
Quand gourmandise rime avec plaisir
La préparation traditionnelle de la véritable sauce soja
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Les origines
Les racines de la sauce soja japonaise, appelée shôyu, remontent à un ancêtre appelé hishio. Cet assaisonnement fermenté semi-solide était préparé en salant des légumes, de la viande ou du poisson. Couramment utilisé pour aromatiser les plats à l’époque de Nara (710-794), le gouvernement l’a placé sous contrôle officiel, créant un bureau spécial qui réglementait la production et supervisait le commerce et la fiscalité de ce condiment.
Au fil du temps, l’hishio a été fabriqué à partir de céréales comme le blé et le soja, et s’est transformé en miso et en sauce soja. D’autres variétés sont connues aujourd’hui sous des formes telles que les légumes marinés (tsukemono), un plat piquant appelé shiokara fabriqué à partir de viscères de poisson fermentés, et des sauces de poisson régionales comme le shottsuru d’Akita et l’ishiru de la péninsule de Noto (préfecture d’Ishikawa).
La méthode naturelle de brassage de la sauce soja reste fondamentalement la même que dans les temps anciens. Les fèves de soja cuites à la vapeur et le blé torréfié sont mélangés avec du tanekôji, ou « moisissure de graines », et laissés en incubation pendant environ quatre jours dans une pièce à environnement contrôlé appelée kôji-muro. Le résultat est ensuite mélangé avec du sel et de l’eau dans une cuve ou un grand tonneau en bois pour former une purée appelée moromi, qui fermente lentement au fil des mois, et dans certains cas des années, selon les conditions et le type de sauce désiré.
Un travailleur de la brasserie Ishimago à Yuzawa, dans la préfecture d’Akita, utilise une pelle pour mélanger le soja cuit à la vapeur et le blé torréfié avec la moisissure tanekôji. Le mélange sera emballé dans des boîtes en bois peu profondes et mis à fermenter dans le kôji-muro.
Une fois le processus de fermentation terminé, la purée est pressée et la sauce soja collectée. Pendant l’époque d’Edo (1603-1868), cette dernière étape laborieuse a fait de ce condiment un produit plus cher que les assaisonnements apparentés comme le miso, qui est consommé sous forme de pâte et ne nécessite pas de raffinage supplémentaire après la fermentation. À cette époque, le shôyu était un luxe apprécié principalement par la classe guerrière.
La purée obtenue (moromi) âgée de deux semaines est presque inodore, et a une forte saveur salée.
Pendant deux mois, la purée est agitée deux fois par jour pour garder le contenu mélangé et empêcher la formation d’une croûte à la surface.
À la fin de la fermentation, le mélange est pressé et la sauce soja crue est récupérée.
La sauce soja contient également des composés antimicrobiens naturels efficaces pour lutter contre les agents pathogènes d’origine alimentaire, tel que la bactérie Escherichia coli. Dans les jours précédant la réfrigération, les chefs japonais d’autrefois faisaient mariner du poisson et d’autres délices crus dans la sauce saumâtre pour rehausser la saveur et pour empêcher la perte des ingrédients. Hitomi Hitsudai, un médecin de l’époque d’Edo et herboriste de premier plan en son temps, a salué les avantages aromatisants et médicinaux de ce condiment, écrivant qu’il équilibrait les cinq saveurs de base des aliments (salé, sucré, amer, épicé et acide), et apportait de la joie aux gourmets. Il a également affirmé que ses propriétés harmonisantes, améliorées par la longueur de la période de fermentation, étaient efficaces pour atténuer la dureté et la toxicité de nombreux remèdes à base de plantes.
Une sauce soja bon marché remplace l’artisanale
Pendant des générations, les communautés du Japon ont brassé leur propre sauce avec de l’eau fraîche et des ingrédients cultivés localement, conférant à chaque produit régional ses propres caractéristiques. Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, les brasseurs ont été confrontés à de graves pénuries d’ingrédients de base. Ils se sont alors tournés vers une alternative moins coûteuse et plus facilement disponible, à savoir le tourteau de soja transformé pour éliminer les graisses et l’huile. Désireux de répondre à la demande croissante de sauce soja bon marché, les fabricants ont également raccourci les temps de brassage à seulement quelques mois, fortifiant les produits avec des arômes et des colorants artificiels afin de dissimuler leur qualité inférieure. De nombreuses marques sur le marché fabriquent aujourd’hui encore leurs produits de cette manière. Ainsi, au grand désespoir des artisans de la vieille tradition, la victoire des options moins chères a chassé les sauces artisanales de haute qualité au fil du temps.
La sauce brassée naturellement prend généralement de six mois à un an à être fabriquée, le produit final ne nécessitant aucun exhausteur chimique. Les lots peuvent être vieillis deux ou trois ans supplémentaires, donnant une saveur et un arôme encore plus riches.
La différence est immédiatement apparente : la sauce soja naturellement brassée a une meilleure odeur, et son merveilleux goût ravit les papilles. Le résultat est complètement différent des sauces produites en masse que la plupart des consommateurs connaissent aujourd’hui. Cependant, dans les années d’après-guerre, les acheteurs n’étaient pas disposés à payer des prix élevés pour cet assaisonnement de base, et de nombreux brasseurs préservant les techniques traditionnelles et chronophages ont été balayés par les concurrents produisant des condiments à bas prix, rehaussés chimiquements. Ce fut le glas de l’époque où chaque ville disposant d’un approvisionnement en eau de haute qualité avait la garantie d’avoir ses propres fabricants de saké, de miso et de soja à portée de main, permettant aux produits de bénéficier d’une saveur locale unique.