
Audrey Tang, ministre taïwanaise du numérique : portrait d’un génie qui fascine le Japon
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Une diffusion extensive au Japon
Ces derniers temps, plusieurs chaînes de télévision japonaises ont consacré des émissions à Audrey Tang, la « ministre du numérique » taïwanaise, qui offre un contraste frappant avec son homologue japonais vieillissant. À quoi cette femme de 39 ans, qui est sur le point de devenir une sorte de légende à Taïwan, doit-elle cette popularité ?
Audrey Tang a créé sa propre société de technologie de l’information à l’âge de 19 ans, alors qu’elle figurait parmi les plus grands développeurs mondiaux de logiciels libres. En 2014, elle est devenue conseillère numérique chez Apple, où elle a participé à des projets d’intelligence artificielle de haut niveau, tels que la mise au point de Siri, l’assistant personnel intelligent d’Apple. Au titre de son contrat, Tang touchait un salaire horaire équivalent à un bitcoin, soit environ 50 000 yens (329 euros) en 2014, l’année où Audrey est entrée chez Apple (et équivalent à la somme faramineuse de 900 000 yens aujourd’hui). L’envolée de la valeur du bitcoin, ajoutée à l’argent que Tang tenait de ses activités précédentes, la rendit richissime. À l’âge de 33 ans, Audrey annonça qu’elle prenait sa retraite et entendait passer le reste de sa vie à faire ce qui lui plaisait. C’est dans ce projet de vie que s’insère sa fonction actuelle à Taïwan, où elle est devenue ministre du numérique à la demande de la présidente Tsai Ing-wen.
Contrairement à la majorité des gens, elle mène une vie caractérisée par la désobéissance délibérée aux normes sociales, et ce choix lui vaut d’être aujourd’hui une sorte d’idole aux yeux des jeunes Taïwanais, fascinés par son parcours et sa vision du monde exceptionnels.
Assoiffée de lecture depuis l’enfance
Née en 1981, Audrey a été élevée par des parents intellectuels éclairés, qui avaient des antécédents dans les médias. Son père était un lecteur avide qui dépensait toutes ses économies dans les livres. Il était en outre égalitariste et se comportait avec sa fille comme il l’aurait fait avec un adulte. À peu près à l’époque où Audrey est entrée à l’école primaire, son père a commencé à échanger avec elle sur le mode du dialogue socratique. Il la laissait aussi lire ses manuels de mathématiques et de philosophie. Cet environnement a permis à Audrey de développer très tôt une brillante intelligence.
Dans un test de QI effectué à l’école primaire, Audrey a obtenu le score de « 160 ou plus », la note la plus élevée sur l’échelle d’intelligence de Weschler pour les enfants. Le bruit court que son QI a récemment été estimé à 180, mais Audrey le récuse. En vérité, dit-elle, son QI était impossible à mesurer, pour la bonne raison que le score qu’elle a obtenu était supérieur au maximum. Le test fut renouvelé et elle obtint la même note. Lorsqu’on l’interroge sur son QI, soit Audrey répond en plaisantant que son interlocuteur confond son QI avec sa taille — elle mesure 1,80 mètres —, soit elle dit que « à l’âge d’Internet, tout le monde a un QI de 180 ».
Une écolière inadaptée
Contrairement à la plupart des enfants, qui suivent l’enseignement obligatoire jusqu’aux classes terminales et vont ensuite à l’université et font parfois un troisième cycle, Audrey a mis un terme à ses études avant la fin du secondaire — et ce après avoir changé deux fois d’école maternelle et cinq fois d’école primaire. À ses yeux, dit-elle, l’école relevait davantage de l’épreuve que du plaisir ; elle comprenait les concepts avant que le professeur n’en parle, si bien que les cours ne lui apportaient pas grand chose. Elle avait une mémoire exceptionnelle mais ne s’intéressait pas aux détails, et elle se faisait souvent réprimander pour être venue en classe sans mouchoir ou kleenex. Son intelligence exceptionnelle lui valait en outre un grand nombre d’ennemis.
Elle fut placée dans la meilleure classe de l’école élémentaire, et c’est alors que les choses commencèrent à mal tourner pour elle. Les parents taïwanais attachent une grande importance à la place qu’occupent leurs enfants dans le classement et, dans les classes d’enseignement accéléré, la concurrence est rude. Audrey, qui était toujours la première, était maltraitée par ses camarades de classe. L’un d’entre eux, qui avait été battu par ses parents pour ne pas être arrivé premier, dit un jour à Audrey : « Je souhaite que tu meures pour être premier à ta place. »
Audrey est née avec une cardiopathie congénitale qui faisait pâlir son visage au moindre embarras. Il arrivait même qu’elle s’évanouisse. C’est ce qui lui fait dire qu’elle est physiquement incapable de se mettre en colère. Un jour, elle perdit conscience après qu’un coup donné par un camarade de classe l’eut projetée contre un mur. Quand sa mère l’eut ramenée à la maison et l’eut déshabillée, elle s’aperçut que sa fille avait une grosse ecchymose sur la poitrine, qui ne pouvait provenir que d’un coup de pied.
Suite à cette mésaventure, Audrey se mit à avoir peur de l’école. Elle y allait par intermittence et devint même absentéiste. Après avoir abandonné ses études secondaires, elle ne voulut plus jamais fréquenter un établissement d’enseignement.
Lorsqu’elle eut atteint l’âge de 14 ans, ses parents l’autorisèrent à aller faire une retraite solitaire dans le lointain village de Wulai. Au bout de quelques semaines de réflexion, sa décision était prise.
Rien à apprendre
Audrey, qui avait gagné un prix dans un concours de science à l’école, avait une place réservée dans un prestigieux collège. Mais elle décida de ne pas suivre ce chemin, car elle avait le sentiment que l’enseignement donné à ce niveau avait 10 ans de retard sur ce qu’on pouvait trouver en ligne, et qu’il valait mieux pour elle s’instruire directement sur Internet.
Le don des langues est une autre manifestation du génie d’Audrey. Enfant, elle a passé un an en Europe avec sa mère, et depuis, elle parle l’allemand et le français. Ses compétences linguistiques lui ont permis d’utiliser Internet pour avoir un accès direct aux informations provenant d’universitaires et d’experts du monde entier. Loin de soupçonner qu’ils avaient affaire à une lycéenne ayant abandonné ses études, ceux d’entre eux qu’elle a consultés pensaient parler à une étudiante universitaire pleine de curiosité.
La décision d’abandonner l’école prise par l’adolescente choqua sa famille. Son père et ses grands-parents étaient opposés à son projet de s’instruire toute seule et de démarrer une entreprise. Mais la mère d’Audrey, qui avait interrompu une carrière dans les médias pour créer une école expérimentale, ne partageait pas l’idée qu’il n’existait qu’un seul chemin pour apprendre. Elle fut le plus ferme allié de sa fille.
Après avoir quitté l’école à 14 ans, Audrey fit son entrée dans le monde des affaires à 16 ans en fondant une société de technologie de l’information. Progressant rapidement aussi bien dans la programmation que dans la gestion, elle créa plusieurs entreprises et travailla comme conseillère pour des établissements aussi prestigieux qu’Apple et Oxford University Press.