L’affaire Fuji TV et Nakai Masahiro : l’éthique de certains médias japonais remise en question

Société

La chaîne Fuji Television a été sévèrement critiquée pour sa gestion médiocre et insuffisante de l’affaire d’agression sexuelle impliquant l’une des plus importantes personnalités du showbiz japonais. Ce scandale remet en question l’éthique de certaines sociétés liées au monde des médias.

Fuji Television fait face à une crise sans précédent. À l’origine de ses problèmes, l’agression qu’aurait fait subir à une femme Nakai Masahiro, le présentateur d’une des émissions les plus populaires de la chaîne et ancienne idole du groupe SMAP. La réaction de Fuji TV a suscité de vives critiques, entraînant le retrait de plusieurs annonceurs, et a abouti au remplacement de l’équipe de direction.

Au cœur du problème, ce sont les efforts insuffisants de la direction pour établir la vérité concernant cette agression, les manquements de la réponse de l’entreprise vis-à-vis de la victime, et la révélation aux yeux du Japon tout entier que la gouvernance d’entreprise de Fuji TV était insatisfaisante. L’affaire elle-même est loin d’être conclue, mais nous nous intéressons ici à ses tenants et aboutissants, au contexte dans lequel elle s’est déroulée, et cherchons à établir la chronologie des réactions de toutes les parties concernées, afin de réfléchir aux perspectives à envisager.

Les grandes lignes de l’affaire

Mai 2023 : on apprend qu’une femme, désignée comme « X, appartenant au milieu artistique », a été la victime d’un incident grave lors d’un dîner au domicile de l’animateur Nakai Masahiro. Aucune indication claire n’est donnée sur la nature concrète de l’incident, même si certains hebdomadaires parlent d' « agression sexuelle ».

Juin 2023 : X demande conseil à un cadre de Fuji Television de qui elle est professionnellement proche.

Juillet 2023 : Nakai informe un employé de Fuji Television du problème.

Août 2023 : un rapport interne sur le problème parvient à Minato Kōôchi, PDG de Fuji Television.

Décembre 2024 : Fuji Television annonce qu’Okada Jun’ichi rejoint l’émission de Nakai intitulée Dare-ka to Nakai (Nakai et quelqu’un d’autre) comme nouvel hôte. Le départ de ce dernier n’est pas annoncé à ce stade.

19 décembre : le magazine Josei Seven décrit la nature du problème entre Nakai et X. L’article indique que l’incident était grave, et que Nakai a versé neuf millions de yens (55 000 euros) à X à titre de dédommagement.

25 décembre : l’hebdomadaire Shûkan Bunshun écrit à son tour un article sur le sujet selon lequel un autre cadre de Fuji Television a participé au repas pendant lequel l’incident a eu lieu. (L’hebdomadaire publie ensuite un erratum reconnaissant que cette information était erronée.)

27 décembre : Fuji Television nie l’implication d’un de ses cadres.

9 janvier 2025 : l’animateur publie un commentaire dans lequel il reconnaît qu’il y a eu un incident, et dit notamment qu’il peut continuer à travailler comme artiste parce que le problème a été réglé. Ce commentaire suscite la controverse.

14 janvier : Dalton Investments, un fonds d’investissement américain qui est un actionnaire important de Fuji Media Holdings (FMH) envoie un courrier à celui-ci, dans lequel il exprime sa colère, et exige la création d’une commission d’enquête indépendante et la prise de mesures pour prévenir la reproduction de ce genre d’affaires.

17 janvier : Minato Kôichi, le PDG de Fuji Television, donne une conférence de presse, ouverte à un nombre limité de journalistes et d’où les caméras de télévision sont bannies, ce qui suscite de nouvelles critiques. À compter du même jour, toute une série d’annonceurs, à commencer par Nippon Life ou encore Toyota, annoncent qu’ils cessent pour le moment de diffuser de la publicité sur la chaîne. Entre le 17 et le 25, une centaine d’annonceurs les imitent.

