Exploration de l’histoire japonaise
La révolution industrielle du Japon : rattraper les puissances occidentales
Histoire Culture- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
Se moderniser à tout prix pour se protéger
En 1871, le gouvernement Meiji récemment établi a cherché à conjurer l’effondrement redouté de son autorité naissante en supprimant les fiefs pour les remplacer par des préfectures subordonnées à la capitale. Auparavant, les quelque 270 domaines avaient chacun leurs forces militaires et leurs volontés politiques au sein d’un pouvoir décentralisé. Supprimer cette structure d’une traite était une forme de coup d’État. Les dirigeants de Meiji avaient décidé que leur gouvernement devait être le seul pouvoir politique du pays afin qu’il puisse accomplir la tâche urgente de construire un État moderne. Leur préoccupation la plus profonde était en effet la crainte que le Japon devienne une colonie sous le contrôle d’une des grandes puissances. Ce fut le sort d’une grande partie de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est, tandis que la Chine était contrainte de céder Hong Kong à la Grande-Bretagne en 1842 après avoir perdu la première guerre de l’opium.
En conséquence, les dirigeants japonais ont estimé que le pays devait se moderniser le plus rapidement possible, et accroître sa puissance économique pour renforcer ses forces armées et se protéger des invasions. C’est pourquoi de nombreux dirigeants japonais et des hauts responsables du gouvernement se sont lancés dans la mission Iwakura, un voyage d’observation et d’apprentissage aux États-Unis et en Europe, quelques mois seulement après le passage révolutionnaire au système des préfectures. La mission a également transporté de nombreux étudiants, et ses participants ont grandement contribué à la modernisation du pays à leur retour au Japon. (Voir notre article pour plus de détails : La mission Iwakura : quand le Japon est parti à la recherche de son propre avenir)
Trains, navires et lignes télégraphiques
À la même époque, le gouvernement Meiji a concentré ses efforts sur la promotion de l’industrie et l’introduction de formes modernes d’entreprise dans le but de favoriser un capitalisme japonais.
L’une des premières étapes a été de balayer le système féodal des postes de contrôle internes, des anciennes postes et des guildes de marchands, qui étaient considérés comme des obstacles au développement industriel. La nouvelle infrastructure comprenait la première ligne télégraphique entre Tokyo et Yokohama en 1869. Cinq ans plus tard, le réseau télégraphique s’étendait de Nagasaki à Hokkaidô, tandis qu’une ligne sous-marine connectait Nagasaki à Shanghai. En 1871, un service postal moderne remplace l’ancien système de messagerie, et des bureaux de poste sont établis dans tout le pays, vendant des timbres et des cartes postales à des prix fixes. En 1877, le Japon rejoint l’Union postale universelle, reliant son service postal au monde. Elle importe ses premiers téléphones la même année.
Un service ferroviaire se met en place entre Tokyo et Yokohama en 1872. Cette route initiale dépendait grandement de l’aide britannique, puisque cette grande puissance européenne a fourni alors le financement, les voitures de train et même l’ingénieur civil en chef Edmund Morel. En 1874, une nouvelle ligne relie Kobe à Osaka, qui est reliée à son tour à Kyoto en 1877. Au tournant du siècle, le réseau s’étend sur l’ensemble du Japon. Le gouvernement a également investi dans la modernisation des principales routes du pays, permettant un transport de marchandises par charrettes et autres véhicules.
Le soutien ferme du gouvernement à la société privée Mitsubishi a permis de garantir que le transport maritime japonais puisse rivaliser avec les sociétés occidentales. Accorder des privilèges spéciaux à des organisations japonaises spécifiques était une façon pour les dirigeants de Meiji de promouvoir l’industrie moderne. Des entreprises comme Mitsui et Ono ont également été des bénéficiaires notables.
Le gouvernement a de même créé et exploité de nombreuses usines et établissements dans des domaines comme l’industrie légère et l’agriculture pour stimuler le développement de l’industrie privée. Dans le secteur industriel, on compte la verrerie Shinagawa, la filature Aichi, la cimenterie Fukagawa et la brasserie Sapporo. Le plus célèbre exemple est peut-être la filature de soie de Tomioka (dans la préfecture de Gunma), qui est maintenant un site du patrimoine mondial de l’Unesco. Il a été construit en 1872, intégrant 300 bobineuses de soie de dernière génération, importées de France. Paul Brunat dirigeait alors une équipe de techniciens français, principalement des femmes, qui supervisaient les opérations et formaient les travailleurs japonais. À leur tour, ces travailleurs ont transmis leurs connaissances dans des usines à travers le pays. (Voir notre article lié : La naissance d’un prestigieux bâtiment franco-japonais : la filature de soie de Tomioka, inscrite au patrimoine mondial)
Une économie capitaliste en moins de 30 ans
Des exemples comme les chemins de fer et la filature de soie de Tomioka montrent comment les techniciens et universitaires occidentaux embauchés par le gouvernement ont grandement contribué à la vigueur de l’industrie japonaise. Au total, quelque 3 000 spécialistes étrangers sont venus au Japon, dont plus de 500 à la seule année 1876.
