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Hachikô, chien fidèle

Culture

La statue de Hachikô que l’on peut voir devant la gare de Shibuya, à Tokyo, a été érigée à la mémoire du chien le plus célèbre du Japon. Connu pour son exceptionnelle loyauté, il a attendu fidèlement pendant près de dix ans le retour de son maître, décédé. Le 10 novembre 2023 marque le centenaire de la naissance de « Hachi ».

D’Akita à Tokyo

L’histoire de Hachikô, ce chien qui a obstinément attendu devant la gare de Shibuya le retour de son maître ayant pourtant trouvé la mort, est un crève-cœur dans le monde entier. Sa statue érigée devant la gare est l’un des points de rendez-vous les plus connus au Japon, et nombreux sont les touristes étrangers qui aiment à se prendre en photo avec elle. L’année 2023 marque le centenaire de la naissance de ce fidèle animal.

Hachikô naît à Ôdate, dans la préfecture d’Akita, à quelque 600 kilomètres de Tokyo. Il fait partie d’une portée de la race Akita née en novembre 1923 dans la ferme d’un certain Saitô Yoshikazu.

À cette époque, Ueno Hidesaburô, qui est professeur au département d’agriculture de l’Université impériale de Tokyo (aujourd’hui Université de Tokyo), souhaite acquérir un chien de pure race japonaise. L’un de ses étudiants travaille à Akita, il achète pour l’enseignant un chiot à Saitô.

L’Akita est une race de chiens que l’Agence des affaires culturelles japonaise a inscrite à son patrimoine national. Il s’agit de chiens de grande taille, affectueux et au pelage dru mais doux. Leur race serait apparue dans les années 1630, née d’un croisement entre des chiens de chasse Matagi avec une race locale afin d’obtenir des animaux aptes au combat. (Voir notre article de fond sur la race de chien Akita)

Un chiot appelé Hachi

Par un jour neigeux de janvier 1924, un jeune chien d’à peine cinquante jours est enveloppé dans un sac de riz pour pouvoir rester au chaud durant les quelque 20 heures de voyage en train nécessaires pour rejoindre la gare d’Ueno, à Tokyo. Peu après son arrivée, le chiot est envoyé chez Ueno Hidesaburô qui habite près de la gare de Shibuya.

Le professeur n’ayant pas d’enfant, ce frêle animal devient son compagnon de tous les instants. Il l’autorise à dormir sous son lit et même à manger avec lui. Il le baptise rapidement « Hachi » car, lorsqu’il se met debout, ses pattes avant forment l’idéogramme 八, qui signifie « huit » et se prononce hachi (dont Hachikô est une variante affectueuse).

Puis le chiot grandit et grâce aux soins attentionnés de son maître et de sa compagne Yae, Hachi devient un vaillant animal de compagnie. Il commence à accompagner le professeur quand celui-ci se rend ou revient du travail. Il l’escorte de son domicile à la gare de Shibuya et attend le soir son retour.

Statue représentant Hachikô saluant son maître, professeur à la faculté d’agriculture de l’université de Tokyo. (© Jiji)
Statue représentant Hachikô saluant son maître, professeur à la faculté d’agriculture de l’université de Tokyo. (© Jiji)

Brusque séparation

Mais en 1925, 16 mois seulement après que Hachi ait rejoint le foyer du professeur Ueno, la mort les sépare. En effet, le 21 mai comme tous les matins, le chien a accompagné son maître à la gare, mais ce dernier est victime d’une hémorragie cérébrale après une réunion à la faculté. Il meurt brusquement, à l’âge de 53 ans.

Hachi est devenu célèbre pour sa loyauté. (© Jiji)
Hachi est devenu célèbre pour sa loyauté. (© Jiji)

Le soir, Hachi se rend donc à la gare pour attendre son maître, mais ne le voyant pas revenir il s’en retourne au domicile des Ueno, s’installe dans la chambre et se blottit dans les vêtements que le professeur avait portés ce jour-là. Sentant qu’il a dû arriver quelque chose à son maître, il devient maussade et refuse de manger pendant trois jours.

Yae n’était que la concubine d’Ueno, ne pouvant hériter de leur maison à Shibuya, elle loue et emménage dans un logement plus petit. Hachi est recueilli par une de ses amies qui tient un magasin de kimonos dans le quartier de Nihonbashi. Après le déménagement, Hachi essaye plusieurs fois de retourner à la gare de Shibuya, située pourtant à huit kilomètres de là.

Il vit ensuite chez des proches du couple à Asakusa, puis avec Yae à Setagaya, mais il n’a jamais cessé d’essayer de retourner à Shibuya. En constatant la situation de Hachikô, Kobayashi Kikuzaburô, l’ancien jardinier du professeur qui vit près de l’ancienne demeure des Ueno à Shibuya, prend le chien chez lui.

