
Sur la Lune dans les années 2030 : des astronautes japonais et un « Toyota Lunar Cruiser » ?
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En avril 2024, le gouvernement japonais a signé un accord avec les États-Unis pour rejoindre officiellement le projet Artemis d’exploration lunaire de la NASA. En échange de cette participation, la NASA a accepté de réserver deux sièges pour des astronautes japonais, qui deviendront ainsi les premiers non-Américains à fouler la surface de la Lune. En retour, le Japon mobilisera scientifiques et ingénieurs du secteur public et privé pour concevoir un rover lunaire pressurisé destiné aux missions habitées.
L’Agence japonaise d’exploration aérospatiale (JAXA) et le constructeur automobile Toyota collaborent déjà sur le développement de cet engin, qui devrait renforcer le succès de la mission Artemis. Ce véhicule ne sera pas seulement un moyen de déplacement sur la Lune, mais aussi un véritable habitat mobile. Si tout se passe comme prévu, il transportera des astronautes japonais et américains sur la surface lunaire dès 2031.
Étendre les opportunités d’exploration spatiale
Le programme américain Apollo avait utilisé des LRV (Lunar Roving Vehicles, ou rover) pour augmenter la distance que les astronautes pouvaient parcourir à l’extérieur du module lunaire. Ce « Moon Buggy » n’était cependant pas fermé, ce qui obligeait les astronautes à porter des combinaisons spatiales. Le programme Artemis prévoit d’utiliser un véhicule similaire, le Lunar Terrain Vehicle, mais ce dernier nécessitera toujours que les occupants portent une combinaison de « sortie extravéhiculaire », limitant ainsi la durée des activités à l’extérieur du vaisseau à environ huit heures.
C’est là qu’intervient le rover de la JAXA et de Toyota. Ce véhicule sera équipé d’un espace de cabine pressurisé qui permettra aux astronautes de « vivre en manches de chemise », sans avoir besoin de leur combinaison spatiale. En associant à la fois l’habitation et le transport, le rover et ses occupants pourront se rendre dans des endroits éloignés du point d’atterrissage initial sur la Lune, ce qui leur permettra de réaliser diverses missions sur une période pouvant atteindre 28 jours.
L’objectif actuel ? Permettre à deux astronautes d’effectuer plusieurs cycles de huit heures de conduite et d’activités extravéhiculaires lors de leur séjour dans la région du pôle sud lunaire, une zone qui pourrait abriter des caractéristiques géologiques (et de l’eau) permettant de mieux comprendre l’histoire de cet astre.
Puisque la Lune connaît de longues périodes de nuit sans lumière du soleil, la possibilité de vivre dans des cabines pressurisées pendant les froids extrêmes permettra aux astronautes d’analyser des échantillons géologiques et de diffuser des informations sur les activités lunaires, en attendant leur prochaine occasion d’explorer les alentours.
Un dessin conceptuel d’un rover lunaire pressurisé habité tel qu’imaginé en 2019. Comme celui de 2023, présenté dans la photo de titre, il s’agit d’un véhicule à six roues motrices avec une cabine pressurisée. Le dessin conceptuel révisé présente cependant une disposition différente des antennes de communication, un capteur de détection d’obstacles LiDAR, des pare-chocs de protection sur toutes les surfaces afin de protéger le vaisseau des micrométéorites, ainsi que des fenêtres aux formes modifiées. Il inclut également un radiateur d’échappement thermique peint en gris sur le côté. (Avec l’aimable autorisation de JAXA/Toyota)
Le programme Artemis prévoit des missions habitées environ une fois par an. Chaque mission comprendra trois sessions de cinq jours terrestres. Les astronautes effectueront environ huit heures d’activités d’exploration par jour, avec 16 heures de pause pour la régénération de l’énergie solaire. Entre chaque session, il y aura une fenêtre de 36 heures pour le repos. Chaque mission de deux astronautes devrait nécessiter environ une tonne de fournitures pour les deux semaines passées dans le rover.
Un rover pressurisé avec des panneaux solaires déployés pour la génération d’énergie. (Avec l’aimable autorisation de JAXA/Toyota)
Les missions précédentes, telles que Apollo 15 à Apollo 17 (1971-1972), ont également porté sur des investigations scientifiques prolongées de la Lune. Cependant, elles n’ont parcouru collectivement que 90,4 kilomètres lors de trois courses en LRV. Le programme Artemis, quant à lui, prévoit que ses rovers couvrent 10 000 kilomètres au cours de 10 ans de missions, soit plus de 100 fois la distance parcourue par le programme Apollo. Tsutsui Fumiya, directeur du Centre d’ingénierie des rovers pressurisés de la JAXA, explique comment le fait d’avoir un espace habitable où les humains peuvent passer du temps sans leurs combinaisons spatiales va bien au-delà du confort : « En permettant des opérations continues sans avoir à revenir à la base, le rover lunaire pressurisé habité étendra considérablement le champ des explorations. »
Tsutsui Fumiya, directeur du Centre d’ingénierie des rovers pressurisés de la JAXA. (© Akiyama Ayano)
À mesure que la portée opérationnelle des astronautes s’étend, la probabilité qu’ils fassent une découverte d’importance augmente. Tsutsui décrit un scénario dans lequel, « en voyageant dans un rover, si on trouve qu’un certain morceau de terrain est un peu inhabituel, on souhaitera peut-être revenir à cet endroit. On pourra alors le noter en tant que prochaine location à explorer. » Cela permettra aux astronautes d’Artemis de concevoir et d’adapter leurs missions de manière plus flexible sur le terrain. Par le passé, ils n’auraient pas pu revenir sur des zones d’intérêt.
