La céramique japonaise : une tradition vivante aux multiples visages
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Des figurines auréolées de mystère
Les vestiges de céramique les plus anciens retrouvés au Japon datent de la préhistoire et plus précisément de la période dite Jômon (11 000 av. J.-C.-400 av. J.-C.). Le mot lui-même signifie « à décor cordé », en faisant référence aux poteries. Les formes très particulières de certaines figurines, le mystère dont elles sont auréolées et l’énergie qui en émane avaient suscité un regain d’intérêt notamment à l’occasion de l’exposition Jômon – Naissance de l’art dans le Japon préhistorique organisée par la Maison de la culture du Japon à Paris en décembre 2018.
Céramiques poreuses et céramiques vitrifiées
Les poteries sont fabriquées avec des matières premières naturelles, notamment de l’argile ou du grès dont certains composants ont la propriété de se vitrifier à la cuisson. Les potiers façonnent la terre glaise pour créer des objets de formes très diverses qu’ils font ensuite cuire afin de leur donner une certaine solidité. On classe généralement les céramiques en deux catégories suivant qu’elles sont poreuses ou vitrifiées (porcelaine). Les poteries de type poreux sont cuites à une température moins élevée que la porcelaine et elles sont dans la plupart des cas plus épaisses. Elles ont aussi une apparence nettement plus chaleureuse. Les céramiques de type vitrifié doivent leur aspect au kaolin - une argile blanche friable et résistante -, au quartz et aux feldspaths avec lesquels elles sont réalisées. Et elles se signalent aussi par un grain beaucoup plus fin. Après une cuisson supérieure à 1 200 degrés, la porcelaine devient extrêmement dure et elle est vitrifiée en profondeur. Chacune de ces deux catégories de terre cuite a donné lieu à des styles très divers caractérisés par un décor constitué suivant les cas de glaçures en tous genres, de petites touches au pinceau ou d’incisions et de motifs en creux réalisés à l’aide d’un ciseau ou d’un poinçon.
Les « six anciens fours » (rokkoyô) du Japon
Entre la fin de l’époque de Heian (794-1185) et celle de l’époque de Muromachi (1336-1568), la céramique japonaise a connu une phase particulièrement prolifique. Durant cette période, des potiers ont construit des fours dans plusieurs parties de l’Archipel. Et c’est alors que les « six anciens fours » (rokkoyô), considérés comme les plus prestigieux du Japon, se sont constitués. Bizen, dans la préfecture d’Okayama. Tanba, dans la préfecture de Hyôgo. Shigaraki, dans la préfecture de Shiga. Tokoname et Seto dans la préfecture d’Aichi. Et Echizen, dans la préfecture de Fukui. En 2017, ces six sites ont été inscrits par le gouvernement japonais sur la liste du patrimoine culturel de l’Archipel.
Ce qui lie la poterie et la cérémonie du thé
Entre la seconde moitié du XVIe siècle et la première partie de l’époque d’Edo (1603-1868), les potiers de l’Archipel ont fait preuve d’une remarquable créativité à la fois technique et esthétique. Au même moment, le maître Sen no Rikyû (1522-1591) a porté l’art du thé à sa perfection. Outre la codification de la cérémonie du thé (sadô) proprement dite, il a contribué à l’apparition de poteries uniques en leur genre incluant des ustensiles spécifiques ainsi que des vases et des bols d’une étonnante sobriété élaborés par les fondateurs des dynasties de potiers Raku et Oribe.
Le shogun Toyotomi Hideyoshi (1537-1598), un des trois grands artisans de l’unification du Japon, était un pratiquant assidu de la voie du thé. Il a profité de l’invasion de la Corée par ses troupes, en 1592, pour ramener au Japon des potiers coréens. Ceux-ci ont alors construit des fours dans l’île de Kyûshû et fabriqué des objets en grès en mettant en œuvre de nouvelles techniques qui ont été tout particulièrement appréciées par Sen no Rikyû et les adeptes de la cérémonie du thé.
