« Kitsune » : comment le rusé renard continue d’envoûter et fasciner les âmes

Culture Tradition

Kagawa Masanobu [Profil]

Le renard, ou kitsune, est omniprésent dans le folklore japonais tout comme dans la pop culture. Il prend souvent l’apparence d’une belle femme pour ensorceller ses victimes et on lui attribue toutes sortes de phénomènes inexplicables. Des illustrations et des légendes anciennes nous aident à comprendre comment cet animal et sa version surnaturelle à neuf queues ont pénétré les esprits.

Les « noces de renard » et le « feu de renard »

À la même époque, des histoires parlant d’effrayants renards yôkai prenant forme humaine pour tromper les humains, ou s’emparer de leur esprit font florès. On a attribué à ces animaux toutes sortes de phénomènes inexplicables et des expressions telles que « trompé par un renard » et « possédé par un renard » sont apparues dans le lexique populaire japonais.

L’une des expressions les plus jolies est celle utilisée pour parler d’une averse soudaine survenant par une journée ensoleillée. On appelle ces pluies « noces de renard » (kitsune no yome-iri). L’origine de cette expression est à chercher dans ces lueurs brillantes que l’on croit voir dans les montagnes lointaines au moment d’une averse. Voir de mystérieuses lueurs là où ne vit normalement aucun être humain aurait donné l’impression que des renards y organisaient une procession nuptiale.

« Contempler une procession nuptiale de renards » (Tokimairi hakarazu mo kitsune no yomeiri o miru zu). (Avec l’aimable autorisation de l’International Research Center for Japanese Studies)
« Contempler une procession nuptiale de renards » (Tokimairi hakarazu mo kitsune no yomeiri o miru zu). (Avec l’aimable autorisation de l’International Research Center for Japanese Studies)

Très vite, les curieuses lueurs ont été appelées kitsune-bi, littéralement « feu de renard ». Dans les « Caricatures de personnages de la faune » (Chôjû jinbutsu giga, XIIe siècle) qui est considéré comme le plus ancien manga du Japon, on peut voir des renards dont l’extrémité de la queue est enflammée comme une torche. De même, dans le Konjaku monogatari, un recueil de paraboles bouddhiques, on lit que les lumières étranges sont le fait des renards, ce qui laisse à penser que l’idée du « feu de renard » remonterait à cette époque.

« Feu de renard » tiré du « Livre d’images de Monstres » (Kaibutsu ehon). (Avec l’aimable autorisation de l’International Research Center for Japanese Studies)
« Feu de renard » tiré du « Livre d’images de Monstres » (Kaibutsu ehon). (Avec l’aimable autorisation de l’International Research Center for Japanese Studies)

Ces rusées renardes

L’idée que les renards puissent se transformer en belles dames et ensorceler les hommes est peut-être née en Chine. Dans la tradition chinoise, le monde est divisé en énergies yin et yang. Or, les renards, comme les femmes, sont considérés comme relevant de l’énergie yin, ce qui aurait conduit à penser que les renards (des deux sexes) peuvent se transformer en femmes.

Tamamo no Mae, dont nous parlions au début de l’article, pourrait en être un exemple type. Mais soulignons tout d’abord que l’idée qu’elle puisse être une renarde à neuf queues est étonnamment récente, car elle ne date que de l’époque d’Edo (1603-1868). Les premiers récits parlaient en effet seulement d’un renard à deux queues. Or, le folklore japonais est aussi peuplé de chats yôkai appelés nekomata, ou « chats à queue fourchue », ces récits auraient exercé une influence sur la légende de Tamamo no Mae diffusée à la même époque.

Une version du renard à deux queues tirée du « Rouleau illustré du récit de Tamamo no Mae » (Tamamo no Mae monogatari emaki). (Avec l’aimable autorisation de l’International Research Center for Japanese Studies)
Une version du renard à deux queues tirée du « Rouleau illustré du récit de Tamamo no Mae » (Tamamo no Mae monogatari emaki). (Avec l’aimable autorisation de l’International Research Center for Japanese Studies)

Dans un conte chinois, Daji la favorite du roi Zhou des Shang ( 1075-1046 avant notre ère), était un renard à neuf queues qui s’acharnait à ruiner le règne du monarque. Cette histoire, traduite au Japon au milieu de l’époque d’Edo, a pu également interférer avec les versions déjà existantes de la légende de Tamamo no Mae et dans l’imaginaire populaire, la renarde à deux queues se serait transformée en renarde à neuf queues. Finalement, ces histoires de renard à neuf queues que l’on retrouve si souvent dans les mangas, les animes ou les jeux vidéo japonais sont en fait issues d’un riche creuset multiculturel.

Voir également nos autres articles sur les créatures folkloriques japonaises

(Photo de titre : procession nuptiale de renard photographiée lors du festival du sanctuaire Hanaoka Fukutoku Inarisha, à Kudamatsu qui se tient chaque 3 novembre, dans la préfecture de Yamaguchi. Pixta)

Tags

culture animal yôkai

Kagawa MasanobuArticles de l'auteur

Conservateur en chef du Musée d’histoire de la préfecture de Hyôgo. Folkloriste spécialiste des yôkai et des jouets traditionnels. Né en 1969 dans la préfecture de Kanagawa. Après avoir préparé un doctorat à l’Université d’Osaka, a obtenu son doctorat au Centre international de recherche pour les études japonaises. Considéré comme le premier « professeur de yôkai » attitré du Japon. Auteur de divers ouvrages, dont « La révolution yôkai de l’époque d’Edo » (Edo no yôkai kakumei, 2013) et « Une histoire illustrée des yôkai du Japon » (Zusetsu Nihon yôkaishi, 2022).

Autres articles de ce dossier