Puisqu’ils étaient hautement qualifiés, leurs services avaient un prix élevé. Par exemple, alors que le haut fonctionnaire japonais Sanjô Sanetomi gagnait 800 yens par mois en tant que grand ministre d’État, l’ingénieur britannique Thomas Kinder recevait un salaire mensuel de 1 045 yens pour son travail à la Monnaie impériale. Les récompenses généreuses offertes aux experts occidentaux témoignent de la détermination du gouvernement japonais à moderniser l’industrie du pays.
Le ministère de l’Intérieur a organisé sa première exposition industrielle nationale en 1877 au parc d’Ueno. Quatre autres se tiendront jusqu’en 1903. Ces rassemblements se sont inspirés des évènements similaires tenus dans d’autres pays, et ont contribué à promouvoir l’industrie et le commerce moderne. La première exposition présentait 84 000 produits dans six catégories, dont l’agriculture, l’horticulture et les machines. Elle a connu un grand succès, attirant 450 000 visiteurs en 100 jours environ.
Au début des années 1880, le ministre des Finances Matsukata Masayoshi a introduit des politiques de déflation qui ont fait chuter les prix des produits agricoles et mis en faillite de nombreux agriculteurs. Certains riches investisseurs en ont cependant profité pour acheter des terres agricoles bon marché aux agriculteurs ruinés, et sont alors devenus des « propriétaires parasites », en mesure de récolter de gros bénéfices en louant le terrain à des fermiers. Avec les marchands de la ville, ils ont commencé à acheter et à vendre des actions et à créer de nouvelles entreprises. Les trois années à partir de 1886, en particulier, ont été une période faste pour l’entrepreneuriat.
L’industrie du coton et de la soie, ainsi que d’autres industries légères, ont rapidement prospéré. La filature privée d’Osaka a incorporé de nombreuses machines de fabrication britannique, pionnières dans la production mécanisée à grande échelle et à vapeur. Les employés travaillaient en équipe de jour ou de nuit, maintenant la fabrique en fonctionnement 24 heures sur 24, permettant ainsi de produire avec succès de grandes quantités de fil de coton chaque jour. Soit dit en passant, de nombreux employés, travaillant de longues heures pour un faible salaire, étaient les enfants d’agriculteurs en faillite qui avaient été victimes des politiques de déflation.
Comme les fils étaient extrêmement bon marché à produire, d’autres investisseurs ont pris conscience des bénéfices potentiels et ont créé des entreprises similaires ailleurs. L’importance de la production et de l’exportation des fils de coton et de soie a assuré au Japon une véritable révolution industrielle dans l’industrie légère de la fin du XIXe siècle. Moins de 30 ans après la Restauration de Meiji en 1868, le pays avait établi une économie capitaliste.
L’éducation a favorisé l’industrialisation rapide
Les bases de la modernisation rapide du Japon au début de l’ère Meiji (1868-1912) ont cependant été jetées pendant la période Edo (1603-1868). En plus de l’élite des samouraïs qui étudiait alors dans les écoles des domaines, un grand nombre de gens ordinaires ont appris à lire et à écrire dans les terakoya (les écoles des temples locaux). L’industrie de l’édition a alors prospéré, permettant une éducation personnelle par la lecture. Le Japon a également développé sa propre forme avancée de mathématiques, appelée wasan. L’enseignement primaire du pays était sans doute le meilleur au monde à l’époque.
Le Commodore américain Matthew Perry voulait montrer les merveilles de la civilisation occidentale au Japon lorsque les deux pays ont signé le traité de paix et d’amitié en 1854. Il a offert aux Japonais des armes américaines, un télégraphe et un modèle de train à vapeur pouvant parcourir 32 kilomètres à l’heure. Un an plus tard, le domaine de Saga avait réussi à construire son propre train à vapeur. Satsuma et d’autres domaines auraient produit des moteurs d’essai encore plus tôt. Uwajima a rapidement construit un bateau à vapeur, et Saga a établi des usines d’armement pour fabriquer des armes sur le modèle des derniers canons Armstrong britanniques.
Ainsi, dans les derniers jours du shogunat, le Japon n’accusait que peu de retard sur l’Occident et a rapidement pu imiter sa technologie. Perry a également vu le potentiel de modernisation du Japon, prédisant qu’après l’ouverture de leur pays, « les Japonais entreraient comme de puissants concurrents dans la course au succès mécanique à l’avenir ». Le système éducatif hautement développé de la période d’Edo a été un facteur clé du virage rapide vers l’industrialisation et vers une économie capitaliste après la Restauration de Meiji, ce qui a peu à peu amené le Japon vers sa position ultérieure en tant que grande puissance mondiale.
(Photo de titre : l’une des figures principales de la Restauration de Meiji, Ôkubo Toshimichi, au centre, s’adresse à l’empereur Meiji et à l’impératrice Shôken lors de la cérémonie d’ouverture de la première exposition industrielle nationale. Yôshû Chikanobu, 1877. Photo avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)