23 janvier : Fuji Television et FMH tiennent un conseil d’administration extraordinaire. Nakai publie à nouveau un commentaire, dans lequel il annonce son retrait de la vie médiatique.

27 janvier : Fuji Television tient une conférence de presse longue de plus de dix heures, une durée sans précédent. Minato Kôichi et Kanô Shūji, directeur général de FMH, annoncent leur démission.

29 janvier : l’hebdomadaire Shûkan Bunshun publie son erratum.

L’incident causé par Nakai et ses répercussions

L’agression de X par Nakai lui a eu valu une énorme attention. D’après ce que les médias ont publié en décembre 2024, elle aurait eu lieu en juin 2023. Les deux parties seraient ensuite parvenues à un arrangement à l’amiable, qui aurait inclus le paiement d’une somme très élevée. Après la publication de ces informations, Nakai aurait toujours gardé le silence à ce sujet, au prétexte que les deux parties avaient convenu de ne jamais l’évoquer. Mais son commentaire publié le 9 janvier 2025, selon lequel il pouvait continuer à sa carrière médiatique, l’affaire étant réglée, a été très critiqué.

La plupart de ses critiques exposaient des doutes sur la fiabilité du personnage et ses activités futures, étant donné que son message faisait penser qu’il n’avait pas suffisamment pris conscience de la gravité de la situation, d’autant plus que l’affaire pouvait encore donner lieu à des poursuites judiciaires. La réconciliation au civil était conçue comme mettant fin au scandale. En raison cependant de l’inquiétude suscitée par de possibles poursuites au pénal, le problème n’affectait pas seulement la sphère privée de Nakai, mais aussi l’impact négatif que cela pouvait avoir sur la fiabilité de Fuji Television dans son ensemble.

L’historique de cette affaire montre que ce que fait un animateur dans sa vie privée a une énorme influence sur la manière dont est vue l’entreprise qui l’emploie, et fournit l’occasion de réfléchir encore une fois à qui attribuer la responsabilité sociétale dans le monde du spectacle.

La réaction de Fuji Television et les points qui posent problème du point de vue de la gouvernance interne

Fuji Television a été critiquée non seulement pour l’incident causé par son animateur, mais aussi pour les insuffisances de son système de gestion de crise, et de sa gouvernance interne. C’est avant tout parce que les allégations de certains médias qui ont laissé entendre que d’autres employés de la chaîne auraient été impliqués dans l’agression de la victime (ce qui a été nié par la suite) ont été interprétées comme la possible manifestation d’une culture d’entreprise dans laquelle les employées femmes étaient vues comme de possibles « offrandes » aux présentateurs à succès, et ont fait naître des doutes sur l’éthique de l’entreprise et la manière dont les employées féminines y sont traitées.

De fait, cette affaire a mis au jour de graves problèmes de gouvernance interne, comme le manque de réponse appropriée, en dépit du fait que cette jeune femme avait demandé conseil en interne, ou encore l’insuffisance de la concertation avec le responsable de la conformité, alors que l’information avait été transmise au PDG.

Enfin, la manière dont a été organisée la conférence de presse du 17 janvier dernier, à laquelle seule un nombre réduit de journalistes triés sur le volet a pu assister, et où les caméras de télévision étaient interdites, a donné lieu à des soupçons sur les intentions de Fuji Television. L’entreprise aurait-elle eu pour but de dissimuler le scandale ? Le refus dans un premier temps de créer une commission indépendante selon les règles définies par la Fédération des associations du barreau japonais ainsi que les tentatives de limiter la portée de l’enquête interne ont donné l’impression que l’entreprise n’avait pas une conscience suffisante de ses responsabilités. Cette façon de réagir est à l’origine des doutes nés chez les téléspectateurs et les annonceurs sur la gestion de crise et la transparence de Fuji Television.

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