Exploration de l’histoire japonaise

Aux origines du capitalisme moderne japonais : les hommes d’affaires Iwasaki Yatarô et Shibusawa Eiichi

Histoire Culture

Kawai Atsushi [Profil]

Après la fin du régime féodal, Iwasaki Yatarô, le fondateur de Mitsubishi, et Shibusawa Eiichi, le « père du capitalisme japonais », tous deux issus d’un milieu modeste, se sont élevés jusqu’au sommet du monde des affaires. Une telle ascension sociale aurait été impossible à l’époque du shogunat. Un professeur d’histoire japonaise nous raconte.

Des coups de chance vers une grande ascension

Iwasaki Yatarô (1835-1885) est né dans un village du domaine de Tosa (aujourd’hui préfecture de Kôchi). Son arrière-grand-père avait connu des temps difficiles et vendu le statut de samouraï qui s’attachait à la famille, si bien que les Iwasaki avaient un rang inférieur à celui du chef du village. Son père Yajirô était d’un naturel têtu, et son refus de baisser les bras lors d’un conflit qu’il a eu en 1855 lui a valu d’être battu et sérieusement blessé par les hommes du chef de village. Pris de fureur, Iwasaki porta plainte devant le magistrat. La plainte n’ayant eu aucune suite, il gribouilla une accusation de corruption sur le mur du bureau du magistrat et fut jeté en prison.

La maison de famille d’Iwasaki Yatarô (Avec l’aimable autorisation de l’Association touristique Aki)
La maison de famille d’Iwasaki Yatarô (Avec l’aimable autorisation de l’Association touristique d’Aki)

Au cours de son incarcération, un détenu lui a enseigné l’arithmétique, qui s’est avérée un outil précieux dans sa carrière subséquente d’homme d’affaires. Après sa libération, il a fait la connaissance du samouraï Yoshida Tôyô (1816-1862), qui, après avoir joué un rôle important dans la gestion du domaine, était temporairement tombé en disgrâce et vivait à proximité de la maison d’Iwasaki.

La chance étant une fois de plus au rendez-vous, Yoshida reconnut le talent du jeune homme et lui trouva un poste de petit fonctionnaire. En 1867, les compétences d’Iwasaki en arithmétique l’ont aidé à obtenir une nomination à la tête du service commercial du domaine de Tosa à Nagasaki. Une grande partie de son travail consistait à effectuer des transactions avec les négociants étrangers. Il s’occupait aussi des comptes de Kaientai, une entreprise pionnière fondée par le célèbre samouraï Sakamoto Ryôma. Iwasaki a bénéficié de la bienveillance de Sakamoto et beaucoup appris de sa façon de s’adapter au changement d’époque.

La navigation aux origines de Mitsubishi

La société commerciale Tosa s’est lancée dans la navigation après la Restauration de Meiji, mais à l’abolition des domaines, elle a dû se battre pour s’affirmer en tant qu’entreprise indépendante. En 1873, elle prit le nom Mitsubishi. Iwasaki dit à ses employés qu’il nourrissait l’ambition d’évincer les puissantes compagnies de navigation étrangères et d’ouvrir des routes maritimes partout dans le monde. En 1874, l’expédition de représailles menée par le Japon à Taiwan suite au meurtre de marins japonais par des habitants de l’île s’avéra très bénéfique pour l’entreprise, dans la mesure où ses rivales étrangères invoquèrent la neutralité et refusèrent de transporter les soldats japonais et leur équipement, tandis que les concurrents japonais reculaient devant les risques encourus. Seul Iwasaki accepta l’offre de l’État.

« Toute vie aura certainement son occasion en or. Mais le médiocre ne sait pas s’en emparer, si bien qu’elle lui échappe… pour la saisir, il faut une grande perspicacité, une attention méticuleuse et un courage intrépide. » Ces mots d’Iwasaki suggèrent que l’expédition à Taiwan lui est peut-être apparue comme une chance unique pour Mitsubishi.

Statue en bronze d’Iwasaki Yatarô dressée à proximité de sa maison dans la préfecture de Kôchi. (Avec l’aimable autorisation de l’Association touristique Aki)
Statue en bronze d’Iwasaki Yatarô dressée à proximité de sa maison dans la préfecture de Kôchi. (Avec l’aimable autorisation de l’Association touristique d’Aki)

La fiabilité des résultats obtenus par l’entreprise lui valut la confiance de l’homme d’État le plus puissant du gouvernement, Ôkubo Toshimichi. Mitsubishi fut à nouveau sollicitée pour fournir des transports en 1877, lors de la Rébellion de Satsuma. Avec l’appui du gouvernement, l’entreprise devint bientôt la plus grande compagnie de navigation du Japon.

Après l’assassinat d’Ôkubo, survenu en 1878, Mitsubishi se tourna vers Ôkuma Shigenobu, mais celui-ci, qui n’était pas vraiment intégré dans le monde des politiciens, fut exclu du gouvernement en 1881. Le clan dominant de Satsuma-Chôshû, hostile à Mitsubishi, qui avait financé Ôkuma, résolut alors de s’efforcer de détruire l’entreprise. Le gouvernement apporta son soutien au lancement d’une compagnie de navigation rivale, Kyôdô Un’yu, bénéficiant d’un apport de fonds de diverses société, dont Mitsui. Iwasaki, refusant de céder, se lança dans une bataille féroce, en termes de coûts et de rapidité des navires, qui menaça de mener les deux entreprises à la faillite. Le gouvernement, consterné, tenta de le convaincre des avantages qu’offrirait une fusion entre Mitsubishi et la nouvelle compagnie, mais Iwasaki ne voulut rien entendre. Cependant, en 1885, alors que la lutte était toujours en cours, il décéda d’un cancer de l’estomac à l’âge de 50 ans.

Yonosuke, le frère d’Iwasaki, prit la direction de l’entreprise. Renonçant à ce combat stérile, il consentit à une fusion entre le département navigation de Mitsubishi et Kyôdô Un’yu. C’est ainsi que l’entreprise, qui devait son existence aux seuls efforts d’Iwasaki Yatarô, échappa aux mains de la famille. Par la suite, Mitsubishi étendit ses activités à d’autres domaines tels que les mines, la construction navale, l’immobilier et la banque, jusqu’à se faire une place au sein des grandes zaibatsu (conglomérats) du Japon.

Suite > Shibusawa Eichi, fondateur de 500 entreprises

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Kawai AtsushiArticles de l'auteur

Né à Tokyo en 1965. Professeur invité à l’Université Tama. Achève son cursus doctoral en histoire à l’Université Waseda, puis mène ses travaux de recherche et d’écriture sur l’histoire tout en enseignant l’histoire japonaise dans le secondaire. Auteur de plus de 200 textes, dont les ouvrages récents Nihonshi wa gyaku kara manabe (Étudier l’histoire japonaise à rebours) et Isetsu de yomitoku Meiji ishin (Comprendre la restauration de Meiji via les théories dissidentes).

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