Le Japon, un pays imprudent sur la protection des données personnelles ?

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Takahashi Akiko [Profil]

L’Expo universelle d’Osaka ouvre ses portes le 13 avril 2025. Or pour tout achat de billets numériques, il est nécessaire de se créer un profil « Expo ID » qui requiert une grande quantité de données personnelles. Dans quel but ? Qui peut y avoir accès et comment ces données sont-elles traitées ? Le flou entourant cette vaste collecte a fait l’objet de critiques sur les réseaux et l’inquiétude a gagné de nombreux internautes. Et si ces données personnelles étaient vendues ou divulguées ? Une fébrilité qui a poussé les organisateurs de l’événement à revoir leur dispositif de traitement des données personnelles. Alors que le concert des Nations a les yeux tourné vers le Japon, cette fausse note a révélé au monde entier que la protection des données personnelles était insuffisante sur l’Archipel.

Un dispositif qui fait tâche aux yeux des Occidentaux

Comment cela se passe-t-il en Occident ? Dans son règlement général sur la protection des données (RGPD), l’Union européenne a élaboré une législation encadrant le traitement des données personnelles. Les principes du traitement et de la diffusion des données personnelles y sont clairement définis, les responsables en charge mais aussi les sous-traitants sont soumis à un cahier des charges strict, la protection des données personnelles est fermement garantie. Cette loi s’applique par ailleurs à toute entreprise exerçant en Europe que son siège soit sur le vieux continent ou non.

En 2019, les autorités françaises ont condamné Google à une amende de 50 millions d’euros pour violation du RGPD. C’était la première fois qu’une grande entreprise informatique américaine était sanctionnée en vertu de ce règlement. Aucune information personnelle ne semble avoir été divulguée, mais l’entreprise ne respectait pas le cadre de la loi.

Aux États-Unis, le Children’s Online Privacy Protection Act (COPPA) s’applique aux enfants de moins de 13 ans. Or en 2019, la Federal Trade Commission (FTC) et le procureur général de l’État de New York ont accusé Google et sa filiale YouTube d’avoir enfreint la COPPA car une chaîne YouTube s’adressant aux tout petits collectait illégalement des informations personnelles sur les enfants sans le consentement de leurs parents. YouTube a dû payer une amende de 170 millions de dollars.

Ces affaires montrent combien l’Europe et les États-Unis sont stricts en la matière. À ce titre, la constitution du profil sur le portail numérique de l’Expo fait tâche. Même sur la version anglaise du site, il faut accepter la politique de confidentialité. Mais le consentement exigé ne répond pas aux exigences juridiques encadrant la protection des données car les garanties sont trop faibles. Les « besoins légitimes » ne sont pas définis, les internautes ne savent pas à quoi ils s’engagent. ni si leur intérêt privé sera respecté au regard de ses « besoins ».

Ni l’UE ni le Royaume-Uni n’oseraient dénoncer et attaquer l’Expo sur la base de ces problèmes de confidentialité et encore moins imposer des amendes aux organisateurs japonais. Mais puisqu’il s’agit d’un projet phare permettant d’attirer des visiteurs du monde entier, la politique de confidentialité aurait dû être façonnée conformément aux lois en vigueur sur la scène internationale, le Japon y joue aussi une forme de crédibilité.

Se conformer aux normes internationales

Au Japon, la loi sur la protection des données personnelles a été amendée en 2020. Depuis, les entreprises privées doivent décrire en détail leur politique de confidentialité et la mentionner dans les conditions générales. Elles sont aussi désormais obligées d’informer la Commission de protection des données personnelles quand elles prévoient de divulguer les données personnelles de leurs utilisateurs à des tiers. La législation portant sur les données personnelles est peu à peu améliorée et entre en conformité avec les règles de l’ère Internet, mais à l’évidence elles restent insuffisantes.

Promouvoir des produits et des services sans mentionner qu’il s’agit en fait de publicités dissimulées relève de « marketing furtif » (stealth marketing en anglais, abrégé en stema en japonais). Cette pratique, interdite au Japon depuis octobre 2023, tombe sous le coup de la loi contre les rémunérations et la publicité déguisées. Jusqu’alors, les influenceurs s’adonnaient librement au marketing furtif et au placement de produits. On se souviendra de ces sites qui relayaient des rumeurs ou abondaient d’« informations » peu fiables. Le Japon a pris sur lui de réglementer ce marketing furtif, car il était déjà illégal dans de nombreux autres pays. L’Archipel est l’une des neuf plus grandes puissances de l’OCDE, et pourtant il a longtemps été le seul pays membre à ne pas avoir encore légiféré sur le sujet. Or sur Internet les frontières s’estompent, nous sommes tous connectés aux mêmes réseaux, les particularismes nationaux n’ont pas lieu d’être.

Comme l’ont montré les enquêtes, la nouvelle législation sur le marketing furtif a permis de faire diminuer le nombre de requêtes adressées aux influenceurs, la situation s’est incontestablement améliorée. L’affaire des profils de l’Expo a curieusement mis en évidence la faiblesse du Japon, le moment est venu d’aligner la législation nippone portant sur la protection des données et de se conformer aux normes strictes ayant cours en Europe et aux États-Unis. Dans le même temps, le Japon devrait s’engager à mieux maîtriser l’information et faire des campagnes de sensibilisation, pour éduquer les citoyens et leur faire prendre conscience de l’importance de protéger leurs données personnelles. Il est urgent d’identifier les problèmes et les enjeux propres au Japon afin de conformer au mieux les lois japonaises aux standards internationaux.

(Photo de titre : le site de l’Expo universelle d’Osaka. Photo prise par un drone le 10 mars 2025. Jiji Press)

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Takahashi AkikoArticles de l'auteur

Journaliste spécialiste des questions informatiques et professeure invitée à l’université Seikei. Elle enquête principalement sur la façon dont les adolescents utilisent Internet, sur les réseaux sociaux ainsi que sur la gestion éthique de l’information. Son expertise s’étend aux problèmes impliquant des smartphones ou Internet, ainsi qu’à l’éducation aux nouvelles technologies. Elle est l’auteure de plus de 20 ouvrages portant sur les réseaux sociaux. Citons « Accro aux réseaux sociaux » (Social media chûdoku, paru chez Gentôsha). Invitée sur de nombreux plateaux de télévision, elle a notamment participé aux émissions Asa-ichi ou Close-up Gendai+ diffusées sur NHK. Elle est aussi membre du comité d’évaluation des nouvelles technologies du ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et des Technologies qui travaille à faire de la prévention auprès des jeunes afin de leur garantir des environnements les moins nocifs possibles.

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