Exploration de l’histoire japonaise

Tokugawa Ieyasu et la fondation du shogunat d’Edo

Histoire Culture

Kawai Atsushi [Profil]

Tokugawa Ieyasu est le fondateur d’une dynastie qui a régné sur le Japon pendant plus de 200 ans, mais il lui a fallu passer par plusieurs batailles avant d’avoir l’opportunité de devenir shogun et de remodeler le pays à son image. Un spécialiste de l’histoire japonaise nous dresse son portrait.

Les relations étrangères : commerce et christianisme

Ieyasu a fait montre d’un grand dynamisme dans le domaine de la politique étrangère. En 1600, lorsque le navire hollandais De Liefde s’échoua sur le littoral de Kyûshû, il rencontra le deuxième lieutenant Jan Joosten van Lodensteijn et le navigateur anglais William Adams. Il les invita à Edo, où ils lui prodiguèrent des conseils en matière d’affaires étrangères, et il encouragea les échanges commerciaux avec la Hollande et l’Angleterre. Contrairement aux pays catholiques qu’étaient le Portugal et l’Espagne, ces deux pays protestants faisaient une distinction entre le commerce et les activités missionnaires. Un établissement de commerce hollandais entra en activité à Hirado en 1609, suivi par un établissement anglais en 1613.

Relief sculpté de Jan Joosten van Lodensteijn près de la gare de Tokyo. (Photothèque)
Relief sculpté de Jan Joosten van Lodensteijn près de la gare de Tokyo. (Photothèque)

Les négociants portugais transportaient la soie brute chinoise de Macao à Nagasaki, où sa vente leur rapportait de gigantesques profits. Pour mettre fin à cette situation, Ieyasu chargea en 1604 six marchands de Kyoto, Sakai et Nagasaki de former une association en vue de fixer à chaque printemps les prix des importations. Ils achetèrent, en gros et au prix qu’ils avaient décidé, la soie brute des Portugais et se la répartirent entre eux.

En 1610, Ieyasu envoya le marchand de Kyoto Tanaka Shôsuke en territoire espagnol, dans l’actuel Mexique, où il demanda la reprise des échanges avec l’empire espagnol à Luzon (aujourd’hui les Philippines). Ce commerce avait été interrompu après 1597, année de l’exécution par Hideyoshi de 26 missionnaires et croyants à Nagasaki.

Ieyasu relança également les relations diplomatiques avec la Corée après l’échec des tentatives d’invasion menées par Hideyoshi. Avec l’aide du clan Sô de l’île de Tsushima, les liens officiels furent rétablis en 1607, et la Corée décida finalement d’envoyer des missions diplomatiques au Japon pour les cérémonies de succession shogunale. Les relations officielles avec la Chine des Ming, alliée de la Corée contre Hideyoshi, ne furent pas restaurées, mais les marchands chinois débordaient d’activité à Hirado et Nagasaki.

Vers la fin de sa vie, toutefois, Ieyasu montra moins d’enthousiasme pour les relations avec l’étranger. Après avoir tacitement autorisé le christianisme pendant de nombreuses années, il l’interdit dans un premier temps en 1612 dans les territoires soumis au contrôle direct du shogunat, puis, l’année suivante, étendit cette prohibition à l’ensemble du pays. Dans le même temps, il ordonna la destruction des églises et l’expulsion des missionnaires, et contraignit les croyants à renier leur foi. On pense qu’il craignait que les envahisseurs espagnols et portugais se liguent avec les groupes de chrétiens japonais. En 1614, il exila avec ostentation plus de 300 chrétiens à Manille et Macao. Il est probable qu’il a changé de cap quand il s’est aperçu que les liens qu’il avait forgés avec la Hollande et l’Angleterre pouvaient se substituer aux liens avec le Portugal et l’Espagne. Après sa mort, Hidetada renforça encore les restrictions et, sous le règne de Iemitsu, le Japon inaugura la formule qui allait rester connue sous le nom de sakoku, ou « fermeture du pays ».

La fin de vie du shogun Tokugawa

Le discernement dont Ieyasu faisait montre s’étendait également au monde de la culture, comme en témoigne son lien avec Hon’ami Kôetsu, un artiste tokyoïte, connu pour son œuvre laquée Funabashi makie suzuri-bako (Écritoire à décor de pont flottant) et expert en calligraphie et en poterie. En 1615, Ieyasu lui fit don d’un terrain à Takagamine, au nord de Kyoto, sur lequel Kôetsu fonda un village d’artisans. Kôetsu entretenait des liens de proximité avec les peintres Tawaraya Sôtatsu et Ogata Kôrin, ainsi qu’avec le potier Ogata Kenzan, et c’est à Takagamine que l’épanouissement de la culture à l’ère Kan’ei (1624-1644) a pris sa source.

En 1616, Ieyasu tomba malade à l’issue d’une partie de chasse aux faucons. Certains attribuent sa maladie à une tempura de daurade, mais il semble probable qu’il avait un cancer de l’estomac. La médecine était le passe-temps favori d’Ieyasu, si bien qu’il ne tint pas compte des prescriptions de son médecin et préféra se fier à ses propres remèdes. Son état se détériora et il mourut le 1er juin à l’âge de 73 ans. Tout d’abord inhumé au sanctuaire Kunôzan, dans l’actuelle préfecture de Shizuoka, il fut déifié l’année suivante à titre posthume et ses reliques furent enchâssées au sanctuaire Nikkô Tôshôgû, dans l’actuelle préfecture de Tochigi.

Le Nikkô Tôshôgu est dédié à Tokugawa Ieyasu. (Pixta)
Le Nikkô Tôshôgû est dédié à Tokugawa Ieyasu. (Pixta)

Ieyasu, né à la période des royaumes combattants, a été retenu en otage pendant une bonne partie de sa jeunesse. Après avoir gagné son indépendance en tant que daimyô, il se constitua patiemment un territoire et, à mesure que s’accroissait sa puissance, devint un personnage-clef de l’époque de Hideyoshi. À 60 ans, ayant finalement acquis le pouvoir absolu, il fonda le shogunat Tokugawa. Il jeta les fondations d’une paix de plus de deux siècles qui couvrit toute la période d’Edo (1603-1868).

(Photo de titre : portrait de Tokugawa Ieyasu. Photo avec l’aimable autorisation du Saga Shaka-dô/Aflo)

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Kawai AtsushiArticles de l'auteur

Né à Tokyo en 1965. Professeur invité à l’Université Tama. Achève son cursus doctoral en histoire à l’Université Waseda, puis mène ses travaux de recherche et d’écriture sur l’histoire tout en enseignant l’histoire japonaise dans le secondaire. Auteur de plus de 200 textes, dont les ouvrages récents Nihonshi wa gyaku kara manabe (Étudier l’histoire japonaise à rebours) et Isetsu de yomitoku Meiji ishin (Comprendre la restauration de Meiji via les théories dissidentes).

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