Exploration de l’histoire japonaise

Aux origines du capitalisme moderne japonais : les hommes d’affaires Iwasaki Yatarô et Shibusawa Eiichi

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Kawai Atsushi [Profil]

Après la fin du régime féodal, Iwasaki Yatarô, le fondateur de Mitsubishi, et Shibusawa Eiichi, le « père du capitalisme japonais », tous deux issus d’un milieu modeste, se sont élevés jusqu’au sommet du monde des affaires. Une telle ascension sociale aurait été impossible à l’époque du shogunat. Un professeur d’histoire japonaise nous raconte.

Shibusawa Eichi, fondateur de 500 entreprises

Shibusawa Eiichi (1840-1931) est né en 1840 dans un village de l’actuelle préfecture de Saitama. Les Shibusawa étaient une riche famille d’agriculteurs qui tiraient aussi des revenus de l’élevage du ver à soie, de la production et de la vente de feuilles d’indigo fermentées à usage tinctorial, et de prêts d’argent aux autres villageois. Eiichi, le fils aîné, fit montre dès son plus jeune âge d’une intelligence qui incita ses parents à investir beaucoup d’espoirs en lui. Selon une anecdote, son amour des livres étai tel que, à l’âge de 12 ans, il lui arriva d’être si absorbé dans la lecture qu’il tomba dans une tranchée et rentra à la maison couvert de boue.

Le lieu de naissance de Shibusawa Eiichi (Avec l’aimable autorisation du Musée commémoratif Shibusawa Eiichi, Fukaya, Saitama)
Le lieu de naissance de Shibusawa Eiichi (Avec l’aimable autorisation du Musée commémoratif Shibusawa Eiichi, à Saitama)

Enflammé par l’idéologie impérialiste, Shibusawa envisagea, au cours des dernières années du shogunat, d’attaquer le château de Takasaki (dans l’actuelle préfecture de Gunma), mais il ne mit pas son projet à exécution. Bientôt sorti de cette phase belliqueuse, il entra au service de Tokugawa Yoshinobu – qui devint le dernier shogun en 1866 – et se rendit, en tant que membre de l’escorte d’Akikake, le demi-frère cadet du dirigeant, à l’Exposition internationale de Paris de 1867. Ce voyage lui donna l’occasion de visiter plusieurs pays européens et d’acquérir des connaissances sur la culture et la société de ce continent.

Le groupe qui s’est rendu à l’Exposition internationale de Paris de 1867. Shibusawa Eiichi se trouve au bout à gauche de la rangée du fond. (Avec l’aimable autorisation du Musée commémoratif Shibusawa Eiichi, Kita, Tokyo)
Le groupe qui s’est rendu à l’Exposition internationale de Paris de 1867. Shibusawa Eiichi se trouve au bout à gauche de la rangée du fond. (Avec l’aimable autorisation du Musée Shibusawa, à Tokyo)

En Europe, Shibusawa coupa le chignon de son chonmage et commença à s’habiller à l’occidentale. (Avec l’aimable autorisation du Musée commémoratif Shibusawa, Kita, Tokyo)
En Europe, Shibusawa coupa son chignon et commença à s’habiller à l’occidentale. (Avec l’aimable autorisation du Musée Shibusawa, à Tokyo)

Après la Restauration de Meiji, Shibusawa a pris la direction du bureau fiscal et occupé un poste au ministère des Finances du nouveau gouvernement. Il a aussi participé à la fondation de la First National Bank (banque nationale). En 1873, il a quitté la fonction publique pour se lancer dans le secteur privé. Il a contribué à la fondation de plusieurs grandes entreprises, dont les papèteries Ôji, les filatures d’Osaka, l’assurance maritime Tokio et Kyôdô Un’yu, la rivale de Mitsubishi. Au cours de sa vie, il a aidé quelque 500 entreprises à voir le jour, dans bien des cas sans en retirer le moindre profit personnel. Il ne détenait pratiquement aucune action dans ces entreprises et avait tendance à se retirer dès qu’elles avaient décollé. Il pensait que le Japon devait sans tarder se doter d’une base industrielle moderne en vue de contester l’emprise commerciale des puissances occidentales. C’est pour cette raison qu’il a déployé tant d’efforts pour mettre sur pieds des organismes économiques comme la Chambre de commerce de Tokyo, dont il a été président, servant de courroie de transmission des attentes du monde des affaires jusqu’au sommet de l’État.

Il faut souligner que les bons résultats de Shibusawa ne se limitent pas au domaine économique. Il a grandement contribué au progrès de l’enseignement à travers la fondation de nombreuses écoles. À la fin de sa vie, il a pris du recul par rapport à ses activités commerciales pour investir son énergie dans la philanthropie, en prenant la tête d’un centre d’assistance sociale dédié notamment aux enfants défavorisés. Dans le même temps, il a effectué, à titre privé, des voyages en Occident pour y faire campagne en faveur de la paix et des échanges. Il est décédé en 1931 à l’âge de 91 ans.

Malgré les différences entre leurs logiques d’expansion, Iwasaki et Shibusawa ont tous deux grandement contribué à l’essor du capitalisme au Japon. Cela, toutefois, n’aurait sans doute jamais pu se faire sans les initiatives visant à instaurer l’égalité. En ce sens, la Restauration de Meiji a fondamentalement changé la société japonaise.

(Voir également notre article : Shibusawa Eiichi, « le père du capitalisme japonais » et profond humaniste)

(Photo de titre : Shibusawa Eiichi [à gauche] et Iwasaki Yatarô, avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque de la Diète nationale)

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Kawai AtsushiArticles de l'auteur

Né à Tokyo en 1965. Professeur invité à l’Université Tama. Achève son cursus doctoral en histoire à l’Université Waseda, puis mène ses travaux de recherche et d’écriture sur l’histoire tout en enseignant l’histoire japonaise dans le secondaire. Auteur de plus de 200 textes, dont les ouvrages récents Nihonshi wa gyaku kara manabe (Étudier l’histoire japonaise à rebours) et Isetsu de yomitoku Meiji ishin (Comprendre la restauration de Meiji via les théories dissidentes).

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