Dès lors Hachi se rend à la gare tous les matins et tous les soirs, et qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il fasse beau, il se poste devant les guichets, attendant semble-t-il indéfiniment le retour de son maître.

L’érection d’une statue

Saitô Hirokichi est le fondateur de la Japanese Dog Preservation Society. Profondément touché par la loyauté dont fait preuve Hachi, il écrit en 1932 un article relatant l’histoire de cet animal dans le journal qui deviendra par la suite l’Asahi Shimbun. Ce texte permet aux Japonais ainsi qu’aux étrangers de découvrir qui est ce Hachi qui a fidèlement attendu le retour de son maître pendant les sept longues années ayant suivi sa mort.

Des personnes de tous horizons s’inquiètent alors de l’état de fatigue du chien vieillissant. Le personnel de la gare s’occupe de lui. Son histoire est reprise dans les journaux et à la radio. À mesure que la renommée du chien grandit, les habitants du quartier souhaitent voir érigée une statue en son honneur.

En 1934, des bénévoles commencent à collecter de l’argent et une statue en bronze de Hachi de 1,62 mètre, finit par être érigée devant l’entrée de la gare de Shibuya, elle trône sur un piédestal haut de 1,80 mètre. Le 21 avril, Hachi assiste en personne à l’inauguration de son effigie.

L’année suivante, affaibli par une infection parasitaire, il meurt le 8 mars 1935 à l’âge de 13 ans (soit environ 90 ans en années humaines). Il aura attendu son maître en vain pendant près de 10 ans.

Des funérailles sont organisées le 12 mars et ses restes sont enterrés à côté de la tombe de son maître au cimetière d’Aoyama. À la suite de Yae et du personnel de la gare de Shibuya, nombreux sont ceux, jeunes et moins jeunes, à venir lui rendre hommage.

La peau de Hachi a été conservée, montée, puis exposée au Musée national des sciences du Japon à Ueno, Tokyo. De nos jours encore on peut aller lui rendre hommage, sa pierre tombale se trouve aux côtés de celle du professeur Ueno au cimetière d’Aoyama.

En octobre 1944, la statue de Hachikô à Shibuya a été fondue pour participer à l’effort de guerre, mais trois ans après la fin du conflit, elle a été de nouveau érigée.

L’amour inconditionnel et absolu des chiens

Dès les années d’avant-guerre, l’histoire de Hachikô était connue outre-atlantique. Helen Keller, célèbre éducatrice américaine et fer de lance de la lutte pour défendre les droits des handicapés, était venue découvrir la statue en 1937. Ayant elle aussi souhaité posséder un Akita, elle devient propriétaire d’un premier chien, puis à sa mort en 1939, elle en reçoit un deuxième.

En 2009, Richard Gere est à l’affiche du film américain intitulé Hachi : A Dog’s Tale (Hatchi en version française), qui est un remake de « L’histoire de Hachi » (Hachikô monogatari) un film japonais dont le scénario avait été écrit par Shindô Kaneto en 1987. Richard Gere qui confiait avoir pleuré à la première lecture du scénario original, a également produit l’adaptation américaine.

Projection de Hachi : A Dog’s Tale au festival du film de Rome. Richard Gere est à côté du chien qui incarne Hachikô à l’écran, photo prise le 16 octobre 2009. (© AFP Photo/Andreas Solaro ; Jiji)
Projection de Hachi : A Dog’s Tale au festival du film de Rome. Richard Gere est à côté du chien qui incarne Hachikô à l’écran, photo prise le 16 octobre 2009. (© AFP Photo/Andreas Solaro ; Jiji)

Saitô Hirokichi, qui a consacré sa vie à la préservation des chiens de races japonais, explique : « Si nous raisonnons en termes d’humains, ce Hachi n’est que l’histoire émouvante d’un chien tenu d’attendre son maître. Mais je ne crois pas qu’il faille croire que Hachi se sentait obligé ou redevable. Il éprouvait simplement de l’affection pour celui qui l’avait traité avec tant de tendresse. Or, Hachi n’est pas le seul dans ce cas, tous les chiens sont ainsi. Leur amour est inconditionnel et absolu. »

Depuis les années 1990, les gratte-ciels poussent comme des champignons autour de la gare de Shibuya. Mais au milieu de l’agitation de la métropole, Hachi continue d’attendre posément et d’accueillir ceux qui passent par cette gare.

La statue de Hachikô, à proximité de la gare de Shibuya (© Jiji)
La statue de Hachikô, à proximité de la gare de Shibuya (© Jiji)

(Photo de titre : Pixta)

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