Que sait-on réellement des ninjas ? Fondements et avancées des recherches historiques

Histoire Culture

Le ninja a réellement existé, mais aujourd’hui, que sait-on de ce personnage ? Nous avons posé la question au professeur Yamada, spécialiste du sujet, qui ressort pour nous des documents historiques et des livres de ninjutsu.

Yamada Yûji YAMADA Yūji

Professeur à la faculté des sciences humaines de l’Université de Mie. Directeur adjoint du Centre international de recherche sur les ninjas. Né en 1967 dans la préfecture de Shizuoka. Ses principales publications comprennent « L’histoire des ninjas » et « L’esprit du ninja » (Ninja no rekishi et Ninja no seishin, tous deux chez Kadokawa Sensho). En février 2023, il a supervisé la publication de « La somme des études sur les ninjas » (Ninjagaku taizen, Presses de l’Université de Tokyo).

Les trois interdits du ninja sont « le saké, la frivolité et la cupidité »

La première chose que le Bansenshûkai enseigne est l’importance de garder un « esprit droit » : N’utilisez pas le ninjutsu à des fins personnelles. Ne vous laissez pas flatter lorsque vous réussissez, et observez le Jin-Gi-Chû-Shin (« Bienveillance-Justice-Loyauté-Confiance »). Il faut toujours se regarder en face avec sérieux et pratiquer l’ascèse. Les trois interdits du ninja sont « le saké, la frivolité et la cupidité ».

« L’esprit du ninja est contenu dans le caractère ‘nin’ ou ‘shinobi’, explique le professeur Yamada. Il représente ‘un cœur sous une lame’, ce qui symbolise un esprit imperturbable face à une situation de crise, même avec un sabre pointé sur la poitrine. »

« Le mot shinobu signifie également ‘endurer’, ‘persévérer’ et ‘faire quelque chose en secret’. Autrement dit endurer un entraînement sévère et accomplir des missions dangereuses en se dissimulant ».

Lorsqu’ils meurent, ils disparaissent sans laisser de traces : leurs ennemis sont incapables de découvrir qui ils étaient et d’où ils venaient. Tel est le véritable idéal du ninja.

Mission : divertissement

Pendant l’époque d’Edo, les ninjas sont devenus une figure mythique importante dans le kabuki, les romans et les estampes ukiyo-e. Et puisqu’ils étaient perpétuellement entourés d’une aura de mystère, on pouvait les représenter librement. C’est également à cette époque que l’image des vêtements noirs et des shûriken a été associée au ninja. En réalité, les ninjas n’ont jamais porté d’habits qui les auraient identifiés immédiatement comme tels, et il n’existe aucune trace fiable de l’utilisation de shûriken par les ninjas.

Parmi les personnages les plus populaires de la mythologie des ninjas figuraient le sorcier Jiraiya, qui contrôlait les crapauds, et le grand voleur Ishikawa Goemon. Ce dernier était un voleur bien réel qui fut condamné à mourir par ébouillantement vers 1594. Il utilisait le ninjutsu qu’il avait appris auprès des ninjas d’Iga pour voler, et des légendes ont même raconté qu’il s’était introduit dans le château de Fushimi pour prendre la vie de Toyotomi Hideyoshi.

Les shinobi en tant que profession ont disparu à la fin de la l’époque d’Edo, mais le succès du personnage de romans de cape et d’épée Sarutobi Sasuke, le ninja de Kôga, connut un succès énorme grâce aux livres de poche de la collection Tachikawa Bunko, entre la fin de l’ère Meiji et l’ère Taishô (de 1900 à 1926), qui a généré un véritable boom du ninjutsu.

