choisi comme nouveau chef de village, il mit à profit ses connaissances en comptabilité pour contrôler les quantités des ressources de la communauté, notamment les rations de riz pendant les périodes de famine. L’une de ses premières cartes est celle de la rivière Tone qui coule à proximité et servit à anticiper et prévenir les inondations et aux travaux d’irrigation en général. Il fera d’ailleurs référence à cette carte plus tard lorsqu’il entreprendra de cartographier le pays tout entier. Son érudition lui valut la reconnaissance du bakufu, le gouvernement shogunal, qui lui accorda le nom de famille Inô et l’honneur de porter un sabre.

Cap sur les terres indigènes du nord

À 49 ans, Inô Tadataka quitta ses fonctions de chef du village de Sawara, transmit son entreprise à son fils et se retira avec sa fortune dans le quartier de Fukagawa à Edo (aujourd’hui l’arrondissement de Kôtô à Tokyo). Pourtant déjà d’un certain âge, c’est une seconde vie qui l’y attendait. Il se lança en effet dans l’étude, autodidacte dans un premier temps, de l’astronomie, s’équipant de toute une panoplie d’instruments pour observer le ciel. Peu de temps après sa retraite, il se perfectionna auprès de son nouveau professeur, Takahashi Yoshitoki, un des principaux astronomes du shogunat Tokugawa au pouvoir, chargé de réviser le calendrier japonais. Takahashi Yoshitoki connaissait bien l’astronomie chinoise et occidentale, et grâce à ses enseignements, Inô Tadataka apprit comment utiliser des corps célestes pour fixer sa position géographique. Cette connaissance lui sera plus tard très précieuse et lui permettra d’étudier méthodiquement de vastes étendues de terres.

Après avoir acquis les connaissances nécessaires, Inô Tadataka se mit en tête de déterminer la taille de la Terre, une tâche qui l’obligea d’abord à déterminer l’étendue d’un degré d’arc de méridien. Pour ce faire, il essaya tout d’abord de calculer la distance entre son domicile et le bureau du calendrier shogunal à l’aide d’une technique d’arpentage appelée « traversée », qui consiste à mesurer avec précision la longueur et la direction d’une série de lignes connectées entre deux points fixes. Cependant, rapportant ses conclusions à Takahashi Yoshitoki, Inô Tadataka se vit rapidement rétorquer que la longueur totale mesurée était insuffisante et que le risque d’erreur était trop élevé pour que la valeur obtenue puisse être prise en compte. Selon lui, Inô Tadataka devait au moins mesurer la distance entre Edo et l’île septentrionale de Hokkaidô, alors appelée Ezo, s’il espérait obtenir une valeur utilisable.

Seulement, Ezo était à l’époque une contrée sauvage dominée par le peuple indigène des Aïnous. Le shogunat avait dispersé des avant-postes tout autour de l’île si bien que le contrôle des visites était extrêmement strict. Avec les constantes incursions des navires russes, les responsables tenaient à montrer la détermination du Japon à revendiquer l’île. Lorsque Takahashi Yoshitoki proposa à Inô Tadataka de mener des recherches approfondies en se rendant à Ezo, le shogunat donna son accord, donnant même une modeste somme d’argent, que le cartographe compléta avec ses propres fonds personnels.

Cette autorisation en poche, en 1800, Inô Tadataka mena une expédition en direction du nord et arpenta ainsi l’île pendant six mois. Impressionné au vu des cartes qu’il put réaliser de retour de son périple, le bakufu décida d’envoyer l’année suivante Inô Tadataka pour arpenter cette fois-ci le littoral particulièrement découpé du Pacifique du nord de Honshû, l’île principale du Japon. Lors de sa seconde expédition, il atteignit l’objectif qu’il s’était fixé : mesurer un degré de latitude. Grâce aux mesures qu’il avait prises, il comprit que ce degré de latitude était égal à 28,2 ri, soit 110,75 kilomètres, une découverte dont son professeur et lui-même se réjouirent car elle correspondait aux écrits de l’astronome français Jérôme Lalande, dans son Traité d’astronomie, à l’époque un texte de référence pour les astronomes japonais.

Suite > Mission : cartographier le littoral nippon dans sa totalité

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