Le thon rouge d’Ôma et les difficultés des pêcheurs japonais face aux quotas

Société Environnement

Kawamoto Daigo [Profil]

La première vente aux enchères de thon de l’année s’est tenue à Tokyo le 5 janvier, et une nouvelle fois, c’est un poisson venu d’Ôma, au nord du pays, qui a atteint la somme la plus colossale, 114 millions de yens (705 000 euros). Ces prix hors-normes pour un seul poisson pourraient faire croire que la pêche au thon rouge n’a que des avantages, mais c’est loin d’être toujours le cas pour les pêcheurs d’Ôma. Reportage dans cette région.

Le scandale des prises non déclarées

Mais ce n’est jamais simplement une question de statistiques. Il y a quelques années, quand le thon ne remontait plus vers le détroit de Tsugaru, certains bateaux d’Ôma s’étaient aventurés plus loin dans l’océan Pacifique. Et les choses ont de nouveau évolué : « Maintenant le thon pullule a Ôma », me dit une personne bien informée de la région. Ceci dit, les quotas restent les quotas. D’un air navré, un pêcheur raconte : « En automne, même de la côte, on peut voir les thons batifoler dans l’eau, mais comme notre quota est restreint, il faut attendre décembre, quand la graisse est la plus abondante, pour les pêcher. »

C’est cet état des choses qui a provoqué l’incident de prise non déclarée à Ôma. En 2021, une partie de la prise a été dissimulée à la coopérative et la préfecture, et a été vendue en douce aux entreprises de produits de mer.

En juillet 2023, deux entreprises de pêche ont été reconnues coupables et 22 pêcheurs et autres ont reçu des amendes. Et le quota de pêche d’Ôma a été réduit.

Avec la nouvelle abondance du thon dans la région, certains s’inquiètent que les pêcheurs auront de plus en plus de difficulté à respecter les quotas. En parallèle,la préfecture met tout en œuvre pour prévenir une telle éventualité, et la coopérative piscicole d’Ôma voudrait redorer son blason. Selon un autre pêcheur, « on surveille l’industrie piscicole de très près par ici. Ça m’étonnerait que quelqu’un prenne à nouveau le risque de vendre en douce ».

La structure blanche au centre est la coopérative piscicole d’Ôma. (© Nippon.com)
La structure blanche au centre est la coopérative piscicole d’Ôma. (© Nippon.com)

Et qu’en est-il de l’avenir?

S’il est évident qu’il faut respecter les règlements internationaux, la situation sur place est plus compliquée qu’on pourrait le penser. J’ai été particulièrement touché par ce que m’a raconté un pêcheur de la péninsule de Shimokita, près du port d’Ôma : « Puisque le quota d’Ôma est important, on peut dire que ça va encore pour eux, mais pour nous autres, la situation est intenable. »

Ôma est aussi connue pour la pêche au calmar, mais il y en a de moins en moins depuis quelques années, et les pêcheurs auraient voulu se rattraper en pêchant le thon rouge. Malheureusement, les quotas rendent cette option impossible.

La colère de ce pêcheur est compréhensible : « Les thons sont de plus en plus nombreux et sont friands de calmars qu’ils consomment en grande quantité, ce qui réduit les stocks de ces mollusques. Et nous, on nous empêche de toucher à tout ce thon qui est devant nous... »

Comme les quotas sont basés sur la moyenne de pêche des années précédentes, les nouveaux venus sont mal placés. La situation est particulièrement difficile pour ceux qui avaient acheté de nouveaux bateaux juste avant la mise en place des quotas. « Si ça continue comme ça, on va être obligés de vendre nos bateaux », me dit l’un d’entre eux.

Ainsi, bien que les quotas soient importants, ils ont un impact négatif sur les jeunes qui voudraient se faire une place et assurer l’avenir de l’industrie. L’augmentation des stocks de thon sera sans doute liée à une augmentation progressive des quotas, et des modifications opérationnelles seront aussi utiles pour améliorer la situation. Il va falloir continuer à gérer les stocks tout en encourageant la nouvelle génération de pêcheurs pour continuer à faire vivre la pêche et régaler les consommateurs.

Du thon cru servi sur du riz à Ôma. Avec la teneur importante en graisse, le thon fond dans la bouche. (© Nippon.com)
Du thon cru servi sur du riz à Ôma. Avec la teneur importante en graisse, le thon fond dans la bouche. (© Nippon.com)

(Photo de titre : le thon gagnant des premières enchères de l’année 2024. © Kawamoto Daigo)

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Kawamoto DaigoArticles de l'auteur

Chef du département qui couvre la pêche à Jiji Press. Né à Tokyo en 1967. Diplômé de l’Université Senshû, il a rejoint Jiji en 1991. Suit le dossier du marché de Tsukiji depuis 25 ans. Auteur de Repo : the Tsukiji (Le marché de Tsukiji vu de l’intérieur).

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