« J’étais comme un cadavre vivant » : une ancienne « hikikomori » témoigne
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Le sentiment de ne pas être à sa place
—— Il y a généralement de nombreux facteurs et différentes raisons accumulées qui amènent une personne à se retirer de la société. Parlez-nous de votre cas.
HAYASHI KYÔKO Lors de ma cérémonie d’entrée au lycée, le directeur nous a dit combien de jours il restait avant notre examen d’admission à l’université. En entendant cela, l’amusante vie de lycée à laquelle je m’étais préparée s’est transformée en rien de plus qu’une période de préparation aux tests. Ce fut un énorme choc.
J’avais senti auparavant que je ne voulais pas appartenir à ce système éducatif strictement réglementé. Ce sentiment s’est manifesté par des symptômes physiques, et j’ai arrêté d’aller à l’école. Vers l’âge de 20 ans, j’ai pu commencer à travailler à temps partiel, mais là encore, en me voyant prendre le train aux heures de pointe, je ne me sentais pas à ma place... Il me semblait que le conformisme rigide de la société n’était pas fait pour moi. J’ai essayé de parler à mes proches de mes sentiments, mais je n’ai pas pu me faire comprendre. Les gens m’ont perçu comme quelqu’un d’étrange, et je suis progressivement devenu incapable de dire ce que je pensais. Vers la moitié de la vingtaine, j’ai atteint ma limite, et je suis devenue hikikomori.
Je vivais jusqu’alors complètement sous le joug de ma mère dominatrice et autoritaire, jusqu’au jour où j’ai réalisé que le « moi » en tant qu’individu n’existait pas. Je ne savais pas quel sens donner à ma vie quand je suis devenue adolescente, et je ne savais pas non plus qui j’étais vraiment.
« J’étais comme un cadavre vivant »
—— Pouvez-vous me parler des difficultés que vous avez vécues en tant que hikikomori ?
H.K. Les deux à trois années suivant mes 26 ans ont été les plus difficiles. Je passais alors toutes mes heures éveillées à me critiquer. « Comment ai-je pu finir comme ça ? Pourquoi suis-je un être humain sans valeur ? Il n’y a pas de place pour moi dans ce monde... »
Je pensais que tout le monde devait me mépriser pour ne pas jouer un rôle dans la société. Je n’avais pas eu de problème avec les autres auparavant, mais à partir du moment où je suis devenue hikkikomori, j’ai eu peur de rencontrer autrui et j’évitais de plus en plus de leur parler.
Pendant un moment, je ne mangeais que deux repas par jour et je ne pouvais même pas me doucher ou me brosser les dents. Tout ce que je faisais alors, c’était me lever durant l’après-midi, manger, faire mes besoins... et respirer. J’étais comme un cadavre vivant. Je n’arrivais pas à trouver la moindre valeur en moi. Je pensais que ma vie n’avait pas de sens. Je me suis battue avec ma mère et je me suis vraiment déchaînée contre elle. En même temps, j’avais en moi cette terrible fureur que je ne savais pas vers qui ou vers quoi diriger, et j’étais toujours épuisée.
Une critique courante des gens ordinaires est : « Nous avons aussi du mal à aller travailler. Ce n’est pas seulement vous. Ne vous laissez pas aller. » Mais je pense que ce ne sont que les difficultés visibles au-dessus de la surface. C’est comme si les hikikomori vivaient dans un monde souterrain. Parce que ce monde est sous terre, ils ne peuvent pas respirer correctement, et leur vie est sombre et déchirante. Même pour faire les mêmes choses que les gens ordinaires, le niveau de difficulté est complètement différent. C’est une dimension distincte, il n’y a donc pas de comparaison possible.
Ne rien faire d’autre que de se connecter à Internet et de jouer à des jeux vidéo peut sembler amusant d’un point de vue extérieur. Mais les gens retirés de la société ont un flux constant d’autocritique qui leur vient à l’esprit. Ce cercle vicieux interne les use terriblement.
Remonter après avoir touché le fond
—— Comment avez-vous réussi à réintégrer la société et qu’avez-vous fait depuis ?
H.K. Quand j’étais au plus bas, je pensais que je devais en finir avec moi-même. J’ai même envisagé la méthode spécifique à utiliser. Mais finalement je ne l’ai pas fait. J’étais probablement si affligée que je ne pouvais pas penser correctement, et mes processus de pensée se sont arrêtés. Et puis mon corps, qui n’avait été pendant cette période qu’un récipient avec ) peine une étincelle de vie à l’intérieur, a commencé à retrouver progressivement l’envie de vivre.
Je me suis laissé porter par le courant pendant un moment. J’avais l’impression de me regarder d’en haut. Plus tard, j’ai vaguement compris que j’avais choisi la vie. De plus, je recevais des conseils d’un psychiatre, le docteur Izumiya Kanji, et parler avec lui m’a aidé à me sortir de cette situation. Il a confirmé des choses que j’ai dites, des choses que d’autres décriraient comme « étranges » si je les leurs disais, et il a suggéré que mes idées pourraient en fait être les bonnes. Je n’avais personne autour de moi — y compris les membres de ma famille — qui comprenait ce que je disais.
Le docteur Izumiya a ainsi été la première personne avec laquelle j’ai pu communiquer. J’ai mis des mots sur mes pensées pour la première fois de ma vie. Cela m’a vraiment aidé dans ma quête pour me retrouver. À la trentaine, j’ai commencé à rencontrer et à communiquer avec d’autres personnes ayant eu la même expérience de retrait social. J’ai senti que je n’étais pas seule, et cela m’a énormément bouleversée.
Un jour, pour une raison quelconque, je me suis soudain rendu compte que je n’avais pas choisi de vivre mais, dans un sens, que j’avais été faite pour vivre. Et dans ce cas, tout ce que j’avais à faire était de vivre ma vie jusqu’à la fin, sans la couper court. Plutôt que d’essayer à tout prix de trouver une direction ou un sens à ma vie, j’ai décidé d’accepter tout ce qui pourrait arriver.
—— Vous dites que vous avez été faite pour vivre ?
H.K. Même enfant, je me mettais en colère contre la façon dont l’école et la société piétinaient les faibles, tandis que les personnes au pouvoir pouvaient agir de manière déraisonnable. Et ce sentiment de colère brûle toujours en moi. Tandis que je récupérais mon énergie, j’ai commencé à penser que je voulais faire ce que je pouvais, aussi peu que cela soit, pour rendre ce monde moins difficile à vivre — non pas tant par altruisme, mais aussi par espoir que cela me profiterait aussi.
Au cours de la dernière décennie, les possibilités de trouver sa place dans la société semblent s’être rapidement fermées et l’atmosphère est devenue suffocante. Depuis mes quarante ans, j’ai essayé de rouvrir les choses, et heureusement, j’ai des compagnons pour le faire. Je me suis impliqué dans la planification et la gestion de groupes d’entraide hikikomori, tels que le Hikikomori User Experience Meeting.
De nombreuses personnes déclarent que si vous n’êtes pas utile aux autres, votre vie n’a aucune valeur, y compris au sein de la jeune génération. Mais même si vous n’êtes pas utile, tant que vous avez la vie, pourquoi ne pourriez-vous pas garder la tête haute ? Peu importe à quel point je peux me sentir inutile, j’ai le droit d’être ici, de vivre et d’exister. Et ce qui vaut pour moi, vaut aussi pour les autres.
Le simple fait d’être en vie est une affirmation à 100 % de votre existence. C’est ce que je crois maintenant, pour moi-même et pour tous les autres.
(Propos recueillis par Ishizaki Morito. Photos : Nippon.com)