Itô Gingetsu, « L'Art du ninjutsu » (Ninjutsu no gokui, 1917/Collections numériques de la Bibliothèque nationale de la Diète)
Itô Gingetsu, « L’Art du ninjutsu » (Ninjutsu no gokui, 1917/Collections numériques de la Bibliothèque nationale de la Diète)

C’est dans ce contexte que l’écrivain et critique Itô Gingetsu (1871-1944) a été un pionnier dans l’étude scientifique du ninjutsu en tant que « méthode d’entraînement mental et physique ». Il écrivit des ouvrages tels que L’Art du ninjutsu et a publié Le Ninjutsu dans le Japan Magazine (1918), qui semble être la première publication sur les ninjas à l’étranger.

Durant l’ère Shôwa (1926-1989), Fujita Saiko (1899-1966) s’autoproclame « descendant à la 14e génération de l’école Kôga de ninjutsu », et a stupéfié le public en s’enfonçant des aiguilles de tatami dans le corps et en avalant du verre pilé dans le cadre de son « entraînement à la résistance physique ». Avant la guerre, il a enseigné à l’école militaire Nakano, connue pour avoir formé des espions. C’était un personnage original qui maîtrisait incontestablement une variété d’arts martiaux.

À partir des années 1960, la présence des ninjas s’étend aux films de cinéma, aux séries télévisées et aux mangas et animes.

Popularité mondiale du ninja

La popularité des ninjas à l’étranger est largement due à l’influence de plusieurs films américains. Dès 1981, L’implacable ninja, avec Shô Kosugi et inspiré du succès international Opération Dragon avec Bruce Lee (1973), a attiré l’attention par son dynamisme et a donné lieu à une série de suites, qui ont également associé le ninjutsu aux arts martiaux.

Parallèlement, depuis les années 1980, Hatsumi Masaaki, chef de l’école « Togakushi-ryû Ninpô » et héritier de neuf écoles d’arts martiaux anciens, a répandu l’image du ninjutsu en tant qu’art martial japonais dans le monde entier. Il a enseigné ses techniques à des membres de la police et des forces spéciales dans de nombreux pays, et le dôjô Bujinkan qu’il dirige à Noda, dans la préfecture de Chiba, accueille de nombreux élèves venus de l’étranger.

Kawakami Jinichi (1949-), héritier de l’école de ninjutsu Kôga-ryû, a été surnommé « le dernier des ninjas » et s’est fait connaître à l’étranger. Tout en insistant sur le fait que le caractère nin de ninjutsu est le même que dans nintai (endurance) et dans kannin (patience), il enseigne le ninjutsu comme une technique de survie complète qui va au-delà des arts martiaux. Il a de même participé comme auteur à l’ouvrage cité plus haut, « La somme des études sur les ninjas », sous la direction du professeur Yamada.

À partir des années 2000 a débuté le phénomène Naruto, qui a gagné une popualrité hors-norme au Japon et à l’étranger. Le manga et l’anime ont fait évoluer l’image du ninja parmi la jeune génération.

Des piles de volumes de Naruto au Salon international de la bande dessinée de Barcelone, Espagne, octobre 2021 (AFP/Jiji)
Des piles de volumes de Naruto au Salon international de la bande dessinée de Barcelone, Espagne, octobre 2021 (AFP/Jiji)

Dans le contexte de la popularité mondiale des ninjas, l’université de Mie a créé le Centre international de recherche sur les ninjas en 2017 et l’Association internationale d’études sur les ninjas l’année suivante. En septembre 2023, une conférence académique s’est tenue à l’aéroport international du Japon central sous le thème « Les ninjas plannent dans le ciel au-dessus du monde ».

« Bien que les recherches menées jusqu’à présent aient révélé la figure réelle des ninjas historiques, elles ne nient pas la pluralité des images mythiques autour de cette figure », explique le professeur Yamada.

« Il y a toutes sortes de façons d’apprécier les ninjas : jeux, animes, films. Je n’ai pas l’intention de dire que ce que montrent ces supports n’a rien à voir avec la réalité historique. J’aborde les ninjas comme un fait historique, mais toute piste d’un d’intérêt pour les ninjas est bonne à prendre. »

(Texte et interview d’Itakura Kimie, de Nippon.com. Photo de titre : Pixta)

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