Travailler aujourd’hui dans la centrale de Fukushima : un quotidien de l’extraordinaire

Catastrophe Travail

Kaida Naoe [Profil]

À la centrale de Fukushima Daiichi, où s'est produit le gravissime accident nucléaire lors du séisme et du tsunami du 11 mars 2011, les travaux autour des réacteurs continuent. La décontamination progresse, et même si l’atmosphère de travail est de bien meilleure qualité qu'immédiatement après le drame, le chantier demeure dangereux dans certaines zones. Et on a peut-être tendance à oublier qu’il y a des personnes qui travaillent tous les jours dans cet environnement extraordinaire. Notre reportage nous a emmené au plus proche de leur quotidien, et dans la ville fantôme à proximité.

Notre demande de reportage sur le site de Fukushima Daiichi a été acceptée par Tepco, la compagnie d’électricité de Tokyo qui exploite la centrale, et nous avons pu y entrer le 13 février dernier. Le jour du reportage, les multiples contrôles à franchir avant de pouvoir le faire, à commencer par celui de notre identité et l'examen détaillé de notre équipement, m'ont fait sentir à nouveau qu'il ne s'agissait pas d'un lieu ordinaire.

Fukushima Daiichi aujourd'hui. Les réservoirs au premier plan contiennent l'eau décontaminée. À l'arrière-plan s'étend la mer paisible.
La centrale de Fukushima Daiichi aujourd'hui, neuf ans après le terrible drame. Les réservoirs au premier plan contiennent l'eau décontaminée. À l'arrière-plan s'étend le Pacifique, paisible.

Les réacteur n° 1 et n° 2 dont le démantèlement progresse.
Les réacteur n° 1 et n° 2 dont le démantèlement progresse.

Les traces du tsunami sont parfaitement visibles sur le mur extérieur. Le niveau jusqu’auquel l’eau est montée est indiquée par le mot « Tsunami »
Les traces du tsunami sont parfaitement visibles sur le mur extérieur. Le niveau jusqu’auquel l’eau est montée est indiquée par le mot « Tsunami »

Plus de 4 000 personnes travaillent actuellement dans la centrale. Il ne s'agit bien évidemment pas seulement du personnel de Tepco, mais d’équipes rassemblant des employés de sociétés de domaines variés, fabricants de réacteur, génie civil, traitement des eaux, ou encore purification de l'air, qui toutes collaborent avec Tepco. C'est probablement la raison pour laquelle j'ai été frappée par les salutations que ces travailleurs ne manquent pas de se faire chaque fois qu'ils se croisent. Cela m'a fait penser à la manière dont on se salue quand on fait de la randonnée en montagne. Sur le site de la centrale, comme en montagne, le but n'est pas seulement d'échanger des formules de politesse mais plutôt de s'assurer que l'autre va bien. Même si l'on ne connaît pas celui qu'on croise, on le salue, parce que s'il devait y avoir une situation d'urgence chacun se sentirait en confiance avec les autres.

L'espace où le personnel se prépare avant de se rendre sur le lieu de travail. C'est ici que l'on se souhaite bon courage.
L'espace où le personnel se prépare avant de se rendre sur le lieu de travail. C'est ici entre autres que l'on se salue.

Le repas des travailleurs de Fukushima

Le restaurant du site sert quatre menus, à savoir curry à la japonaise, râmen, plats de style donburi (un grand bol de riz surmonté de viande, ou de légumes et souvent d'un œuf ou deux), plus le plat du jour, qui coûtent tous 390 yens (environ 3,30 euros). La seule différence avec un restaurant d'entreprise de Tokyo est que les menus ici sont tous plus nourrissants : beaucoup de gens qui mangent ici travaillent en extérieur, sur les chantiers, et c'est pour cela qu'on y sert des menus riches en calories et en glucides.

Le restaurant du site ressemble à tous les restaurants d'entreprise. Mais on n'y voit aucune femme, contrairement à celui d'un d'un immeuble de bureau à Tokyo
Le restaurant du site ressemble à tous les restaurants d'entreprise. Mais on n'y voit aucune femme, contrairement à celui d'un d'un immeuble de bureau à Tokyo

Tous les menus du déjeuner coûtent 390 yens. La photo montre le stamina-don, un plat fait pour des travailleurs manuels, goûteux et avec du riz en abondance.
Tous les menus du déjeuner coûtent 390 yens. La photo montre le stamina-don, un plat fait pour des travailleurs manuels, goûteux et avec du riz en abondance. Donc riche en calories.

Les gens qui travaillent ici n'ont pas la possibilité de décider de manger dehors, comme on le fait ailleurs, par exemple le jour de la paie. Les responsables de la cuisine m'ont dit que s'il y a toujours du curry à la japonaise au menu , ce n'est jamais le même deux jours de suite. Parfois le plat est à la viande de porc, parfois au poulet, au lieu de l'habituel bœuf. Les légumes diffèrent aussi. Le 13 février, jour de notre reportage, j'y ai vu une affiche pour le « curry Saint Valentin », avec une croquette (korokke) en forme de coeur. La centrale n'est assurément pas un lieu de travail comme les autres. Mais pour ceux qui y travaillent, le temps qu'ils passent ici fait partie du quotidien. Un quotidien tout à fait extraordinaire.

Une affiche pour le menu de la Saint-Valentin, le 14 février : un curry accompagné d’une croquette en forme de coeur.
Une affiche pour le menu de la Saint-Valentin, le 14 février : un curry accompagné d’une croquette en forme de coeur. Il y a également une supérette Lawson à proximité de la cantine.

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Kaida NaoeArticles de l'auteur

Editrice en chef pour Nippon.com. En poste depuis avril 2018, après avoir travaillé pour l’agence de presse Jiji, Japan Business Press et l’Institut Ricoh pour une économie durable.

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