La modernité de l’esthétique traditionnelle

Les secrets de l’architecture japonaise en bois : de la prévention de l’apparition de moisissures

Architecture Tradition

Anne Kohtz [Profil]

Si le bois est si présent dans l’architecture traditionnelle japonaise, ce n’est pas par hasard. Le climat humide de l’Archipel, en particulier les mois d’été, en sont la principale raison. Les planchers sont surélevés et les espaces ouverts pour assurer une bonne ventilation et ainsi prévenir l’apparition de moisissures toxiques. Autre avantage du bois : il s’avère efficace pour la résistance aux typhons et aux tremblements de terre.

Le bois face aux typhons et aux séismes

Les moisissures ne sont pas les seuls dangers naturels menaçant les constructions au Japon. Les typhons, leurs vents violents et leurs pluies torrentielles, expliquent également le choix du bois comme matériau de construction principal. Des avant-toits très profonds en surplomb sont recommandés pour protéger les murs. Quant aux toits, ils sont généralement lourds pour ne pas s’envoler en cas de bourrasques.

Cette maison rénovée au toit de chaume a de profonds auvents qui protègent ses murs. Le toit est fait de tuiles, ce qui lui assure une bonne résistance aux vents violents. Le chaume utilisé est également attaché à la structure du toit au moyen de cordes de paille (© Architectonic Atelier Yuu)
Cette maison rénovée au toit de chaume a de profonds auvents qui protègent ses murs. Le toit est fait de tuiles, ce qui lui assure une bonne résistance aux vents violents. Le chaume utilisé est également attaché à la structure du toit au moyen de cordes de paille (© Architectonic Atelier Yuu)

Une structure en bois élaborée, en particulier sans accès aux supports et aux attaches métalliques, est indispensable pour la construction de toits lourds en porte-à-faux. Pour résister aux typhons, ces toits lourds devraient être soutenus par d’épais murs de pierre ou de maçonnerie. Mais dans un pays où les tremblements de terre et les typhons fréquents peuvent être tout aussi dévastateurs, la construction de murs en pierre est peu recommandée (sans parler de la condensation que cela générerait lors de la saison des pluies).

Dans une construction traditionnelle japonaise en bois, la structure en bois apparaît presque entièrement, ce qui permet de repérer rapidement toute infiltration d’eau, comme une fuite dans le toit par exemple. Réagir rapidement permettra d’éviter le premier danger auquel sont exposées les constructions japonaises et que nous avons mentionné en tout premier lieu : la prolifération de moisissures.

La structure de ce bâtiment de portail rénové est visible de l'intérieur et de l'extérieur, facilitant le repérage de n’importe quel type de problème. Des éléments peuvent ainsi être rapidement réparés ou remplacés (© Architectonic Atelier Yuu)
La structure de ce bâtiment de portail rénové est visible de l’intérieur et de l’extérieur, facilitant le repérage de n’importe quel type de problème. Des éléments peuvent ainsi être rapidement réparés ou remplacés (© Architectonic Atelier Yuu)

La résistance aux tremblements de terre est la troisième raison majeure pour le choix de constructions en bois. Les maisons occidentales modernes sont construites comme une boîte solide fermement attachée à une fondation. Dans ce cas, la résistance aux tremblements de terre est obtenue en s’assurant que les murs sont suffisamment robustes pour résister aux secousses latérales. Le bâtiment se déplacera donc avec le sol, faisant ressentir aux résidents toute la force du tremblement de terre.

En revanche, dans le cas de maisons traditionnelles en bois, les jointures en bois elles aussi sont flexibles, permettant l’absorption d’une grande partie de l’énergie latérale d’un tremblement de terre par la souplesse des jointures elles-mêmes. Cela permet à un bâtiment avec un toit lourd mais sans murs solides de rester en place même en cas de fortes secousses. De nombreux anciens bâtiments en bois au Japon ont été construits de la même manière qu’une chaise en bois, avec des piliers de soutien reliés à la partie supérieure où se trouve le toit, et par des croisillons dans la partie inférieure. Cela permet de soutenir de façon sûre une structure dynamique et lourde dans la partie supérieure.

Croquis des élévations du clocher de Myôshinji à Kyoto. La structure centrale n'a aucun mur solide. Sa construction peut en ce sens être comparée à celle d’une chaise en bois (© Anne Kohtz)
Croquis des élévations du clocher du temple Myôshin-ji à Kyoto. La structure centrale n’a aucun mur solide. Sa construction peut en ce sens être comparée à celle d’une chaise en bois (© Anne Kohtz)

La plupart des bâtiments traditionnels n’avaient ni fondations ni sous-sol. Lors d’un tremblement de terre, on pourrait s’attendre à ce que la structure se détache des pierres de base, à ce que les murs en torchis se brisent et à ce que le bois se torde ou se plie. Cependant, un bâtiment en bois, lui, s’il est correctement construit, ne s’écroulera probablement pas. En fait, encore aujourd’hui, l’isolation de sa base — séparer complètement le bâtiment de ses fondations pour lui permettre de glisser librement pendant un tremblement de terre — est devenue un must de la conception parasismique. L’isolation de base traditionnelle (placer simplement une structure sur une base solide sans la fixer) est cependant devenue en grande partie illégale au Japon.

Importance de la sylviculture au Japon

Une dernière raison expliquant la préférence pour le bois dans la construction traditionnelle japonaise est sa disponibilité immédiate dans l’Archipel. Entre 40 ans et 60 ans seulement sont nécessaires pour obtenir des bois utilisés couramment, tels que la cryptoméria, le cyprès ou le pin. La cryptoméria et le cyprès ont la particularité d’être résistants à la fois aux moisissures et aux insectes, ce qui en fait des matériaux de construction adaptés au climat japonais. Et, comme expliqué ci-dessus, les avantages du choix du bois comme matériau de construction ont tendance à l’emporter sur le danger d’incendie. Les résidents avaient généralement le temps de s’enfuir et les flammes pouvaient dans de nombreux cas être éteintes avant de causer de graves dommages.

Les charpentiers japonais ont su mettre à profit les techniques de construction en bois depuis de nombreuses générations, nous léguant un trésor : de magnifiques constructions durables, sûres, compatibles avec un style de vie moderne et résistantes aux moisissures.

(Photo de titre : une ferme minka récemment rénovée © Architectonic Atelier Yuu)

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Anne KohtzArticles de l'auteur

Architecte spécialisée dans les applications modernes des méthodes traditionnelles de conception et de construction des bâtiments japonais. Elle a passé son enfance dans une petite ferme du sud de l’Idaho avant de venir pour la première fois au Japon en 1995. Obtient sa maîtrise d’architecture à l’Université d’Oregon en 1999. Entre en 2012 à l’Atelier Architectonique Yuu, une entreprise de conception-construction. Celle-ci a pour vocation de mettre les matériaux naturels au service d’une forme de créativité alliant la conception et la construction japonaises traditionnelles aux nécessités d’une vie confortable et conforme à la modernité. Après avoir vécu dans les hautes terres désertiques de l’ouest des États-Unis, ainsi que dans des cadres urbains aussi divers que Munich et Tokyo, elle s’intéresse aujourd’hui à l’influence que l’environnement, l’économie, la politique et la répartition sociale des rôles selon le sexe exercent sur l’architecture au niveau local.

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