Les potiers coréens installés dans la région d’Arita (préfecture de Saga) par Toyotomi Hideyoshi ont en outre produit de la porcelaine, une première au Japon. Ce style de céramique – bleu de cobalt, rouge de fer sur fond blanc, rehaussé à l’or -, connu sous le nom d’Imari, a eu un succès foudroyant et a donné lieu à un nombre considérable de copies. La porcelaine d’Arita, qui a célébré son 400e anniversaire en 2016, s’est également illustrée avec un autre style appelé Kakiemon. Celui-ci se signale par un décor d’une grande finesse et l’utilisation d’émaux en glaçure en harmonie parfaite avec la blancheur de la porcelaine. Dès lors, le Japon a commencé à produire de grandes quantités d’objets en porcelaine superbement décorés.
Dès le XVIIIe siècle, les techniques des potiers d’Arita ont commencé à se répandre dans le reste du Japon notamment Kyoto, Kutani (préfecture d’Ishikawa), et Seto (préfecture d’Aichi). Par ailleurs à partir du début de l’ère Meiji (1868-1912), la culture japonaise a bénéficié du soutien d’adeptes fortunés de la cérémonie du thé, en particulier Nezu Kaichirô, un homme d’affaires dont la collection a servi de base au musée Nezu de Tokyo, et Hara Sankei, un commercant de soie qui a conçu le jardin Sankei-en de Yokohama.
Le « mouvement pour l’art populaire » mingei undô
En 1925, un « mouvement pour l’art populaire » (mingei undô) s’est constitué au Japon à l’initiative de l’écrivain Yanagi Sôetsu et de deux potiers de grand talent Hamada Shôji et Kawai Kanjirô, et avec l’appui du céramiste britannique Bernard Leach. Le mingei undô a mis essentiellement l’accent sur la beauté des objets usuels créés par des artisans anonymes et il a eu un retentissement considérable non seulement au Japon mais aussi en Occident.
Un des mérites du « mouvement pour l’art populaire » a été d’attirer l’attention des Japonais sur le petit village de potiers d’Onta, dans la préfecture d’Ôita. Pendant plus de trois siècles, dix familles ont exercé sans discontinuer leur activité sur place en se transmettant leurs secrets de fabrication de père en fils. Et elles ont ainsi réussi à conserver leurs fours et leurs traditions jusqu’à nos jours. En 1995, le gouvernement japonais a classé les techniques de la céramique d’Onta en tant que Bien culturel immatériel important.
Un avenir plein de promesses
Pendant la période de croissance économique de l’après-guerre, le niveau de vie des Japonais s’est considérablement amélioré. Mais à l’époque, les poteries étaient encore considérées comme des objets d’art. Ce n’est qu’à partir de l’explosion de la bulle économique du début des années 1990, que les habitants de l’Archipel ont commencé à rechercher des objets adaptés à un usage courant, notamment les jeunes. Tant et si bien qu’à l’heure actuelle, la production de céramique est en train de se diversifier de plus en plus en même temps que le goût des consommateurs.
Mais la céramique traditionnelle japonaise n’a pas pour autant perdu son attrait. Deux fois par an, en mai et en octobre, les régions de l’Archipel où il y a des fours organisent une fête de la poterie. Pour les visiteurs, c’est l’occasion d’acquérir de belles pièces et de rencontrer les potiers en personne. Cette manifestation a pris une grande ampleur dans trois sites de production de l’Archipel. Mino (préfecture de Gifu), Imari (Arita) dans l’île de Kyûshû et Seto. Certains amateurs de poterie vont jusqu’à organiser des voyages pour faire plus ample connaissance avec la céramique, l’histoire, l’artisanat et la gastronomie locales. De toute évidence, la céramique traditionnelle japonaise a encore de beaux jours devant elle.
(Photo de titre : deux bols à thé et une verseuse, créations de Yokoyama Takuya présentées lors de l’exposition personnelle que lui a consacré la galerie Toukyo située dans le quartier de Nishi-Azabu, à Tokyo.)