Mettre en valeur la technologie japonais
Le Japon n’est pas le seul pays étranger participant au projet de la NASA : l’Agence spatiale européenne fournit également des technologies et des expertises uniques à Artemis. Tsutsui estime que la réussite du Japon dans la conception et le développement du « premier habitat mobile du monde » mettra en valeur les capacités et les forces uniques de la nation, et ce malgré le fait que le programme spatial japonais n’a effectué sa première mission lunaire qu’en janvier 2024, lorsque SLIM (Smart Lander for Investigating Moon) a réussi à atterrir sur la surface lunaire et a offert à la JAXA sa première expérience de conduite de petits rovers lunaires dans cet environnement. En 2018, la sonde spatiale Hayabusa 2 de la JAXA avait également réussi à séparer de petits explorateurs robotiques de la sonde principale dans le cadre de sa mission de retour d’échantillons. Cependant, comme la gravité d’un astéroïde est environ 80 000 fois plus faible que celle de la Terre, cela représente une proposition complètement différente de l’exploitation d’un plus grand véhicule habité sur la surface lunaire.
Conduire sur la surface de la Lune est également bien différent de la conduite sur Terre. La surface lunaire est recouverte de régolithe, un type de poussière, de sable et de roches ainsi que d’autres matériaux meubles. En plus des nombreuses éruptions rocheuses et des pentes raides, il est facile pour les véhicules de se retrouver coincés.
La variation de température est aussi bien plus extrême que sur Terre, allant de moins 170 à plus 120 degrés Celsius. Un rover doit être capable de supporter une gravité qui est un sixième de celle de la Terre, de générer et stocker de l’énergie avec de grands panneaux solaires, et de disposer d’un système de dissipation de chaleur pour éviter que l’ensemble du système ne surchauffe. Un rover lunaire capable de tout cela tout en permettant l’habitation humaine sur la surface lunaire dans des conditions extrêmes représente un défi technique immense comparé à l’exploitation de véhicules terrestres.
Malgré tout, Tsutsui a vu une occasion d’obtenir une reconnaissance internationale en impliquant l’industrie automobile mondialement reconnue du Japon dans la recherche d’une solution. En 2019, Toyota a proposé son soutien au projet. L’industrie automobile japonaise a joué un rôle essentiel dans la conception d’une solution de mobilité pour compenser l’inexpérience de la JAXA en matière d’opérations sur la surface lunaire, ce qui lui a permis d’attirer l’attention de la NASA.
Le défi de concilier conduite et habitabilité
Toyota a immédiatement commencé à développer et tester un système de conduite à six roues pour le rover, surnommé le « Lunar Cruiser ». Le prototype, construit en 2022, est un véhicule sans précédent, avec les six roues sous contrôle indépendant. Bridgestone, un fabricant spécialisé, coopère au développement de pneus « lunaires », métalliques (en acier inoxydable) et sans air, ceux en caoutchouc classiques ne pouvant pas être utilisés sur la Lune en raison du risque de blocage.
Prototype du système de conduite construit pour la première fois en 2022. (Avec l’aimable autorisation de JAXA)
Un prototype de « pneus lunaires » développés par Bridgestone qui ne se bloquent pas dans le régolithe fin et poudreux qui recouvre la surface de la Lune. (© Akiyama Ayano)
Étant donné qu’il n’existe pas de satellites de positionnement de type GPS sur la Lune, la navigation et la détection de la position sont difficiles. Les États-Unis et l’Europe travaillent sur la création d’une infrastructure de positionnement pour la Lune grâce à un projet appelé le Lunar Navigation Satellite System. Le Japon sera également impliqué dans cette partie du programme Artemis.
Le défi de Toyota est de s’assurer que de bonnes performances de conduite ne se fassent pas au détriment du confort de vie. Tsutsui explique : « Bien que les astronautes n’aient pas besoin d’un grand espace de vie, ils doivent pouvoir s’allonger et dormir. Nous voulons que l’équipage soit aussi à l’aise que possible pendant une mission d’un mois. » Tsutsui ne s’imagine pas un espace austère et inorganique. Il souhaite que les concepteurs créent un espace confortable pour les humains, tout en préservant un semblant d’intimité pour les deux astronautes afin de garantir que leur relation de travail ne soit pas altérée par des tensions inutiles.
La conception, la production de véhicules de démonstration et les divers tests commenceront en 2025. La troisième phase du programme Artemis (Artemis III) vise à faire revenir des humains sur la surface de la Lune pour la première fois depuis 1972. En se concentrant sur l’exploration du pôle sud lunaire, Artemis V devrait faire fonctionner des LTV non pressurisés. Si Toyota et la JAXA réussissent à livrer un rover pressurisé inédit, encore jamais vu sur Terre ou sur Lune, nous pourrions bien voir un « cruiser lunaire » et des astronautes japonais rouler sur la surface lunaire dans le cadre d’Artemis VI ou plus tard dans les années 2030, arborant fièrement le soleil rouge de leur drapeau.
(Photo de titre : un dessin conceptuel de 2023 d’un rover pressurisé développé par JAXA, Toyota, et d’autres compagnies japonaises. Avec l’aimable autorisation de JAXA/Toyota)