La modernité de l’esthétique traditionnelle

Les secrets de l’architecture japonaise en bois : de la prévention de l’apparition de moisissures

Architecture Tradition

Anne Kohtz [Profil]

Si le bois est si présent dans l’architecture traditionnelle japonaise, ce n’est pas par hasard. Le climat humide de l’Archipel, en particulier les mois d’été, en sont la principale raison. Les planchers sont surélevés et les espaces ouverts pour assurer une bonne ventilation et ainsi prévenir l’apparition de moisissures toxiques. Autre avantage du bois : il s’avère efficace pour la résistance aux typhons et aux tremblements de terre.

La culture de la maison de 30 ans

Des historiens chinois ont constaté que les pratiques religieuses des peuples de l’Archipel avaient principalement trait à la propreté et à la pureté, éléments qui ont marqué et marquent encore de nombreuses pratiques culturelles. Le fait que le climat du Japon favorise l’apparition des moisissures dans les maisons pourrait en partie expliquer pourquoi la culture de la propreté était si répandue et pourquoi « l’impureté » reste encore à ce jour un tabou.

Si le Japon est considéré par un grand nombre comme un pays très ancré dans les traditions, le côté « nouveau » est largement plébiscité parmi les habitants de l’Archipel. Les grandes entreprises de construction conçoivent leurs maisons pour durer environ 30 ans, et elles ne s’en cachent pas ! Ensuite la maison sera généralement détruite pour faire place à une autre habitation. L’idée qu’une maison est « vieille » après seulement 30 ans surprend en Occident mais en fait, c’est également le moyen idéal d’éliminer entièrement les moisissures et les insectes qui ont pu s’y nicher, éléments à ne pas négliger en raison du climat.

L’apparence, la taille et les marques de coupe dans la poutre centrale indiquent que cette dernière provient d’une autre maison. La construction japonaise en bois à piliers et poutres est particulièrement adaptée dans une culture de reconstruction fréquente, car elle permet de réutiliser bon nombre des parties les plus précieuses d'un bâtiment (© Architectonic Atelier Yuu)
L’apparence, la taille et les marques de coupe dans la poutre centrale indiquent que cette dernière provient d’une autre maison. La construction japonaise en bois à piliers et poutres est particulièrement adaptée dans une culture de reconstruction fréquente, car elle permet de réutiliser bon nombre des parties les plus précieuses d’un bâtiment (© Architectonic Atelier Yuu)

Cette culture de la reconstruction peut également se retrouver dans l’histoire. Jusqu’au VIIIe siècle, il n’était pas rare de changer de palais à la mort d’un empereur et même parfois de choisir une nouvelle ville pour établir la capitale impériale. Cette culture de la reconstruction n’était possible que dans le cas d’une architecture relativement éphémère.

Cette idée se retrouve dans de nombreux aspects de la culture de l’époque d’Edo (1603–1868). Selon un dicton populaire, le feu était l’une des deux « fleurs » d’Edo, car la ville « prospérait » fréquemment. Ces incendies, qui firent l’objet de nombreux récits et gravures sur bois au cours de la période, ont bien sûr considérablement réduit la durée de vie moyenne des bâtiments.

Déménager signifiait se débarrasser de la maison tout entière à l’exception de la structure en bois. Cette charpente était ensuite démontée et les éléments en bois étaient remontés sur un toit et des murs neufs. Toutes les pièces qui pourraient avoir vu l’apparition de moisissures étaient immanquablement remplacées ; un moyen idéal pour limiter les dommages causés par celles-ci et les insectes tout en préservant les parties les plus durables d’une maison et en faisant ainsi quelques économies. En effet, aujourd’hui des poutres et des colonnes extrêmement anciennes connaissent une seconde vie, pour la construction de fermes par exemple.

Bois versus métal

Les guildes, le protectionnisme et les décisions politiques du shogunat de Tokugawa ont été à l’origine de l’utilisation limitée d’attaches métalliques dans les constructions pendant l’époque d’Edo. Ce fut un facteur majeur qui favorisa le développement de la menuiserie japonaise tout en bois même après que l’acier est devenu plus abordable. Toutefois, les fixations métalliques, il faut bien l’avouer, ont une vie beaucoup plus courte que les jointures tout bois, à moins de les fixer dans du bois bien durci et d’éviter tout contact avec l’air. Dans le cas d’un bois qui n’a pas été bien durci, les joints métalliques peuvent se desserrer de saison en saison et le matériau environnant se dilater. De plus, lorsqu’ils sont en contact avec l’air, les joints métalliques risquent une oxydation rapide en raison du climat humide du Japon. Par ailleurs, une force exercée en continu entraînera au fil du temps une fatigue du métal.

La jointure en bois, elle, gagne en résistance à mesure qu’elle vieillit et que les cellules du bois durcissent. Calculs à l’appui, il est prouvé que des jointures en bois peuvent être plus solides pour la structure de la maison des siècles après la construction initiale. En général, le bois gagne en résistance pendant 200 à 300 ans après avoir été coupé. Ensuite, sa résistance diminue progressivement, mais il faudra mille ans environ pour qu’une poutre en bois correctement durcie retrouve sa force de résistance initiale, lorsque le bois a été coupé.

Des clous et des attaches rouillés récupérés lors de la démolition d'une maison de thé au toit de chaume de 60 ans (© Anne Kohtz)
Des clous et des attaches rouillés récupérés lors de la démolition d’une maison de thé au toit de chaume de 60 ans (© Anne Kohtz)

Une jointure en bois dans une ferme rénovée datant de l’époque d’Edo. Selon les propriétaires, la maison aurait au moins 250 ans (© Architectonic Atelier Yuu)
Une jointure en bois dans une ferme rénovée datant de l’époque d’Edo. Selon les propriétaires, la maison aurait au moins 250 ans (© Architectonic Atelier Yuu)

Suite > Le bois face aux typhons et aux séismes

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Anne KohtzArticles de l'auteur

Architecte spécialisée dans les applications modernes des méthodes traditionnelles de conception et de construction des bâtiments japonais. Elle a passé son enfance dans une petite ferme du sud de l’Idaho avant de venir pour la première fois au Japon en 1995. Obtient sa maîtrise d’architecture à l’Université d’Oregon en 1999. Entre en 2012 à l’Atelier Architectonique Yuu, une entreprise de conception-construction. Celle-ci a pour vocation de mettre les matériaux naturels au service d’une forme de créativité alliant la conception et la construction japonaises traditionnelles aux nécessités d’une vie confortable et conforme à la modernité. Après avoir vécu dans les hautes terres désertiques de l’ouest des États-Unis, ainsi que dans des cadres urbains aussi divers que Munich et Tokyo, elle s’intéresse aujourd’hui à l’influence que l’environnement, l’économie, la politique et la répartition sociale des rôles selon le sexe exercent sur l’architecture au niveau local.

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