La modernité de l’esthétique traditionnelle

Sauver l’artisanat du bambou de Torigoe : l’espoir de Shibata Megumi

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Sasaki Ayako [Profil]

Parmi les derniers dépositaires d’un illustre artisanat du bambou, Shibata Megumi fait face aujourd’hui à une double crise. La variété qui lui sert de matière première meurt tous les 120 ans, après son unique floraison. Et puis, les artisans vieillissent et la relève n’est pas assurée. Mais Shibata garde des raisons d’espérer.

Shibata Megumi SHIBATA Megumi

Artisan spécialisée dans le tressage du bambou. Née à Torigoe, préfecture d’Iwate, en 1958. Elle grandit dans une famille de vanniers, et intègre le métier après la maladie subite de sa mère en 1985. De 1995 à 2010, elle enseigne la vannerie à base de bambou de la variété suzutake dans des associations, tout en commençant à s’inspirer des motifs traditionnels pour de nouvelles créations. Depuis, elle a ouvert une école pour former de jeunes artisans, et elle expose ses propres œuvres plusieurs fois par an.

Trouver des solutions adaptées au monde d’aujourd’hui

En quelque sorte, Shibata Megumi a les mêmes qualités que le suzutake, dans la mesure où elle allie souplesse et robustesse... La gamme de produits traditionnels qu’elle tisse comprend cabas et sacs, boites avec couvercles, paniers et récipients divers, mais Shibata est à l’écoute des besoins de la vie d’aujourd’hui. Elle a créé des sacs d’un style plus contemporain, et a même repris des styles fabriqués dans la ville de Matsumoto au XIXe siècle pour l’exportation.

Les créations de Shibata sont très variées, allant de paniers de stockage kôri (gauche) à des sacs tendances inspirés par les produits « M-style » fabriqués à Matsumoto, dans la préfecture de Nagano, pour le marché de l’exportation il y a plus d’un siècle. (© Arimoto Yayoi)
Les créations de Shibata sont très variées, allant de paniers de stockage kôri (gauche) à des sacs tendances inspirés par les produits « M-style » fabriqués à Matsumoto, dans la préfecture de Nagano, pour le marché de l’exportation il y a plus d’un siècle. (© Arimoto Yayoi)

« Les artisans ont souvent des produits phares qui sont leur spécialité, mais ce n’est pas le cas pour moi, souligne Shibata Je fais un peu de tout, des paniers, des passoires, des sacs, et ceci m’apporte une liberté créative qui me permet de suivre mon inspiration. »

Pour que cette affaire dure mille ans

La vannerie est centrale à la famille de Shibata. Ses parents étaient tous les deux des artisans, et la famille de sa mère, Emiko, comptait plusieurs vanniers qui étaient très connus. Lorsqu’Emiko est atteinte d’une maladie subite à l’âge de 55 ans, Shibata Megumi qui était partie s’installer ailleurs décide de prendre sa suite. Elle revient à Torigoe avec son mari et ses enfants. Elle avait déjà plus de 30 ans.

« Une fois ma décision prise, j’ai voulu poser des questions à ma mère, mais elle était déjà hémiplégique. Il est impossible d’enseigner quelque chose qui s’apprend au toucher plutôt que par le cerveau en parlant. J’ai regretté de ne pas lui avoir demandé conseil quand elle allait encore bien. Mais ce qui est étrange, c’est que quand je me suis remise à la tâche après ne rien avoir fait pendant des années, mes doigts ont trouvé tout seuls. À partir de ce moment, je m’y suis mise corps et âme. »

Au retour de Shibata vers la fin des années 1980, Torigoe comptait encore beaucoup d’artisans, mais leur nombre n’a fait que diminuer avec l’arrivée de produits bon marché fabriqués en série ainsi que des produits en plastique.

« Dès le départ, j’étais la plus jeune et je le suis restée. Aucune étude n’a été faite mais je pense qu’il subsiste entre dix et vingt artisans qui ont tous au moins 70 ans à Torigoe, parfois plus de 90. Ce qui est clair, c’est que la relève n’est pas là. »

De nos jours, les personnes qui s’intéressent à l’apprentissage de la vannerie de bambou de Torigoe viennent d’ailleurs. Shibata a compris que c’est à elle d’assurer la survie de son art. Elle a déjà mis en place une école chez elle pour transmettre son savoir-faire.

« Avant, on partait du principe qu’on apprenait de ses échecs, mais vu l’état de la vannerie de Torigoe, on ne peut plus adhérer à cette approche. Ce serait tellement dommage si tout ça disparaissait. Pour moi, la route a été longue mais j’apprends à mes élèves ce qu’il faut faire pour bien réussir leurs œuvres. »

En ce moment, Shibata a trois stagiaires à qui elle transmet son art, mais elle sait qu’il lui reste beaucoup à faire.

« Je n’ai pas encore été capable de tisser l’égal du panier double-tissé oboke fabriqué par ma mère juste avant sa maladie. Je le pose près de moi pour ne jamais oublier que je voudrais un jour réaliser quelque chose d’encore plus beau. Ensuite, j’ai une idée en tête pour un nouveau design que je voudrais créer. C’est quelque chose de complètement nouveau et de très utile.

Chako, la chienne de Shibata, avec le panier oboke, la dernière œuvre de sa mère, Emiko. (© Arimoto Yayoi)
Chako, la chienne de Shibata, avec le panier oboke, la dernière œuvre de sa mère, Emiko. (© Arimoto Yayoi)

Shibata et les autres artisans sont conscients que, pour préserver la vannerie de Torigoe, il est nécessaire d’entretenir et de nourrir ses racines naturelles, et d’apprécier que le côté spirituel du travail est tout aussi important que le côté physique. Il faut aussi que les gens comprennent la valeur du fait-main et soient prêts à payer le juste prix pour ces pièces. À part ça, les artisans doivent pouvoir bénéficier d’un environnement où ils pourront continuer à créer en toute sérénité. Le gouvernement a aussi son rôle à jouer, mais c’est à nous tous de soutenir cette initiative pour que cet art perdure encore mille ans.

(Photo : Nippon.com)
(Photo : Nippon.com)

Les œuvres de vannerie de Torigoe en suzutake de Shibata Megumi sont exposées au musée d’art de la ville de Nagoya du 5 octobre au 22 décembre 2024, ainsi qu’au musée de la ville de Fukuoka du 8 février au 6 avril 2025. Des informations supplémentaires en japonais sont disponibles sur le site https://mingei-kurashi.exhibit.jp/outline.html.

(Les photos d’Arimoto Yayoi sont publiées avec l’aimable permission de Hori Kêko/Little More 2024. Photo de titre : © Arimoto Yayoi)

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Sasaki AyakoArticles de l'auteur

Rédactrice et autrice. Après ses études à l’université Hôsei, elle travaille dans plusieurs secteurs tels le commerce et une école de cuisine. En 2008, elle rejoint la société de médias Mediagene où elle est chargée de rédaction du site de bien-être MYLOHAS, et en devient la rédactrice en chef en 2011. En 2015, elle rejoint Excite où elle est responsable de Woman Excite, un site dédié aux femmes. Après une pause maternité, elle reprend le travail en freelance. Elle se spécialise dans la puériculture, le bien-être, et un mode de vie durable.

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