Les grandes figures historiques du Japon

Shibusawa Eiichi, « le père du capitalisme japonais » et profond humaniste

Économie Histoire

Au cours de sa vie, Shibusawa Eiichi, entrepreneur et dirigeant du monde des affaires de l’ère Meiji, a fondé plus de 500 banques et entreprises commerciales et contribué à leur gestion, ce qui lui a valu la réputation de « père du capitalisme japonais ». Mais il pensait aussi que l’éthique et l’activité économique étaient inséparables et que l’intérêt général devait passer avant le profit. Mettant cette doctrine en pratique, il s’est impliqué dans quelque 600 organismes d’aide sociale. Le Musée mémorial Shibusawa Eiichi de Tokyo retrace l’histoire de cet influent industriel et philanthrope.

Une inflexible détermination

Shibusawa a vécu dans une époque de mutations turbulentes. Au départ adepte des thèses xénophobes, il prit ensuite conscience de la dynamique de l’histoire et embrassa les idées occidentales. Il rejoignit le gouvernement qui renversa le régime féodal qu’il avait jadis servi. Peut-être certains verront-il dans ce changement d’allégeance le signe d’un manque de principes, mais Shibusawa était en fait un homme de fermes convictions. Tout au long de sa vie, il a fait montre d’un dévouement sans faille au service de l’intérêt général, certes en se pliant lorsqu’il le fallait aux circonstances du moment, mais en plaçant résolument le bien-être de la société au-dessus du profit personnel.

Innombrables sont les épisodes de sa vie qui témoignent de sa résolution, mais son dévouement au shogun Tokugawa Yoshinobu, qui fut un temps son maître, est particulièrement significatif. Shibusawa pensait que, au moment même où le pays prenait une nouvelle direction, il était essentiel de garder une vision claire du passé. Il entreprit à ses propres frais de compiler une biographie de l’ancien shogun, qu’il publia en 1918, après y avoir travaillé pendant un quart de siècle. Outre cela, il œuvra inlassablement à la restauration du prestige de Yoshinobu, et ce sont ces exhortations qui incitèrent le gouvernement de Meiji à laisser Yoshinobu revenir d’exil et à lui conférer le titre de duc.

Inoue parle en ces termes de l’importance de la biographie rédigée par Shibusawa : « L’ouvrage ne se contente pas de retracer l’histoire de Yoshinobu, il fait aussi le récit de la période tumultueuse qui a conduit à la Restauration de Meiji et l’a directement suivie. Shibusawa n’était pas immunisé contre les changements qui avaient lieu à l’époque, mais il était viscéralement loyal. Je pense que la grande quantité de temps et de ressources qu’il a consacrée à la collecte et à l’examen de montagnes de documents témoigne de la fermeté de ses idées et de ses convictions. »

L’aire de repos du musée donne sur la bibliothèque Seienbunko, construite à l’emplacement de l’ancien jardin de Shibusawa.
L’aire de repos du musée donne sur la bibliothèque Seienbunko, construite à l’emplacement de l’ancien jardin de Shibusawa.

Pour illustrer l’héritage de dévouement à la cause de l’intérêt général que nous a laissé Shibusawa, le meilleur exemple est le rôle qu’il a joué dans le Tokyo Yôikuin, une institution d’aide aux orphelins, aux personnes âgées et aux handicapés. Sa collaboration avec cette institution a commencé en 1874, sous forme d’une contribution à l’amélioration de son fonctionnement, avant qu’il en prenne la direction en 1876, poste qu’il occupa pendant plus d’un demi siècle, jusqu’à sa mort.

« Sa longue présence à la tête du Tokyo Yôikuin a exercé une forte influence sur Shibusawa », dit Inoue. « Au début de sa carrière, il pensait que le renforcement de l’économie japonaise mettrait le vent en poupe à tous les navires. Mais en réalité, c’est tout le contraire qui s’est produit. Les disparités ont augmenté et, à mesure que croissait le nombre des laissés pour compte, le besoin de projets d’aide sociale s’est fait plus pressant. Shibusawa a vu de ses propres yeux le côté sombre de l’entreprise privée, et cela l’a incité à soutenir les initiatives sociales. L’image qu’on retient de lui est celle d’un promoteur du capitalisme, mais ce n’est pas le mot qu’il utilisait ; il préférait le terme "collectivisme". »

Panneau exposant en détail les activités de Shibusawa dans le domaine de l’aide sanitaire et sociale, notamment son implication dans le Tokyo Yôikuin.
Panneau exposant en détail les activités de Shibusawa dans le domaine de l’aide sanitaire et sociale, notamment son implication dans le Tokyo Yôikuin, une institution d’aide aux orphelins, aux personnes âgées et aux handicapés.

