Exploration de l’histoire japonaise

Tokugawa Ieyasu et la fondation du shogunat d’Edo

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Kawai Atsushi [Profil]

Tokugawa Ieyasu est le fondateur d’une dynastie qui a régné sur le Japon pendant plus de 200 ans, mais il lui a fallu passer par plusieurs batailles avant d’avoir l’opportunité de devenir shogun et de remodeler le pays à son image. Un spécialiste de l’histoire japonaise nous dresse son portrait.

L’élimination d’un rival de taille

Après la bataille de Sekigahara, Hideyori, le fils de Toyotomi Hideyoshi, vit son statut réduit au rang de daimyô, à la tête d’un territoire qui lui rapportait 600 000 koku. Il n’en constituait pas moins une menace potentielle, dans la mesure où il était susceptible de rallier d’autres daimyô à sa cause. En 1611, il eut, pour la première fois depuis plusieurs années, une rencontre avec Ieyasu, et celui-ci trouva que Hideyori était devenu en grandissant un jeune homme plein d’astuce. Soucieux d’assurer la pérennité de la dynastie Tokugawa, Ieyasu se mit en quête d’un moyen d’éliminer son rival au château d’Osaka.

La famille Toyotomi reconstruisait le temple Hôkô-ji de Kyoto, qui entretenait des liens étroits avec Hideyoshi. Mais la nouvelle cloche destinée aux cérémonies d’inauguration suscita la réprobation d’Ieyasu. Elle était ornée d’une sculpture où figuraient les deux caractères du nom Ieyasu, séparés par un autre caractère qui, selon son interprétation, représentait une malédiction lancée contre le clan Tokugawa. Tel fut le prétexte du premier siège du château d’Osaka, au cours duquel 200 000 soldats des armées du shogunat encerclèrent la forteresse en 1614. Un accord produisit un bref répit, mais le siège reprit l’année suivante et se solda par la victoire incontestable d’Ieyasu et le suicide de Hideyori.

La même année, Ieyasu publia un édit limitant le droit de possession des châteaux forts à un seul par domaine. La puissance militaire des daimyô de l’ouest du Japon s’en trouva grandement réduite. Par l’intermédiaire de son fils Hidetada, le shogun en titre, il promulgua en outre les buke shohatto (lois sur les maisons militaires), une série d’édits formulant un code de conduite strict pour les daimyô. Ces réglementations couvraient des domaines tels que le mariage et la construction des châteaux.

Contrôler les mouvements de la cour impériale

Ieyasu exerçait désormais un contrôle à la fois militaire et juridique sur les mouvements des daimyô. Mais cela ne lui suffisait pas, car il nourrissait l’ambition de neutraliser toute autorité susceptible de compromettre la stabilité de son régime. La cour impériale entrait dans cette catégorie.

Officiellement, c’est de la nomination d’Ieyasu au poste de shogun par l’empereur que le shogunat d’Edo tirait sa légitimité. D’où le respect de façade qu’il affichait envers la cour impériale. Celle-ci avait perdu des territoires pendant la période des royaumes combattants (1467-1568) et, en 1601, Ieyasu lui fit don de biens fonciers d’une valeur de 10 000 koku. Mais la gestion du patrimoine foncier de la famille impériale relevait en fait du shogunat. Ieyasu fit de Kyoto le siège du shoshidai (adjoint du shogun), en vue de garder un œil sur les daimyô de l’ouest du pays et sur la cour impériale, en observant les affaires quotidiennes de la cour et des nobles. Pour transmettre à la cour les directives de l’adjoint, deux postes d’officier de liaison furent créés, confiés à des personnes choisies dans les rangs de la noblesse et dotés d’un salaire payé par le shogunat.

En 1613, des lois furent adoptées pour encourager les nobles à se dédier à l’étude et à l’application de la liste des services dus au palais. En 1615, le fonctionnement de la cour fut soumis à des réglementations supplémentaires, qui allaient jusqu’à définir en termes juridiques divers aspects de la vie de l’empereur et des nobles, ainsi que les règles de préséance et de promotion entre ces derniers. C’est ainsi que Ieyasu s’assura que la cour et l’empereur fussent privés de tout pouvoir politique.

Les moines guerriers bouddhistes avaient eux aussi acquis une redoutable puissance pendant la période des royaumes combattants. Comme il l’avait fait avec les daimyô et la cour impériale, Ieyasu introduisit en 1615 des textes de loi visant à réglementer et contrôler les activités des temples.

L’introduction d’une monnaie

La principale source de financement du shogunat était le revenu fiscal provenant de son territoire de quatre millions de koku. Les agriculteurs propriétaires de champs et de résidences inscrits au registre foncier étaient astreints à l’impôt et à diverses corvées. Ieyasu semble avoir renforcé son emprise sur les agriculteurs en réduisant leur revenu de façon à ce que, sans pour autant souffrir de la famine, ils ne soient plus en mesure de s’enrichir. Le shogunat exerçait aussi un contrôle direct sur des villes comme Edo, Osaka, Kyoto, Nagasaki et Sakai. Son monopole sur le commerce de Nagasaki était une source de profits particulièrement lucrative, en précisant toutefois qu’il fut instauré après la mort d’Ieyasu.

Tout comme le gouvernement de Toyotomi Hideyoshi, le shogunat tirait des profits des mines qu’il exploitait directement. Ieyasu introduisit sa propre monnaie, frappant quantité de pièces d’or et d’argent dans les ateliers qu’il ouvrit à cette fin sur tout le territoire de l’Archipel. Jusque-là, le Japon utilisait comme monnaie des pièces chinoises en bronze, si bien qu’on est en droit de dire que Ieyasu a opéré une rupture décisive dans la politique monétaire du pays.

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Kawai AtsushiArticles de l'auteur

Né à Tokyo en 1965. Professeur invité à l’Université Tama. Achève son cursus doctoral en histoire à l’Université Waseda, puis mène ses travaux de recherche et d’écriture sur l’histoire tout en enseignant l’histoire japonaise dans le secondaire. Auteur de plus de 200 textes, dont les ouvrages récents Nihonshi wa gyaku kara manabe (Étudier l’histoire japonaise à rebours) et Isetsu de yomitoku Meiji ishin (Comprendre la restauration de Meiji via les théories dissidentes).

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