« Tengu » : les démons en forme d’oiseaux qui sont devenus quasi divins

Culture

Personnage bien connu des visiteurs des temples et sanctuaires japonais, le tengu au long nez est une créature surnaturelle vivant dans les zones montagneuses. Les tengu ont non seulement des ailes qui leur permettent de voler comme des oiseaux, mais encore des pouvoirs magiques qu’ils utilisent à bon ou à mauvais escient. Les croyances en ce qui concerne les tengu ont beaucoup varié au fil des siècles.

L’ascension vers un statut quasi divin pendant l’époque d’Edo

C’est à l’époque d’Edo que l’image populaire du tengu a changé pour devenir celle qui nous est aujourd’hui familière. De monstres aviaires qu’ils étaient, les tengu se sont transformés en personnages essentiellement humains dotés de longs nez. Les causes de ce changement ne sont pas claires. Il existe une théorie selon laquelle la première personne qui ait conçu une version du tengu proche de son apparence moderne était Kanô Motonobu (1476-1559), l’artiste qui a amené l’école de peinture Kanô sur le devant de la scène. Motonobu, qui avait été chargé de peindre un tengu, était embarrassé à l’idée de devoir peindre quelque chose qu’il n’avait jamais vu, quand une étrange créature lui apparut en songe. Il dessina exactement ce qu’il avait vu dans son rêve et fut ainsi à même d’honorer sa commande. Le tengu de Motonobu existe toujours, mais nous n’avons bien entendu aucun moyen de vérifier l’authenticité de cette histoire. On rencontre des personnages au long nez dans les arts dramatiques et picturaux depuis bien avant l’époque de Motonobu, et ces modèles précédents peuvent avoir inspiré l’idée d’un tengu au long nez.

Portrait de Sôjôbô, le prêtre tengu du mont Karuma, à Kyoto, attribué à Kanô Motonobu. Estampe tirée du Ehon tekagami (« Miroir pour l'étude de la peinture »), de Ôoka Shubboku, publié en 1720. (Avec l'aimable autorisation du Musée d'histoire de la préfecture de Hyôgo.)
Portrait de Sôjôbô, le prêtre tengu du mont Karuma, à Kyoto, attribué à Kanô Motonobu. Estampe tirée du Ehon tekagami (« Miroir pour l’étude de la peinture »), de Ôoka Shubboku, publié en 1720. (Avec l’aimable autorisation du Musée d’histoire de la préfecture de Hyôgo.)

C’est aussi à l’époque d’Edo que le tengu a été « promu » du rang de simple yôkai à celui de créature proche de la divinité. Considéré principalement comme un kami des montagnes, le tengu avait en outre la réputation d’être doté du pouvoir d’éteindre les incendies. C’est ainsi que l’avatar du Gongen Akiha vénéré sur le mont Akiha, à Hamamatsu, est célèbre pour ses dons en matière de lutte contre les incendies. La même divinité, à laquelle le célèbre « paradis otaku » d’Akihabara, à Tokyo, doit son nom, est devenue étroitement associée à un tengu géant appelé Sanjakubô. La croyance que les tengu avaient le pouvoir de prévenir les incendies et autres catastrophes semble avoir pris son essor en tant qu’envers de la médaille de leur réputation de créatures surnaturelles et démoniaques dotées du pouvoir d’allumer des feux.

Des talismans de ce genre, portant l'image de la divinité tutélaire Akiha Sanjakubô Daigongen, sont distribués lors du festival qui se tient tous les ans au mois de janvier au temple Entsû-ji de Kurashiki, dans la préfecture d'Okayama, en l'honneur de la divinité qui éteint les incendies. Sanjakubô, représenté sous les traits d'un tengu corbeau debout sur un renard, est souvent assimilé à une manifestation de la divinité Gongen Akiha, et on attribue à ces talismans un pouvoir magique de prévention des incendies. (Avec l'aimable autorisation de l'auteur de l'article)
Des talismans de ce genre, portant l’image de la divinité tutélaire Akiha Sanjakubô Daigongen, sont distribués lors du festival qui se tient tous les ans au mois de janvier au temple Entsû-ji de Kurashiki, dans la préfecture d’Okayama, en l’honneur de la divinité qui éteint les incendies. Sanjakubô, représenté sous les traits d’un tengu corbeau debout sur un renard, est souvent assimilé à une manifestation de la divinité Gongen Akiha, et on attribue à ces talismans un pouvoir magique de prévention des incendies. (Avec l’aimable autorisation de l’auteur de l’article)

Le folkloriste Yanagita Kunio pensait que bien des yôkai sont d’anciens kami ayant régressé dans la hiérarchie après que leur culte fût, pour une raison ou une autre, tombé en désuétude. Il est difficile d’appliquer la théorie de Yanagita à ce que nous savons des tengu. En fait, ces créatures ont vu leur réputation s’améliorer au fil des siècles, passant, au point culminant de leur évolution, du statut de démon aviaire à celui de personnage proche d’un kami à part entière. À l’époque d’Edo, les tengu étaient couramment chargés de punir les gens pour leur arrogance, plutôt que d’être des créatures déchues au rang de démons du fait de leur propre orgueil. En dépit de leur long nez, les tengu de l’époque d’Edo n’étaient pas les personnages hautains auxquels on a tendance à les assimiler aujourd’hui.

(Photo de titre : le fameux tengu du mont Kuramayama de Sakyô-ku, à Kyoto, où Minamoto Yoshitsune a étudié l’escrime dans son enfance. Pixta)

Tags

culture yôkai folklore légende

Autres articles de ce dossier