Shibusawa l’humaniste

Outre le Tokyo Yôikuin, Shibusawa a apporté son soutien à diverses autres institutions sanitaires et sociales, dont la Hakuaisha, prédécesseur de la Croix rouge japonaise. Au lendemain du Grand tremblement de terre du Kantô, survenu en 1923, il contribua à la fondation et à la gestion d’une organisation faisant appel aux citoyens pour les opérations de secours et de reconstruction. Insensible à l’usure de l’âge, il est resté actif dans différents projets jusqu’à une époque avancée de sa vie.

Shibusawa montrait beaucoup d’intérêt pour la promotion des études économiques et de l’éducation des femmes. Il fonda la première école de commerce du Japon, qui allait devenir la prestigieuse Université Hitotsubashi. Au nombre des fonctions qu’il a occupées figurent la direction de l’École Jogakkan de Tokyo pour les femmes et celle de l’Université féminine du Japon.

Intérieur de la bibliothèque Seienbunko. Shibusawa a utilisé sa position dans le secteur privé à des fins diplomatiques, notamment en hébergeant des dignitaires comme Chiang Kai-shek dans sa résidence tokyoïte.
Intérieur de la bibliothèque Seienbunko. Shibusawa a utilisé sa position dans le secteur privé à des fins diplomatiques, notamment en hébergeant des dignitaires comme Chiang Kai-shek dans sa résidence tokyoïte.

La diplomatie dans le cadre du secteur privé constitue un autre aspect de l’héritage de Shibusawa. Son influence a été particulièrement déterminante en ce qui concerne la restauration des relations entre le Japon et les États-Unis après la brouille provoquée par la guerre russo-japonaise de 1904-1905. Alarmé par la montée de la discrimination envers les immigrants japonais aux États-Unis, la Commission des É.-U sur l’amitié mondiale entre les enfants envoya au Japon en 1927 quelque 12 000 « poupées de l’amitié » collectées à travers le pays. En tant que président de la section japonaise de cette organisation, Shibusawa réceptionna ces dons et envoya en retour 58 poupées japonaises.

Secteur du musée consacré à l’activité diplomatique de Shibusawa dans le secteur privé. Shibusawa a continué de voyager aux États-Unis jusqu’à 80 ans passés.
Secteur du musée consacré à l’activité diplomatique de Shibusawa dans le secteur privé. Shibusawa a continué de voyager aux États-Unis jusqu’à 80 ans passés.

Inoue déclare que le plus grand mérite de Shibusawa n’est pas sa réussite dans le monde des affaires, mais son humanisme : « Il est célèbre avant tout en tant que père du capitalisme moderne, et ce sont tout naturellement ses succès économiques que les gens admirent le plus. Mais le cœur de Shibusawa débordait de bonté. J’espère que les visiteurs du musée découvriront d’autres aspects de sa vie, comme son enfance et ses activités d’aide sociale. Le musée s’est donné pour objectif d’aider le public à comprendre que Shibusawa était un homme profondément concerné par le bien-être de son entourage. »

Un buste en bronze de Shibusawa accueille les visiteurs à l’entrée du Musée.
Un buste en bronze de Shibusawa accueille les visiteurs à l’entrée du Musée.

Musée mémorial Shibusawa Eiichi

  • Adresse : 2-16-1 Nishigahara, Kita-ku, Tokyo-to
  • Accès : 5 minutes à pied de la gare JR Ôji, 7 minutes à pied de la station de métro Nishigahara (ligne Namboku ), et 4 minutes à pied de l’arrêt d’Asukayama (ligne du tramway Arakawa)
  • Horaires : Musée mémorial Shibusawa Eiichi, 10 h à 17 h (dernier accueil à 16 h 30); Salon de thé Bankôro et bibliothèque Seien bunko, 10 h à 15 h 45. Fermé le lundi (ou mardi si le jour précédent est un jour de congé national) et pendant la période des fêtes de fin d’année (28 décembre au 4 janvier)
  • Tarifs : Adultes - 300 yens. Écoliers du primaire jusqu’au lycée - 100 yens

(Reportage et texte de Nippon.com. Photos avec l’aimable autorisation du Shibusawa Eiichi Memorial Museum)

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