La modernité de l’esthétique traditionnelle
« Mizuhiki » : la technique millénaire des cordelettes revisitée par une artiste de Kyoto
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Une longue histoire au sein de la vie quotidienne
L’histoire du mizuhiki est très ancienne et remonte à l’époque Asuka (583-710) où des présents rapportés par une ambassade revenant de la Chine de la dynastie Sui étaient noués avec des ficelles de chanvre rouges et blanches. Cette idée a été adoptée et a évolué vers l’utilisation de cordelettes en papier japonais washi durcies à la colle durant l’époque Heian (794-1185). Au fil de ces 1 400 ans, le mizuhiki est devenu une partie intégrale de la culture japonaise, un élément essentiel des grands rendez-vous cérémoniels de la vie.
L’artiste Morita Eriko explique : « Les mizuhiki sont aussi utilisés pour les cérémonies religieuses. Ce n’est que durant l’époque d’Edo (1603-1868) que la pratique, qui avait été quasiment réservée aux aristocrates, commence à se répandre à travers les classes sociales. La coutume d’offrir de l’argent apparaît lors de l’ère Meiji (1868-1912) et les enveloppes spéciales appelées shûgi bukuro voient le jour. À l’époque, on apprenait comment réaliser les nœuds de mizuhiki aux filles à l’école. Au fil des années, la palette des couleurs s’est étendue du rouge et noir d’origine à toutes les couleurs imaginables. »
Morita découvre l’art du mizuhiki en 2006 et se met à en créer un an plus tard. Elle partage cette passion en mettant en place « Wakôbô Hôyû » à Kyoto, un lieu qui lui sert de studio mais aussi de salle de classe pour ses cours.
Le mizuhiki, ou une métamorphose en trois dimensions
Les créations de Morita sont pleines de charme et vont bien au-delà de l’image traditionnelle de cet art. Elle s’inspire par exemple des saisons du Japon pour créer des fleurs ou des gourmandises.
Lorsque Morita s’est intéressée au mizuhiki, elle n’a trouvé qu’un seul cours à Tokyo, où elle s’est inscrite. Depuis, ses créations très kawaii ont inspiré un renouveau d’intérêt envers cet art, et l’envie chez de nombreuses personnes de s’y essayer.
« Une chose qui m’a frappé à mes débuts, c’est que même si le motif semblait très compliqué, on pouvait le créer en utilisant la même technique de base. On peut tout fabriquer et je m’inspire beaucoup des objets de la vie quotidienne autour de moi. Il m’arrive de me dire à table que j’aimerais tenter un mizuhiki de ce que je mange. Il n’y a aucune limite à ce que j’ai envie de créer. »
Tout le monde peut s’essayer au mizuhiki : Morita nous montre ici comment réaliser un simple ume-musubi (nœud de prune) qu’on pourrait utiliser pour enjoliver une lettre ou une enveloppe.
(Vidéo) Comment créer un ume-musubi (nœud de prune)
Commençons par un « nœud d’ormeau » (awabi-musubi) de base. Ensuite, il faut passer les deux bouts de la cordelette dans le trou du centre pour obtenir un ume-musubi. Pour obtenir un bon résultat, il est important d’aligner les cordelettes une à une, en faisant attention qu’elles ne se superposent pas ou ne soient pas de travers. (Vidéo © Kawamoto Seiya)
Pour se procurer les fameuses cordelettes, ce n’est pas très compliqué. On en trouve même dans les magasins « Tout à 100 yens ». Elles sont normalement longues de 90 cm mais il en existe aussi à 30 cm. À part les couleurs variées, on peut aussi en acheter tissées avec des fils d’or ou d’argent. Sachez qu’il existe entre 400 et 500 couleurs, ce qui permet de s’exprimer comme on le désire !
Selon Morita, le « nœud d’ormeau » reste la base pour créer des mizuhiki, qu’ils soient plats ou tridimensionnels, et quelle que soit la forme ou la taille. Ce qui est extraordinaire, c’est que tous les mizuhiki, que ce soit un sushi qui tient dans la paume d’une main ou une œuvre de cinq mètres de diamètre, commencent par une même cordelette. Morita ne prépare pas de modèle pour ses créations. Pour elle, le vrai frisson vient du fait de laisser ses mains tisser… tout en imaginant l’ouvrage achevé.
Pour Morita, l’attrait du mizuhiki est bien plus profond que la création et l’enseignement d’objets décoratifs. « Par exemple, le nom “awabi-musubi” vient de l’ormeau (awabi) qui fait partie des offrandes traditionnelles aux divinités. Pour les enveloppes décorées de mizuhiki, on utilise cinq cordelettes qui représentent les doigts de la main et ainis le lien entre les personnes. Tout a un sens. C’est l’une des facettes qui m’attirent dans l’art des cordelettes. »
Le mystérieux lien entre le mizuhiki et les motifs celtiques
Morita a toujours aimé les « lignes » comme celles de la calligraphie japonaise, et même avant de se lancer dans le mizuhiki, elle était fascinée par les motifs traditionnels des quatre coins du monde. C’est en commencant le mizuhiki qu’elle s’est rendue compte que le nœud d’ormeau ressemblait comme deux gouttes d’eau à un motif celtique.
« Lorsque je m’y suis intéressée de plus près, je me suis rendue compte qu’il existait des motifs similaires non seulement dans la culture celtique mais aussi dans les arabesques, les motifs ottomans, et l’art nouveau. Je me suis dite que ces motifs, basés sur une seule ligne, étaient peut-être venus jusque dans ces pays lointains par la Route de la soie. Le mizuhiki a pris encore plus d’importance pour moi en m’ouvrant cette fenêtre vers un monde plus grand. »
Le mizuhiki est un art millénaire, gardant un certain côté mystérieux de motifs partagés avec d’autres cultures lointaines... « Je voudrais bien me lancer dans des échanges culturels un jour. Je rêverais de réaliser un vêtement en mizuhiki » dit-elle, la tête pleine de projets. Malgré ses 1 400 ans d’histoire, le mizuhiki continue d’évoluer.
Wakôbô Hôyû propose des cours toute l’année à Kyoto, Osaka, Nagoya et Tokyo, ainsi qu’en ligne. Pour plus de détails consulter le site Internet : https://mizuhiki-houyou.jp/en/
Les créations de Morita sont aussi affichées sur Instagram :
https://www.instagram.com/wakobo_hoyou/
(Photo de titre : les sushis en mizuhiki de Morita Eriko. © Kawamoto Seiya)