
La peine de mort au Japon : plus de deux ans sans aucune exécution
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Deux ans et demi se sont écoulés depuis la dernière exécution au Japon qui a eu lieu le 26 juillet 2022 sur la personne de Katô Tomohiro, coupable d’une série d’agressions à l’arme blanche ayant fait 7 morts et 10 blessés dans le quartier d’Akihabara à Tokyo en 2008. Ce n’est pas la première fois que le Japon connaît une telle pause, aucun détenu n’a été exécuté en 201, année du Grand tremblement de terre de l’Est du Japon, ni en 2020 première année de la crise sanitaire, mais c’est la première fois depuis le début du XXIe siècle que deux années s’écoulent sans qu’aucun prisonnier ne soit mis à mort.
Le code de procédure pénale japonais stipule que la peine de mort doit être appliquée dans les six mois suivant la confirmation de la sentence, mais dans les faits, ce n’est presque jamais le cas. Du début 2000 au 26 juillet 2022, 98 condamnés à mort ont été exécutés. Or le plus court délai constaté entre la sentence et la mise à mort a été d’une année, quand le plus grand écart a duré 19 ans et 5 mois. Le ministère de la Justice ne communique pas sur ce sujet sensible et ne donne aucun détail permettant de comprendre pourquoi telle exécution a lieu à telle date. Il n’y a pas si longtemps, le mot d’ordre était même de ne faire aucune annonce officielle. Ce n’est qu’en octobre 1998, que le ministère, sous l’égide du ministre de la Justice Nakamura Shôzaburô, s’est ouvert à la transparence en commençant de faire des communiqués sur le nombre d’exécutions à l’année. En septembre 2007, Hatoyama Kunio, alors Garde des Sceaux, demande au ministère de publier également le nom de chaque condamné exécuté ainsi son lieu de mise à mort.
Les décisions concernant les exécutions semblent être corrélées aux prises de position du ministre de la Justice en fonction. Ainsi, en octobre 2005, à sa nomination au poste de Garde des Sceaux, Sugiura Seiken a déclaré que pour des motifs religieux et philosophiques, il ne signerait pas d’ordre d’exécution. Pourtant sous le feu des critiques, il doit rapidement se rétracter car son statut ne permet pas au ministre de la Justice de refuser d’accomplir une tâche prévue par la loi. Dans les faits, il n’a finalement signé aucun ordre d’exécution durant les 11 mois au cours de son mandat. Le cas de Sugiura tranche avec ceux d’autres ministres ayant rondement signé des ordres d’exécution presque chaque mois.
Neuf personnes seulement ont été exécutées de septembre 2009 à décembre 2012, sous les gouvernements de gauche, dont les ministres de la Justice se sont montrés réticents à appliquer les sentences. Chiba Keiko, qui fut première ministre de la Justice issue du camp démocrate, était à l’origine opposée à la peine de mort, elle faisait partie d’un groupe de parlementaires de la Diète ayant demandé son abolition. En juillet 2010, elle signe toutefois l’ordre de mise à mort de deux condamnés. Mais elle tient à assister aux exécutions - une première pour un ministre japonais de la Justice en fonction- et exprime le souhait que ce soit l’occasion d’un débat national sur ce sujet. À cette fin, elle met donc en place un groupe d’étude au sein du ministère afin de de réfléchir à l’avenir de la peine de mort au Japon. En août de la même année, Chiba ouvre pour la première fois aux médias la salle d’exécution du centre de détention de Tokyo, et leur montre la salle où les détenus peuvent rencontrer des représentants des différentes religions.
Peu après sa nomination en janvier 2011 au poste de ministre de la Justice sous le gouvernement démocrate de Kan Naoto, Eda Satsuki déclarera lors d’une conférence de presse que « la peine capitale est une peine imparfaite », elle se rétractera mais en juillet 2011, Eda indiquera ne pas souhaiter signer d’ordre d’exécution dans l’immédiat, puisque que le groupe d’étude mis en place par Chiba travaillant sur la question est encore en déliberation. Cette année-là, aucune exécution n’aura lieu. Le groupe d’étude a continué de travailler sous le ministre de la Justice suivant, mais il s’est réuni pour la dernière fois en mars 2012 sans parvenir à une conclusion, se contentant de dresser un état des lieux des positions des deux bords.
En 2009, Le système judiciaire japonais connaît un changement avec l’introduction d’un système de jury populaire, les citoyens ordinaires se retrouvent désormais à devoir à juger des coupables relevant potentiellement de la peine capitale. En 2017, le Japon mène une série d’exécutions de détenus ayant pourtant demandé la révision de leur procès puis en 2018, l’exécution en l’espace de quelques semaines de 13 détenus adeptes de la secte Aum suscite des critiques tant au Japon qu’à l’international.
Récemment c’est la très médiatisée affaire Hakamata Iwao qui a fait parler d’elle. Condamné à mort en 1980 pour le meurtre de quatre personnes en 1966, Hakamata n’avait cessé de clamer son innocence depuis sa cellule. Or en 2014, le tribunal du district de Shizuoka lui accorde la révision de son procès et le libère. Un nouveau procès débute en 2023 pour s’achever en septembre 2024 sur une relaxe. En effet, le tribunal acquitte Hakamata après avoir constaté que les enquêteurs avaient fabriqué des preuves de toute pièce. Cette décision de justice intervenait 58 ans après son arrestation initiale et 44 ans après sa condamnation à mort. Incarcéré pendant tant d’années, Hakamata a vecu si longtemps avec l’épée de Damoclès de la peine de mort au-dessus de sa tête, que même après sa libération, il a encore du mal à s’exprimer.
Cette affaire a braqué les projecteurs sur la peine capitale, suscitant des appels à la réforme. Le 13 novembre 2024, le groupe composé de législateurs, d’un ancien procureur général et d’un ancien commissaire général de l’Agence nationale de police a publié une déclaration appelant à l’arrêt des exécutions tant que les autorités compétentes n’auront pas repensé leur politique en matière de peine capitale ou introduit des changements fondamentaux dans le système judiciaire actuel.
Fin 2024, le Japon comptait dans ses geôles 106 détenus ayant été condamnés à mort.
(Photo de titre : le centre de détention à Tokyo abritant un lieu d’exécution. Pixta)